Magnus était venu en avance, en vrai gentleman. Papy Werner commençant à s’habituer aux réunions rendues longues par les interjections diverses et variées de la compagnie créole qu’il doit considérer comme son équipe du moment ; était venu avec une chaise pliante, cette fois-ci.
C’est en silence que l’autrichien déplie son siège et s’y installe paisiblement, la jambe droite lancée par-dessus la gauche. Les doigts entremêlés, il laisse ses mains jointes former un rempart trônant sur son genou droit, et écoute. Enregistre. Juge, bien évidemment ! Mais il serait de mauvais goût d’en faire part sans y être invité. Il met de petites lunettes aux verres rectangulaires sur le bout de son nez. La fatigue oculaire ne saurait s’immiscer dans les mirettes océaniques du meilleur escroc de tous les temps.
Les yeux rivés sur Wallace, Werner écoute le discours de son chef avec un léger sourire s’étirant au gré des annonces. Flamboyant, grandiloquent. Imprudent. Insolent. C’est une superbe idée. Sortant un petit carnet en cuir de la poche intérieure de sa veste, l’ex-médecin prend quelques succinctes notes. Il griffonne machinalement, dans un concert de pattes de mouches en italiques caractéristiques du métier auquel il se prédestinait jadis, sans même regarder ses mains agir. Son regard passe d’un pion à l’autre, à mesure qu’ils prennent la parole, ou la mouche, voire la gueule, en réactions aux dires de leur responsable direct.

Kavinsky, Sacha. Un peu chiant, mais pertinent.
Hawkins, Duke. Aime parler pour ne rien dire. Bruyant. Parfait appât, piètre bras droit.
Quinn, Callum. Manque d’humour, aucun panache. Réaliste, pragmatique. Potentiellement dangereux. Semble discipliné.
Olsen, Achille. Prudent, pragmatique. Potentiellement dangereux. Professionnel.
Pierce, Jasmin. Un peu faux-cul. Captain fucking obvious. Comprend ce qu’on attend de lui. Pourrait s’avérer utile
Dredd, Ryan. Bourrin et bourru. Potentiellement sanguinaire. A considérer comme dangereux.
Stone, Reiko. Fidèle à son patronyme. A creuser.
Maxwell, Ace. Narcisse personnifié. Cache à peine qu’il a son propre agenda. Méfiance absolue
Maxwell, Tsubaki. Plus raisonné que son frère. Sous-entend un goût prononcé pour les explosifs. Méfiance.
Aelun, Diana. Régale, silencieuse. Influence probablement fortement les décisions de Wallace. Peu d’informations en circulation ; trop peu. Méfiance absolue

Et le sourire de Magnus qui ne finit pas de lancer tranquillité et arrogance à qui se donne la peine de vouloir le sonder. Il soupire. On attend une réaction de lui, pas vrai ? Le blond referme puis range son carnet. Remet son stylo fétiche dans la même poche. Enlève ses lunettes et les plie avec une lenteur et une minutie aussi démesurées qu’elles sont calculées. Il finit par se racler la gorge pour prendre la parole.
« -Débarquer chez Moore pour y annoncer nos plans de leur botter le derrière juste après avoir tué sa chère et tendre sœur ? » slow clap. La tête se balançant légèrement de gauche à droite à chaque fois que les mains résonnent. Les lèvres pincées et l’œil brillant, émus par tant d’insolence, par un manque de tact si grand qu’il ferait passer Oberon Blum pour un pédopsychiatre. « -J’adore l’idée de chier dans le jardin des Acid Smoothie tout en les regardant dans les yeux. Ceci dit… »
Le menton se lève, un sourcil aussi. Le premier vient se poser dans la paume de la main droite, chauffée par sa sonore et théâtrale entrée en scène. Le second continue de s’arcbouter ; semblant bander un arc dont le trait est destiné à Wallace, d’abord, puis Aelun, ensuite, et Stone, enfin. Pourquoi les plus intéressants sont toujours les moins bavards ?

« -Mettons de côté les jérémiades des Divas Maxwell et les doutes légitimes de nos autres coéquipiers. » VV est trop petite pour tant d’ego, Tic et Tac semblent enclin à l’oublier. « -Si vous avez décidé de mettre la plus grande cible de Mars directement sur le dos de Miss Aelun, ce n’est pas juste pour voir si elle évite les balles. Et puisque Mister Kavinsky n’a pas l’air au courant qu’il va bientôt devenir l’aimant à emmerdes le plus puissant de Vénus Ville, je suppose qu’il n’a pas été prévenu non plus. »
Le sourire de pète-sec s’élargit. Oh, ce n’est pas bien nécessaire. Magnus aimerait juste voir jusqu’où Wallace est prêt à dévoiler ce qu’il a vraiment en tête pour garder son équipe sous contrôle.
« -Le plan, en soit, me plaît : il est grandiloquent, insolent, et rendra les gangs tellement fous de rage qu’ils commettront encore plus d’erreurs. Ça ne me dit pas ce que vous, Chef, vous avez réellement en tête avec cette opération. »
Soudainement redressé comme un piquet sur sa chaise, l’escroc montre patte blanche. Un air innocent, presque étonné d’avoir lui-même mis un coup de pied dans la fourmilière. Les deux mains levées et les épaules haussées :
« -Si nous sommes en droit de le savoir, bien évidemment ! Je ne veux pas outrepasser mes droits au sein des BR. »

Ce que c’est bon, de titiller les esprits.