Souffle court, muscles douloureux. En position fœtale, tête recouverte par le tissu de ma capuche rapiécée, je la dégageai d’un coup sec avant de détourner la tête face au soleil aveuglant. Pensée embrumée. Je me redressais d’un coup en réalisant. Douleur de mauvaise position. Gémissement. Je regardais autour de moi. Où étais-je ?
Des objets brisés, des habits délaissés, des ordures. La décharge. Un endroit parfait pour ressusciter. Rires forcés. Je me souvenais. Cette sensation. J’étais mort.
─ Il m’a buté ce connard…, sifflais-je avec amertume d’une voix rauque et encore douloureuse. Encore un PIC… je vais tous les buter ces connards… Enfin... Sauf Akira...
Mes pupilles rétrécissaient, me rendant compte que je n’avais pas perdu la parole et l'ouïe, en plus de la vue. Fébrilement, je touchais mon corps, je le sentais, je cherchais. Pas de changements physiques. Qu’est-ce que j’allais subir cette fois. Psychique ? Mes doigts passèrent sur ma gorge douloureuse, en vrai, par réminiscence. Elles frôlèrent une large cicatrice. Là voilà, la trace. Frissons de souvenir, je retirais mes doigts de l’égorgement. Il fallait que je disparaisse.

La première chose que je fis, fut de rentrer chez moi. Avec précipitation, mais en rasant les murs. Et non sans vérifier s’il ne m’attendait pas à mon domicile pour refaire son manège mortel. Je regrettai d’être allé à ce rendez-vous à moto, j’espère qu’elle y est toujours. Mais ce n’était pas le moment d’y penser.
J’ouvris la porte d’entrée, personne, je fouillais partout. Personne. Je fermais à clé et soupirais de soulagement. Avant de sursauter quand j’entendis un miaulement plaintif. Le chat de Damien. Je le caressais affectueusement avant de chercher mon animal du regard.
─ Grillon ?
Un caquètement me parvint de la salle de bain, puis des bruits de palmes claquant sur le parquet. Je m’accroupis pour le prendre dans mes bras. Elle m’a manqué cette boule de plume. Qui s’occuperait de lui si je n'étais pas là. Ça le rendrait triste. Encore ce pincement au cœur. À la fois familière mais lointaine. Oublié. J’inspirai, ouvrant une grosse boîte de pâté que je mis dans la gamelle du chat, et de même pour Grillon que je remplis de graines et de légumes. Les laissant, je rentrais dans ma chambre faire rapidement mon sac. Pour le reste, je reviendrai plus tard. Mais d’abord, où aller pour disparaître ?
Mes yeux se posèrent sur mon bureau, il y avait plusieurs papiers manuscrits que je ne reconnaissais pas. Je m’approchai pour les prendre et les lires.

"Tu es où, c'est chiant ici. Ton canard n'est même pas drôle."

" Tu pues."

"T'es moche quand tu n'es pas là"
Mercredi… Il s’est inquiété pour moi ? Le pincement au cœur revint, plus fort, plus intense. Plus douloureux. Je lui ai manqué ?
Accumulation. Entre trauma et inquiétude pour autrui. Je sentis un liquide chaud et moite couler le long de mes joues.
─ C’est quoi ce bordel !?... C’est quoi ce bordel…
Je m’écroule, assis sur mon lit, les mains sur le visage. Je soupire.
─ Depuis quand je suis redevenu empathique… c’est ignoble.
Et puis était-ce possible qu’une perte devienne un excès ? Non, j’étais hyper-empathique autrefois, je l’ai juste retrouvé et… j’avais oublié à quel point cette sensation était horrible. Grande inspiration, j'essuierai mes larmes noires d’un revers de la main. Il fallait que je me ressaisisse. J’irai le voir. Je finis mon sac avant de me diriger vers le salon et de remplir la gamelle du chat de croquettes. Puis je pris mon canard et sortis de l’appartement sans réellement me changer. Oublie de ma part. Pressé. Tant pis, j’étais plus à ça près sur mon identité.

Marcher jusqu’au Chili Gazpacho District, c’était long. Surtout quand on se balade avec des vêtements rapiécés et un canard blanc dans les bras. Ma moto me manquait encore plus. Mais je finis par me retrouver devant la maison de Mercredi. Je m’avançais, hésitant. Et s’il m’en voulait ? Rah putain ! Je frappais.
Ça allait faire bizarre à Mercredi de me voir, habillé en guenille de Nox avec un canard dans les bras et une mine de zombie émotif.

