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Assise sur ta chaise. La mâchoire crispée, rongeant petit à petit un bout de bois déjà bien entamé. Ton visage grimace à mesure que le fil s’enfonce dans ta chair. A mesure que l’aiguille serpente sous tes doigts. Encore un règlement de compte que tu avais géré à ta façon. Très mal. Comme d’habitude. Avec la finesse qui était tienne. Tu n’as même pas pris la peine de discuter. Déclenchant les hostilités par ta simple arrivée. Que la patience ne soit pas ton fort était une chose. Qu’elle soit totalement absente de tout ton être en était une autre.

Fort heureusement, tu avais de quoi faire chez toi. C’était loin d’être la première fois il faut avouer. Et ça ne risque pas d’être la dernière non plus. Loin de là. Au grand damn de ta peau. Qui n’avait plus la douceur qu’elle affichait auparavant. Ton corps n’avait de féminin que ton visage.

Tu recraches le morceau que tu mâchouillais jusqu’à présent. Coupant par la même occasion les points de fortunes que tu venais de tracer sur ton bras. Un léger filet sanglant coulait le long de tes lèvres. Putain, tu t’étais mordu la langue sous la douleur. « FAIS CHIER ». T’exultes, seule dans ton appartement. Contre absolument rien. Rien n’était présent pour étancher ta colère.

Tu t’écrases sur ton canapé en soupirant. « Journée de merde ». Au moins. Elle était sur le point de se terminer. Il était tard, la nuit était probablement déjà bien avancée. Tu n’avais même pas pris la peine de lever un regard vers l’heure. Plus qu’à dormir, et on en parlerait plus.

Sur le papier. Le plan était parfait.

Jusqu’à ce qu’on frappe à ta porte. Tu hausses un sourcil, dissimulant à peine ta surprise. Il y avait peu de personnes dans ta liste de contact susceptible de débarquer à une heure pareille.

Ce n’est qu’une fois la porte ouverte que tu tombes nez à nez avec elle.

Ceres. Tu souris inconsciemment en la voyant. La grande sœur que tu n’avais jamais eue. La seule à t’avoir survécu.

Hey… Salut ! Qu’est ce….


T’as pas le temps de terminer. Même pas celui de commencer. Qu’elle rentre déjà à l’intérieur. Faisant le tour. Déballant ses raisons sous un flot de paroles avant même que t’es eu le temps d’achever ta première phrase.

Un moment intime ? T’as vu ma gueule ? J’suis pas aussi jolie que toi ma belle.

Si seulement c’était là ton seul problème. Ton caractère et ton corps étaient d’autant d’autres raisons qui en repousseraient plus d’un ou plus d’une.

Ouais… Installe toi. Fais comme chez toi.


Même si elle n’avait pas pris la peine d’attendre ta réponse pour le faire.

Tu te diriges vers le frigo, non sans l’observer du coin de l’œil. T’avais l’habitude de la voir aussi, « naturelle », aussi rapide et pressé. Mais tout s’enchaînait de façon bien trop idéale à tes yeux. Bien trop parfaite. Pour que cette situation ne cache pas quelque chose. Tu ne saurais dire si c’est de l’instinct ou de la paranoïa. Mais cette situation ne te revient pas.

Tu veux un truc à boire ?

Tu te penches vers ton frigo, pas bien garni, avant d’enchaîner à ton tour :

T’es sûre que ça va ? T’as l’air…. Je sais pas… Bizarre ?

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Peur de dormir chez elle. Cette simple information était suffisante pour t’arrêter net dans ton mouvement. Figé à mi-hauteur, en direction du petit frigo. Tu restes interdite un moment. Silencieuse. Tu ne vois pas l’ombre qui passe sur son visage. Pourtant, tu visualises très bien ce qu’elle venait de ressentir. A la différence que c’est une colère familière qui montait le long de ton bras. Tressaillant. Venant réveiller une douleur à peine refermée.

