Il t'a bien fallu deux semaines pour te remettre totalement sur pied. Et pourtant, il t'arrive encore de te réveiller quelques nuits en sursaut, fiévreux et tremblant, le corps parsemé de douleurs vives et électrisantes. Astrée Moore ne t'a pas raté, et le quartier des Acid Smoothie t'est maintenant totalement interdit. Les mauvais rêves se font de plus en plus fréquent, bien qu'ils soient lucides. L'hyperconscience ne te réussit pas, Duke. Tu préférais l'époque où la drogue avait un effet suffisant pour te faire oublier tout tes soucis, ou apaiser toutes tes frustrations. Aujourd'hui, l'un comme l'autre polluent ton existence.

Tu te fais discret Duke, les cheveux courts dissimulés sous une casquette, tu t'es fondu sagement dans le quartier des Carrot Cakes pour observer tes nouvelles cibles attribuées par Swan : la famille Alucard. Callum, lui, a pour mission d'assassiner le capitaine.

C'est une nouvelle vie qui commence,
encore plus risible que l'ancienne.
((et pourtant certains visages n'ont de cesse de t'obséder))

— « Et voilà votre commande, monsieur, madame. Vous êtes charmants. »

Dans les rues commerçantes, au abord d'une petite terrasse, c'est habillé d'une tablier noir que tu fais le service au sein de la meilleure pizzeria du coin. Ou de la pire, qui sait. Les gens ont un avis très intense sur le sujet. L'étalage est minuscule et l'arrière boutique très exiguë. Le cadavre du gérant peine à tenir dans le placard sous le plan de travail. Il y a de la farine partout, mais l'odeur de la mozarrella fondue est un délice que tout marsien se doit de sentir au moins une fois dans sa misérable vie. Ça a le mérite d'être une revanche sur la tienne ! Les pizzas en prison étaient vraiment dégueulasses.

Debout à cloper non loin des tables, tu baisses ta casquette quand un individu au visage familier passe en furie sur le trottoir. T'as le sourire béat qui s'étire à revoir la silhouette élancée de Cosmo Blum. Tu jettes ta cigarette dans le pot de fleurs et sans retirer ton tablier, tu te mets à le suivre de loin, la voix lointaine de ton cuisinier qui hurle derrière toi.

— « EH ! JOE ! OÙ TU VAS MEC ? QUI VA S'OCCUPER DE SERVIR NOS PIZZAS ?! T'ES MON SEUL SERVEUR ! »


La nuit est tombée et tu guettes toujours l'entrée du bâtiment dans lequel Cosmo est entré. Caché dans une ruelle, tu ranges ton com dans ta poche quand enfin il se décide à en sortir. Aucun garde du corps à l'horizon, aucun passants. Les rues se sont vidées quand le soleil s'est couché. Et dans la nuit telle une ombre, tu reprends ta filature. Tes pas accélèrent, marquent le béton d'un claquement singulier à mesure qu'il comprend - TROP TARD - tu es déjà dans son dos.

Quand vient LE moment, tu n'as aucune inspiration, Duke. Tu te contentes de l'enfermer dans une illusion où les ténèbres l'empêchent d'avancer, puis l'assommes d'un coup violent porté à la tête. Son corps inerte s'échoue dans tes bras, et te vient enfin un air à fredonner, en rythme alors que ses jambes trainent sur les pavés.


— « Well, well. »

Quand Cosmo ouvre les yeux, il ne peut discerner aucune pièce, aucun murs autour de lui. Le vide s'étend à l'horizon, un néant dénué de couleur. Tu ne maitrises pas totalement ta faculty Duke, alors c'est la meilleur combine que tu aies trouvé pour les rendre fous - ne rien matérialiser, seulement effacer. Assis en tailleur devant lui, tu retires ta casquette pour la poser à côté de toi. Cosmo est assis sur une chaise, les poignets attachés dans son dos. Tu n'as pas pris plus de précaution pour l'immobiliser car dans son sang se promène déjà un tranquillisant puissant. Sa parole n'est pas altérée mais ses jambes et ses bras sont victimes de parésie. Autrement dit, il est à ta merci.

— « Non non non ! Ne me demande pas où tu te trouves, s'il te plait ! »

Tu fais jouer de tes épaules, le regardes amoureusement.

— « Tu m'as manqué, tu sais. J'ai bien cru que nos chemins ne pourraient jamais se recroiser. J'ai eu le coeur brisé ! BRISÉ TU M'ENTENDS ? »

Tu en fais un peu trop, ça t'arrache un rire.

