Tu avais pris tes distances. L’espace d’un moment. Rien qu’un moment. Tu n’en prenais pas souvent, des moments pour toi. Mais ils étaient tous aussi importants, tout aussi chérissables, d’autant qu’ils étaient rares. C’était sûrement ce qui te permettait de les apprécier autant. Le fait qu’ils ne soient pas récurrents dans cette vie que tu as choisie. Dans cette vie que tu mènes.

Sans prendre le temps de vérifier à qui appartenait cette chambre, tu avais simplement la certitude que ces étages étaient réservés pour les membres de ton gang. Tu n’avais pas cherché au-delà. Jetant ton dévolue sur la première qui te paraissait inhabité. Une façon de penser simple qui te correspondait bien trop.

La première chose que tu fis en rentrant dans cette pièce, enlever ce masque que tu portais à longueur de journée. Le lançant sur l’immense lit qui dominait la chambre. Non sans laisser ta tête tomber en arrière en poussant un énorme soupir. Tu te sentais à chaque fois revivre. Embrassant l’air à plein poumons. Une impression de respirer pour la première fois.

Ton costume ne tarda pas à rejoindre ce dernier sur le lit. Ne laissant sur ton dos qu’une chemise à moitié ouverte. Signe que tu te mettais enfin à l’aise. Loin de ces obligations qui étaient tiennes. Loin de toutes ces préoccupations que tu tâchais d’ignorer au quotidien. Comme si rien ne semblait t’atteindre. A force d’y croire, tu étais persuadé de vivre cette vérité.

D’un pas rapide, tout en t’étirant de tout ton long sur le trajet. Tu rejoins la salle de bain. T’arrêtant un instant en passant à côté du miroir. Tu te tournes vers lui, comme intrigué par le reflet que tu aperçois du coin de l’œil. Ce visage qui était le tiens. Depuis combien de temps ? A force de porter des masques à longueur de journées, à force de toute faire pour effacer ton passé. A force de vivre la vie d’un autre. Tu finissais par oublier ce visage avec lequel tu es né.

Ce visage qui était autrefois le tiens. Mais il t’avait également amené son lot non négligeable de souvenirs. Plus douloureux et amères que réellement agréables. Certains gardaient une place particulière dans ton cœur. Certains que tu te refusais d’oublier. Pourtant, moins tu t’attardais sur ton passé, plus tu te décidais enfin à vivre.

Au final. Cette décision de poursuivre ton chemin. Quel qu’il soit. C’était également une des promesses que tu leurs avez faites. Que tu lui as faites. Lorsqu’il t’a offert sa vie. Lorsqu’il t’a tout donné. Tu ne pouvais te résoudre à bafouiller cette mémoire qu’il ta légué. Tu ne pouvais te résoudre à l’oublier.

Hélas, aussi forte était ta détermination. Aussi fort était ce souvenir. Il est bien plus difficile de le tenir. En se retrouvant seul face à cette glace. Car, ladite personne n’est plus là pour se tenir à tes côtés. Et elle ne se tiendra plus jamais à tes côtés.

Quitte à te pourrir l’existence, si au moins ta faculty pouvait te permettre de changer le passé.

« But that is not for you to decide. All you have to decide is what to do with the time he has given to you. »

La porte qui s’ouvre, ton moment qui s’envole. Il suffit d’un rien pour t’arracher à ce calme que tu voulais chérir en cette soirée. La chambre n’était pas libre, du moins, pas suffisamment. Tu aurais dû prendre le temps de vérifier. Tu aurais dû. Mais il y a de nombreuses choses que tu aurais dû faire à ce jour. Tout ce qu’il te reste à faire, l’ajouter à ta longue liste de regrets.

Le bruit ne tarda pas à te rejoindre. Ou plutôt, l’inconnu. Il avait beau être dans sa chambre, tu ne savais toujours pas à qui elle appartenait. Ton masque était trop loin. Impossible de camoufler une fois de plus ton visage. Mais les personnes qui sont capables de reconnaitre ce fantôme du passé ne sont pas nombreuses. Rares sont ceux encore en vie.

Il fallait que ce soit toi. Bien évidemment. Et lorsque vos regards se croisent. Tu comprends immédiatement. Tu ne l’avais pas oublié. Arwen. Ce n’était pas faute d’avoir essayé. Depuis tout ce temps, tu n’avais pas cherché à le retrouver. Bien au contraire, tu l’évitais consciencieusement.