Pourtant, tu ne veux pas gâcher cette « soirée ». Tu ne veux pas venir lui imposer ta colère. Pas maintenant. Tu respires. Avant d’inspirer. L’air de rien.

J’ai pas de limonade. Mais j’ai de l’eau gazeuse…. Tu fouilles dans ton armoire. Un citron…. Avant de te diriger vers le congélo. Et des glaçons !

Tu poses tout ça sur la table. Triomphante. Persuadé que tu serais en mesure de lui changer les idées. Persuadé que la soirée allait bien se passer.

Comme sur des roulettes.

Tu te laisses tomber à ses côtés, tout sourire. Non sans lâcher un léger rire en l’entendant parler de Solar.

M’en parle pas. Lui et Cosmo peuvent être totalement renfermés quand ils veulent. Si j’étais pas là pour ouvrir la fenêtre de Cosmo et toi de Solar. Je pense pas qu’ils iraient aérer leur chambre.

Nouveau rire. Tu te passes une main sur le visage, enlevant une larme au passage. T’avais bien besoin de ça. Te détendre. Toi aussi

Jusqu’à ce que tu entendes la suite.

Et tout disparait. Les bonnes idées que tu avais eu. La bonne humeur. La joie et la gaieté de cœur. Tout s’envole en un rien de temps. Ne laissant à leur place qu’une inquiétude masqué par une veine enflant dangereusement sur ton front.

Qu’est-ce qu’il se passe Ceres.

Tu voulais vraiment lui changer les idées. Vraiment. Tu voulais vraiment qu’elle s’amuse lors de cette soirée. Qu’elle en oublie ses traquas et ses peines. Mais tu étais surtout incapable de faire comme si de rien était. Pas face à sa détresse. C’était un don que tu étais loin de posséder.

Pourquoi tu as peur de dormir chez toi. Pourquoi tu me parle de tout ça.

Si seulement.

Tu étais différente.

Si seulement tu n'étais pas toi-même.

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Un silence. Un silence qui dura une éternité. Bien trop longtemps. Mais un silence que tu te refusais de briser. C’était à elle de prendre la parole. Pas à toi. C’était à elle de dire ce qu’elle avait sur le cœur. Ce qu’elle gardait au fond d’elle-même. C’était à elle de se tenir sur le devant de la scène. Toi. T’étais très bien sur le bas-côté. A veiller sur tes étoiles. A faire en sorte que rien ne vienne troubler leur clarté. Que rien ne vienne faire flancher leur éclat. Quitte à passer toute ta vie dans l’ombre des autres.

Elle se révèle. Elle s’ouvre à nouveau. Et lorsqu’elle prononce ses mots. Ton regard se tourne instinctivement vers ses blessures. En un éclair. Tu avais sous les cieux ce que tu refusais d’admettre jusqu’à présent. Quelqu’un. Quelque chose. Avait décidé de s’en prendre à elle. Avait attaqué ta propre chair. Ton propre sang. Ton sang ne fit qu’un tour. A mesure que ta colère vrombissait. Tu sentais ton corps entier se raidir. Se crisper sous la colère. Bouillonnant sous cette rage sourde.

Qui t’as fait ça. Qui Ceres. Dis-moi qui t’as fait ça.

Tu prends sur toi pour ne pas élever la voix. Tu prends sur toi pour ne pas exploser. Quitter l’appartement et mettre le quartier à feu et à sang, dans la seule optique de retrouver cette enflure.

Dans son regard de détresse. Tu vois une forme de compassion absente en toi. Que tu ne peux pas te résoudre à briser. Refroidissant au passage tes ardeurs.

Comment je fais ? Parce que c’est la seule chose que je sais faire Ceres. Rendre coup pour coup. Serrer les poings comme tu dis. J’ai pas de sourire qui remonte le moral. J’ai pas de mots qui touchent les autres. J’ai pas de don utile pour réchauffer les cœurs.

Tu lui souris. Tristement. Face à cette vérité bien maussade. Face à cette vérité bien fade. Tu lui tends un verre d'eau pétillante. Sur lequel trône fièrement un morceau de citron.