— « Tu as l'air contrarié. »

Et tu portes une main à ta poitrine, comme si tu venais de recevoir le coup fatal.

Quand il se réveille, tu scrutes ses expressions, cherches avec une avidité malsaine la panique dans son regard froissé. Mais il ne te donne rien et ça t'énerve. Tu perds ton sourire, affiches une mine excédée. Tu l'écoutes à peine, laissant ton corps tomber brusquement en arrière. Tu passes tes bras croisés derrière ta tête et inspires longuement. Pas maintenant, pas maintenant, pas maintenant. Tu pourrais hurler.

— « PAS MAINTENANT. »

Les yeux écarquillés de folie, tu te redresses pour le dévisager. Tu bats des cils, les paupières mi-closes et la lèvre inférieure fendue d'un nouveau rictus.

— « Pas maintenant Cosmo... »

Tu te redresses en soupirant. Toi tu n'es pas sous l'emprise de l'illusion dans laquelle tu l'as enfermé, alors quand tu tournes la tête, c'est pour mieux voir toutes les armes alignées sur le matelas de fortune à côté de vous.

— « Tu vas mourir, j'en ai bien peur. »

Tu as l'air tout à coup désintéressé.

— « C'est inéluctable. N'essaie même pas de croire que cette fois, tu puisses t'en sortir. Ça n'arrivera pas. »

Tu ramasses ta casquette sur le sol pour la déposer sur ta tête.

— « Qu'est-ce que tu sais à propos de nous ? »

Ce n'est plus un secret pour personne désormais. Les Black Rotteneggs existent aussi légitimement que les gangs.

— « Et est-ce que tu sais pourquoi est-ce que je m'en prends à toi ? »

Un instant de lucidité pour enrober ton coeur abimé.

T'as le coeur qui bat à cent à l'heure. Excité par la situation. Ah, ça te démange, Duke, d'avoir une conversation intense et argumentée avec le second des Banana Breads. Malheureusement, t'as pas le temps et l'énergie nécessaire pour être un gentil garçon aujourd'hui. Tu pouffes de rire, et t'exclames d'une voix forte et imposante.

— « PRÉCISÉMENT ! »

Les détruire, les détruire, les détruire. Tout réduire à néant, marcher sur cette planète et prendre le contrôle de la capitale. Le Staff a bien des desseins et tu les ignores quasiment tous. Tu n'es pas de ceux choisis pour établir une stratégie et tu as accepté il y a bien longtemps de n'être qu'une marionnette insipide que des puissants agitent pour semer le chaos. Quand bien même tu essaies de t'en défaire, c'est en faisant le contraire de ce qu'ils veulent que tu finis toujours par les satisfaire.

Tu tapotes du doigt sur son front.

— « Y'en a là-dedans. Tu réfléchis, tu analyses... C'est ce que j'aime chez toi. Ton sang-froid remarquable alors que l'enfant qui sommeille en toi a juste envie de HURLER. »

Inspires, expires. Tu dois te calmer. Malheureusement pour ton état mental, Cosmo a l'audace de mettre Ceres au centre de la discussion. Tu perds ton sourire goguenard, roules des épaules en faisant craquer tes articulations. Putain.

— « M'en prendre à elle ? M'EN PRENDRE À ELLE ?! »

Tu tapes nerveusement ton pied contre le sol, les bras croisés sur ton torse. Cosmo n'a rien compris, et tu ne l'estimais pas aussi stupide. Aussi peu investi !

— « Ceres et moi vivons une histoire. Je n'ai fait que lui ouvrir les yeux sur l'entourage qu'elle s'était choisi. Vois-tu, je ne suis pas partageur. Solar était faible, et toi tu es... et bien, tu existes. »

Tu n'aimes pas l'idée de le partager, lui, non plus.

— « Frey ne m'intéresse pas, voilà tout. Elle n'a pas ta grandeur, Cosmo... Et tes petits sujets sont pathétiques. »

Quand il aborde ce qu'on vous a promis, ça t'arrache un rire dément. Tu portes une main à ton visage, déformé par une hilarité psychotique. Tu glousses pendant un moment, avant d'essuyer une larme (presque sincère) au coin des yeux.

— « Ce que tout homme cherche inlassablement voyons ! LA LIBERTÉ ! »

Tu fronces les sourcils.