Il était là, devant moi. Un petit sourire timide se dessina sur mes lèvres en le voyant, avant de s’estomper en voyant ses yeux humides. S’éteindre quand il m’insulta d’inquiétude. Je me sentais mal, si mal de l’avoir inquiété. Qu’il soit dans un état que je ne lui connaissais pas. Cerise sur un gâteau de nombreux regrets qui m’assaillaient depuis mon réveil.
Raide comme un piquet, je l’écoutais s’énerver légitimement contre moi, yeux baissés sur mes chaussures, me mordant la lèvre inférieure. Même l’allusion à ma belle gueule n’arrivait pas à desserrer mon cœur. J’avais envie d’être petit, de disparaître. Je ne savais pas quoi dire, quoi faire. Je ne m’attendais pas à ce qu’il le prenne si mal. Dents serrées, je me retenais comme je pouvais de pleurer. En avais-je le droit ?

Mais soudain, il se rapprocha de moi, me faisant lâcher Grillon qui alla se réfugier dans la maison. Il m’agrippa la taille et se colla contre moi. Fébrilement, je l’enlaçai dans mes bras, le serrant dans mes bras. Cœur meurtri ressentant cette douce chaleur. J’avais tellement besoin de cette étreinte. De la sentir contre moi.
─ Je suis désolé, réussis-je à dire. Je suis désolé…, prononçait-je dans un début de sanglot. Je suis désolé…

"Rentrons, il commence à pleuvoir."

Je ne voulais pas le lâcher. Jamais. Je voulais que ce moment reste ainsi pour l'éternité. Le garder égoïstement pour moi. Posant ma joue contre sa tête, je sentais son odeur comme un doux réconfort. Tout comme son étreinte autour de moi. Petit à petit, lentement, je me sentais mieux. Je n’avais plus rien à faire du reste tant qu’il était là.
J’en doutais, Akira avait tenté de m’ouvrir les yeux et comme un idiot, j’avais tenté de nier. Parce que ça compliquait les choses. Parce que ce ne serait pas facile. Parce qu’on vivait dans deux mondes différents. Mais maintenant, c’était clair, je n’avais plus à me voiler la face.

Je l’aimais.
Et le monde pourrait s’écrouler, que je le garderai dans mes bras. Alors, quand il leva les yeux vers moi, me demandant cette requête, je lui souris. Il savait que je n’aimais pas embrasser. Que pour moi, c’était un geste lourd de sens. Que je ne voulais pas tant que je n’étais pas sûr. Mais je l’étais. Alors, mes mains remontèrent sur son visage, mes doigts, glissèrent sur ses joues blanches, caressant doucement sa peau de pêche, et, je me penchai pour déposer mes lèvres sur les siennes. Pour lui dire par cet acte…

Je t’aime.

Douces. Chaudes. Apaisantes. Depuis combien de temps, j’en rêvais ? Niant cette évidence qui me tenait aux tripes ? Mais ça n’avait plus d’importance. Goûtant à ses lèvres avec consentement, avec envie, je ne voulais plus les lâcher. Se faisant plus intrusif, comme cherchant à nous lier l’un l’autre en une innocence émotionnelle. Sans vouloir plus que sa présence.
Mais il mit fin à l’étreinte, reculant de quelques pas. Envi de revenir à lui, mais étrangement, je l'accepterai, le laissant me tirer dans son antre. D’une allure pataude, je le suivis, fermant la porte derrière moi. Un brin de soulagement, barrière me séparant du danger de l’extérieur. Je me sentais enfin en sécurité. Mais sa question me fit revenir à la réalité, et les souvenirs refirent surface tel un tsunami en pleine face. Inspiration pour gérer l’angoisse malgré ce nouveau baisé parasité par mes pensées. Je ne savais pas quoi lui répondre. Pouvais-je lui faire assez confiance malgré mes sentiments pour lui ? Comment le prendrait-il ? Ça m'effrayait. Oui. Ça m'effrayait. Je me décollais de lui, cherchant mes mots, petit sourire forcé sur les lèvres.
─ On va dire, que j’ai accompli un but qui m’a coûté très cher…
Le prix de ma vie. Le prix de la haine. Le prix de la fuite. Qui malgré mon corps reconstitué, pouvait se deviner au travers le sang séché imbibant mes vêtements. Se fondant dans le noir d’encre. Mon sang.

Il savait peut-être pour ma liaison avec les PICs, mais je ne pouvais rien dire sur le Staff. Rien que d’y penser, mon cerveau vrillé et les pensées devenaient floue à cause du sceau. Alors, peut-être que le reste, je pourrais lui dire. Maintenant, ça n’avait plus vraiment d’importance.
─ Je n’ai plus de gang, et je ne savais pas trop où aller.
Je marquai une pause.
─ Tu veux bien m’héberger quelque temps ?
Juste le temps de me retrouver et de savoir quoi faire maintenant. Car franchement, j’étais complètement perdu.