A quoi bon faire en sorte que vos chemins se recroisent ? Que pouvais-tu bien lui dire ? Si ce n’est que tout était ta faute. Si ce n’est que tu avais perdu ton ami le plus cher et son amour le plus fier. Non. Il n’y avait rien à dire. Rien à exprimer. Rien à ressentir si ce n’est regret et peine.

Ethan.

Malgré toi, ton cœur se serre. Malgré toi, ce nom te revient aussi clair qu’un ciel étoilé sans nuage. Celui-là aussi, tu aurais préféré l’oublier. Mais comme les autres, tu étais incapable de t’en séparer. Incapable de tirer définitivement un trait sur eux. Pourquoi était-il plus simple de tout perdre que de tout oublier ?

Tu détournes le regard, ne supportant pas de voir ses yeux davantage. Ne souhaitant pas affronter cet éclat une fois de plus.

Je me suis trompé de chambre.

Tu cherches à fuir, t’échapper. Loin de tout, loin de ces émotions qui te prennent à cœur, qui te bousculent et te malmènent. Alors tu te diriges vers lui, tu essayes de passer en force, abandonnant cette salle de bain.

Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

Tu profites de l’occasion. De son incrédulité. Tu profites lâchement de cette chance pour ne pas avoir à en dire plus. Pour ne pas te dévoiler. Pour ne pas tout lui révéler. Pour ne pas abandonner le peu de volonté qu’il te reste.

Je suis désolé.

Pour tout Arwen.

Pour Charles.

Pour ma mort.

Pour ne pas être assez fort.

Pour être comme ça.

Ton bras se lève aussitôt, réagissant à sa menace, comme par instinct. Avant de s’arrêter tout aussi vite. Incapable de lever la main sur lui, incapable de le repousser, incapable de le blesser davantage. Alors résigné, tu baisses ton bras, le laissant retomber le long de ton corps, abandonnant tout espoir de lui échapper.

Tu t’installes sur le lit. D’un pas lent. Le regard fixé droit vers toi, vers un point invisible. Tel un condamné à mort sur son peloton d’exécution, les sensations étaient semblables. Même si la finalité différait quelque peu. Au fond, tu étais déjà mort à l’époque. Ton jugement était déjà tombé.

D’autant plus que tu t’infligeais jour après jour les sanctions de ce dernier.

Cecil. Et… C’est tout. Personne ne sait.

Personne n’avait à savoir. Personne n’avait besoin de savoir.

Incapable de supporter son regard, incapable de lever les yeux vers lui. Tu détournais les yeux sans arrêt, observant un coin vide de la pièce. Ignorant celui qu’il pouvait te porter. Tu te contentais de répondre de façon brève et concise. Sans rien ajouter. Tu ne faisais que déblatérer des faits. Rien de plus.

Mais la question que tu redoutais tellement ne tarda pas à pointer le bout de son nez. Prévisible mais malgré tout, une part de toi-même espérais sincèrement qu’il l’occulte pour cette fois. Rien qu’une fois. Rien qu’une. Rien qu’aujourd’hui.

Je…

Tu vas pour lui révéler ce terrible secret. Ce terrible fardeau que tu portais sur tes épaules. Seul. Mais ta voix se brise dans ta gorge. Incapable de franchir tes lèvres. Tu t’étrangles et tu doutes.

Un long silence pensant vient envahir la pièce. Laissant planer une étrange atmosphère entre vous.

Tu serres les poings. Tu te mords la lèvre. Incapable de briser ce silence. Alors que tu te croyais pourtant préparé. Tu pensais avoir la force nécessaire pour lui dire. Pour tout avouer. Tu lui devais bien ça.

Mais aucun son ne traversa ta bouche.

Rien qu’un silence de plus.

Non… Il… Il ne…


Ta voix s’étrangle à nouveau. L’effort nécessaire était bien au-delà de tout ce que tu avais pu imaginer. Heureusement que tu ne croises pas son regard, auquel cas tu aurais perdu le peu de contenance que tu réussissais à afficher en cet instant. Par miracle, tu demeurais calme en apparence.

Alors qu’un rien suffisait à en faire flancher.

Je suis désolé Arwen.

Tu baisses, la tête, coupable. Conscient de tes fautes, conscient de ton péché. Tu ne cherches pas à nier. Tu ne cherches plus à échapper ce fardeau. Tu endosses ce crime pleinement. Sans le cacher davantage.

Je ne te demanderai pas de me pardonner. Pas moi. Mais ne lui en veut pas trop. Jusqu’au bout. Il est resté le Charles qu’on connaissait. Je ne méritais pas un tel ami.