— « Ou une vie meilleure pour certains... Peut-être ? »

Tu ne veux pas qu'il devine à quel point vous n'avez pas le choix d'être là - parce que tu serais malhonnête de prétendre que tu ne prends pas allègrement ton pied dans cette aventure. Tout ce qui se déroule depuis quelques mois a suffit à te repaître d'un sentiment délirant de toute-puissance.

Tu glisses tes mains dans ses cheveux, et les empoignes pour tenir sa tête droite, te penchant en avant - vos visages se font face, vos souffles se mêlent. C'est jouissif. Tu murmures.

— « La promesse... que je puisse faire tout ce qui me plait... que je puisse avoir tout ce que je veux. Et je veux ta tête, Cosmo. »

Plus aucun sourire.

— « Donne-moi ta tête. »

Tu serres un peu plus.

— « Donne. »

C'est marrant..., qu'il dit. Tu plisses les yeux. Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? Toi ? Tu te concentres sur lui, restes à l'écoute pour être certain de capter chaque mot qu'il prononcera à la suite de cette affirmation. Solar. Il parle de Solar. Se réjouit que c'est toi qui en parle le premier, cette fois-ci. A quoi bon encore mentir ? Tu ne t'amuses plus de cette tourmente là. Tu ne prends plus de plaisir à les voir se débattre dans leur ignorance.

— « Tu veux que je te le dise... »

Ton souffle s'échoue sur ses lèvres, et tu papillonnes des cils. Ta voix n'est qu'un murmure, tu t'assures qu'il garde le secret. Que personne d'autres n'entende dans l'obscurité.

— « J'ai tué Solar Brooks. »

C'est intense, c'est violent.

— « J'ai découpé son corps en morceaux et je vous ai laissé un doigt en cadeau. »

Encore, encore.

— « J'ai livré sa carcasse au Staff pour qu'ils abusent de lui comme bon leur semble. »

Tu es fier de toi, c'est ça le pire.
Tu brandis cette impiété comme un exploit.

— « Et je vais maintenant te faire subir la même chose. »

Tu ricanes, comme pour désamorcer la lourdeur de la situation. Il y a de la tension dans tes épaules. Tu passes ta main dessus pour la soulager. Son regard est meurtrier, ça t'excite.

— « Autant qu'il la voudront, Cosmo, elle aura de la valeur. »

Tu lui tapotes la joue.

— « Ne me regarde pas comme ça, je serais doux. Je te le promets. »

Et tu lui tournes le dos. Un regard vers les armes. Laquelle utiliser ? Oui... Laquelle...?

Evidemment que c'est toi. Ça te procure une vague d'exaltation d'entendre ça. Toi, toi, toi ! TOUJOURS TOI ! Tu es l'assassin le plus meurtrier et efficace de Venus Ville, le plus fou des fous - ce sont eux les fous ! - le plus craint, le plus dangereux. Oh bordel, ça te ferait presque bander. L'expression rageuse de son visage, c'est du pain bénie pour nourrir tes élans narcissiques.

— « Arrête, tu me fais peur... »

Tu te retournes et lui colles un violent coup de poing dans la mâchoire, à lui faire voler une dent de l'autre côté de la pièce. Déconcentré, l'illusion se dissipe un peu et Cosmo peut entrapercevoir des détails sur la pièce dans laquelle il est retenu prisonnier. Des murs au papier peint jaune pisse dégarni, un matelas tassé contre le mur, sur lequel sont alignés divers armes blanches.

— « Oof, depuis le temps que je voulais faire ça. »

Tu agites ta main, tu y es allé un peu fort. T'as les phalanges aussi rouge que sa mâchoire. Tu t'éloignes de la chaise, ramasses ta veste pour en sortir un paquet de bonbons écrasés de la poche. T'en avales trois, puis t'approches de Cosmo pour glisser un nounours entre ses lèvres, appuyant délicatement avec ton pouce. Dans ton autre main se balance un couteau.

— « Hm. »

Tu chasses ensuite la chaise pour qu'elle perde l'équilibre, et ainsi tombe en arrière. La chaise renversée, tu grimpes à califourchon sur lui.

— « J'hésite. »

La lame que tu glisses sur sa joue meurtrie. Tu lui plantes ensuite dans le bras comme on plante un couteau dans une planche après avoir fini de l'utiliser.

— « Est-ce que je te torture, ou est-ce que je te tranche la tête directement ? »

(tw gore+dents) Tu sais qu'il sait - et pourtant ce n'est pas assez. Tu veux lui arracher plus ; les cris de douleur, les supplications. Tu veux voir sa fierté s'effriter et sa détermination acculée. C'est pour ça que c'est lui qui t'intéresse, il a le feu sacré dans le regard. Il résistera jusqu'à la fin, quoi que tu lui fasses subir. Mais tu serais prêt à prendre le risque pour le tester !