Tout ce que je peux faire pour les autres. C’est serrer les poings à leur place. Ou faire en sorte qu’on ne le fasse pas pour eux.

Tu soupires. Résigné. Abandonnant tout espoir de succomber à cette colère, qui s’échappe petit à petit de ton esprit.

C’est sûrement la peur qui t’empêche d’agir. Des représailles. De recevoir un coup. D’être blessé. De mourir. Souvent c’est comme ça au début. On est paralysé par cette peur qui nous terrifie. C’est naturel. Il m’a fallu longtemps pour passer outre.

Ton bras vient s’engouffrer par-dessus son épaule. L’attirant vers ton propre corps. La serrant contre toi.

Mais t’es forte Ceres. T’es plus forte que les autres. Je sais qu’un jour tu seras en mesure de serrer les poings. Pour leur apprendre qui commande ici !

T’en rigoles presque. Ton sourire te trahis. T’en oublierai tout ce que tu viens d’entendre.

Jusqu’à ce que ça arrive. Je serai là pour serrer les poings à ta place.

Toujours. Aussi longtemps qu’il le faudra.

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Ce nom raisonne dans ton corps. Orion. Son propre mari. La personne même qui devrait la protéger. Si ce n’est n’aimer. Au moins ne pas la détester. Au moins ne pas être celle qui lève la main sur elle. Tu écoutes à moitié. L’esprit embrumé dans les doutes. En proie à des préoccupations qui te dépassent. Victime d’une multitude d’inquiétudes qui te rongent. Si ça ne tenait qu’à toi. Tu serais partie lui remettre les idées en place. A grand coup de pied. Mais ce n’était pas le cas.

Tu ne pouvais pas l’oublier. Ceres. La première concernée.

Et le reste de ses mots t’achèvent.

Il… t’aime ? Alors pourquoi il irait jusqu’à te frapper ? Te laisser ces marques ? Mais tu t’entends Ceres, ça n’a aucun sens !

Outré, choqué, désemparé. Face à cette équation inconnue que tu ne maîtrise pas. Face à l’amour que tu n’as jamais vraiment expérimenté. Seule avec ces questions qui te dépassent. Seule face à cette logique qui te rend folle. Toi qui idéalisais encore cette notion proche de la parfaite agonie.

Tu ne seras pas seule. Avec ou sans lui.

Mais tu n’étais pas assez naïve pour savoir que tu ne pouvais pas rivaliser avec les sentiments amoureux, les liens du mariage, les liens qui unissent deux personnes à travers la mort. Des liens que tu partages pourtant officieusement. Des liens que tu gardes en tête malgré tout. Sans pour autant qu’aucune bague, aucune promesse ne vienne te le rappeler. Par ce qu’il ne te viendrait jamais à l’esprit de l’oublier.

Raaaah, ok, ok.

Ça t’arrache la gueule d’accepter. Tu la connaissais pourtant suffisamment. Tu savais bien qu’elle était la seule personne sur cette planète capable de rivaliser avec ton obstination. Si ce n’était réellement la seule.

Laisse-moi au moins t’aider. N'importe quoi. On sait toutes les deux qu’on est bien trop bornée pour ça de toute façon.

Tu ries à pleine dent. T’essaye de pas trop y penser. T’essaye de te forcer. Dans le cas contraire, t’aurais déjà dévalé les escaliers vers sa baraque. Pour encastrer l’homme de sa vie dans l’un des murs de son appartement.

Je sais plus que personne à quel point t’es capable de t’en occuper. Je ne connais personne d’autre avec autant de détermination que toi. Pas même moi. (Surtout pas toi).

Tu soupires. Tu passes une main dans tes cheveux avant de descendre un verre cul sec. L’air de rien.

Mais me demande pas de rester en dehors de ça. C’est les mauvais côtés d’avoir une petite sœur chiante comme moi. Je pourrais pas te laisser tomber. Que TU le veuilles ou non.

Sourire.

Je serai toujours là, à te prendre la tête avec ça.