Il y a une forme d’ironie dans ce dénouement. Il avait cherché à sacrifier sa vie pour te sauver. Alors qu’au final, tu cherchais à te sacrifier pour te faire pardonner.

Il s’écroule devant toi. Alors que tu étais déjà plus bas que terre. Le visage baissé, tu le vois du coin de l’œil. Tu le vois perdre pied. Tout comme tu avais perdu pied. Tu le vois sombré. Tout comme tu avais sombré. Tu vois son monde s’écrouler. Tout comme le tiens, en lambeaux.

Il ne restait plus rien, que des regrets. Au sein de cette pièce. Au sein de ces amitiés passées. Il n’y avait plus que des morceaux à recoller. Mais tu n’en as jamais eu la force, et lui n’en a plus.

Arrête. Tu le connais aussi bien moi. Il y serait allé. Quoi qu’il en soit. Même si tu n’avais pas été triste.

Pour toi.

Mais tu n’avais pas besoin de lui dire. Il le savait tout aussi bien. Même sans avoir à l’accompagner.

Pourquoi tu t’excuses. Tu me demandes de pas le faire. Et tu fais la même chose ?

T’esquisses un sourire, un sourire bien triste, qui reste un sourire tout de même. Tu fais de ton mieux pour alléger cette discussion.

Horrible ? S’il-te-plait, ne me plains pas. Moi je suis en vie. Et puis…. Je ne regrette rien. Si c’était à refaire, je l’accompagnerai encore. Et encore.

Et encore. Sans jamais douter un seul instant de ta réponse. Si tout était à refaire, il y avait bien des choses que tu aimerais changer. Sauver Charles, ne pas avoir à camoufler ta mort, ne pas avoir à garder le silence aussi longtemps. Demander pardon à tes proches. Lui demander pardon à elle.

Mais à chaque fois, dans chaque scénario. Dans chacune de ces vies fictives que tu vois défiler sous tes yeux. Tu ne cesses de l’accompagner. Ta réponse demeure et demeurera toujours la même. Tu l’accompagneras où qu’il aille. Parce que t’étais incapable d’abandonner un ami cher à tes yeux.

Merci.

Le fait qu’il respecte ta décision sans avoir à en dire plus te touchait profondément. Plus que tu ne l’aurais pensé. Un sentiment de culpabilité venait de s’emparer de tout ton être. Tu aurais voulu le prendre dans tes bras, le réconfortait par une légère étreinte. Mais tu en étais incapable. Ce poison qui t’habitait t’interdisait tout contact.


S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire….


Mais tu n’étais pas sûr d’être en mesure de lui offrir ce dont il avait besoin.

Tu baisses à nouveau la tête. Ton sourire s’efface aussi vite qu’il est venu. Au futur éphémère et fragile, tout comme celui qui vous guète. Sans un bruit, résigné, tu retournes dans le silence. Contraint de ne comprendre que trop bien ce qu’il venait de te dire. Tu l’avais vécu par le passé. La seule différence qu’il subsistait entre vous. Il n’avait pas cherché à fuir cette réalité. Ni maintenant.

A tes yeux, tu ne lui avais offert aucune réponse, rien que des regrets. Rien que de la peine. Rien que de la tristesse. Encore. Une de plus. A croire que votre lien n’existait que pour vous tourmentez.

Je me doute… Mais… Si t’as besoin de quoi que ce soit. N’hésite surtout pas.

Pour lui. Pour toi. En souvenir de cette époque révolue. En mémoire de ces fardeaux qui vous hantent.

Encore un.

Souvenir. A l’évocation de son nom. Tu te raidis à nouveau. Il avait toujours été moins patient, que lui. Comment le blâmer ? Tu te savais autant coupable qu’il était sauveur à tes yeux.

Bien sûr. Tu peux lui en parler. Et ça vaut mieux. Qu’il ne perde plus son temps à chasser des fantômes.

Contrairement à toi. Mais ceci, tu étais incapable de lui dire. Incapable de l’entendre. Incapable de le concevoir.

Persuadé que si tu venais à oublier son existence. Alors tu serais à nouveau responsable de sa mort. Une fois de plus.

Tu te condamnes ainsi, à porter sur toi, gravé au plus profond de ton âme. Le souvenir impérissable, de celui à qui tu dois ta vie et ton existence présente. Pour que jamais plus, tu n’aies à assister à sa disparition.

Et toi ? Silence. Comment tu vas ? Blanc. Depuis le temps ? Vide. Tu t’en sors ?