Non non non Duke. Sois efficace. Tu es souvent puni, brutalement frappé par un retour de karma quand tu décides de prendre ton pied. Tu ne dois pas t'éterniser, Swan ne tolérerait pas un autre échec. Tu l'as déjà épargné une fois (de trop).

— « Shttt. Pourquoi es-tu si pressé ? »

Tu tires d'un coup sec le poignard planté dans son bras, réveillant au passage une douleur jusqu'alors endormie. Le vent du courant d'air fouette la plaie et ravive, tu l'espères ses souffrances.

— « Le faire toi-même ?! »

Tu te penches sur lui, la lame plaquée sur sa gorge, menaçant.

— « Qu'est-ce que tu veux dire par là ? »

Il n'y a pas trente-six méthodes pour qu'un homme ligoté puisse se suicider. Et tu ne sais pas s'il en serait capable... Tu optes d'abord pour la première ; une prothèse dentaire au cyanure qu'il suffit de croquer pour mourir.

— « Hm... Tu ne m'aurais pas fait ça Cosmo ? Dis-voir. »

Tu lui ouvres la mâchoire de force, bloquant avec le manche du couteau pour observer sa dentition. Laquelle, laquelle ?

— « Celle-là, peut-être. »

Le poing serré pour maintenir sa bouche ouverte, le bout de la lame s'affaire à décortiquer une molaire du fond, la déracinant avec barbarie. Tu le sens gesticuler sous ton poids, geindre de douleur - une fois la dent arrachée tu l'observes méticuleusement.

— « Non, celle-ci est une vraie. »

Tu la balances au travers de la pièce.

— « Voyons-voir. »

La vision est altérée, car le sang coule à flot dans sa gorge, tâche sa gencive, sa langue, son palais. Tu regardes de l'autre côté, en repères une plus en retrait.

— « Celle-là peut-être ? »

Tu réitères, avec un peu plus de mal, l'expérience. La dent fendue par la pointe du couteau, tu la jettes de nouveau.

— « MAIS PUTAIN ! Tu faisais pas allusion à ça. »

Tu prends une grande inspiration.

— « N'y pense même pas, mon amour. »

Tu poses l'arme à côté de toi. Si c'est l'autre solution, ses dents en moins pourraient l'handicaper. A t-il seulement la force de s'exécuter, dans son état ? Tu déchires un morceau de ta chemise pour l'enrouler et ainsi créer un baîllon de fortune. Il peut toujours parler, mais difficilement. Ainsi, ses crocs ne pourront pas sacrifier sa jolie langue.

— « Je dois ramener ta tête en bon état. N'oublie pas. »

La supplication est salvatrice. Tu inspires, le corps immobile et les traits tirés. Tu l'observes de haut, se débattre pour essayer de s'abimer. Peut-être même qu'il essaie une nouvelle fois de sombrer avant l'heure. Qu'il essaie de t'échapper ! L'amour que tu lui portes se mue en colère possessive. Tu ne veux pas le laisser partir, pas maintenant... pas avant de lui avoir dit tout ce que tu as sur le coeur.

— « Tu veux mourir ? Plus vite ? »

Trop tard. T'as la haine Duke. T'AS LA HAINE.

— « Tu veux que je t'aide, Cosmo ? »

Tu attrapes le haut de sa tête grâce à une poignée de cheveux, l'accompagnes dans un premier mouvement. Puis un deuxième, plus fort. Lui éclates le crâne contre le sol, plus fort plus fort PLUS FORT. Jusqu'au crac fatidique, celui où ses paupières sont lourdement tombées, celui où le sang a commencé à se répandre.

Cosmo Blum est mort.
Et tu n'as rien accompli.

Cosmo Blum est mort.
Et tu ne ressens rien. Rien du tout.
C'est toujours pareil.

Tu glisses sur le côté, te laisses tomber dans la flaque, pris d'un sanglot. Tu n'es pas triste, alors pourquoi tu pleures ? Inspires, expires. Tu te relèves pour contempler le cadavre.

— « Espèce de merde... »

Lui assènes un coup de pied.

— « SALE MERDE PUTAIN ! »

Maintenant il va falloir commencer le travail. Car Swan t'a réclamé sa tête et tu comptes bien lui apporter - au premier degré.