[tw : mention de coups/blessures, armes blanches, sang, mort]

Une vie d’errance, une vie de fange, mais toujours l’envie de s’envoler plus haut – pas pour l’ambition, par pour le confort, mais seulement pour voir à quoi le monde pourrait ressembler d’en haut.

Pas de parents, pas de famille, on retrouve le petit paquet silencieux dans un coin de Venus Ville. L’orphelinat est la seule option pour ce nourrisson calme dont il manque un œil, et l’orphelinat est décent, l’orphelinat est propre, les pensionnaires sympathiques, alors Reiko file droit, jusqu’au moment où on l’adopte.

On ne l’adopte pas par amour. On l’adopte parce qu’elle a l’air d’une gamine gentille et affectueuse, qui ne posera pas de problème. On l’adopte parce qu’avoir un énième enfant à charge, ça permet de recevoir des aides. On l’adopte parce que c’est pratique.

Alors le monde s’effrite et la réalité s’infiltre sous les portes, à travers les fenêtres. Finies, les belles journées à l’orphelinat. Finies, les attentions des adultes bienveillants. Le mépris l’empoisonne, les mots la blessent, l’indifférence la tue. Alors elle fuit cette maison, elle fuit ses habitants, elle traîne dans la rue par manque d’option, parce qu’elle ne sait pas quoi faire d’autre, parce que c’est plus simple de se perdre dans les rues sinueuses des bas-fonds plutôt que de rester à l’intérieur, l’âme déchirée par les insultes et les regards détestables.

Ses fréquentations sont mauvaises mais elle ne s’en rend pas vraiment compte, ça devient sa nouvelle normalité et elle finit par aimer ça : le risque, les coups qui s’échangent, les bouteilles que l’on se passe à l’abri de la lumière des lampadaires. Elle ne supporte pas l’odeur entêtante de la fumée qui les enveloppe, additionnée aux ordures qui s’entassent dans les ruelles qui les accueillent, mais elle reste parce qu’elle n’a nulle part où aller, elle reste parce qu’elle est paumée et qu’elle se dit que les réponses à ses questions peuvent se trouver dans le sang qui lui coule du nez, dans les poings abîmés, dans les sourires cassés et les viscères ravagées. Et quand l’adrénaline fait chauffer son sang lorsqu’elle frappe, lorsqu’elle se rend compte de sa force, elle se sent plus vivante que jamais. Alors elle traîne dans les rues, continue d’apprendre à se battre, se prend des râclées et finit par en mettre à certains.

Et sa faculty qui ne s’est jamais manifestée jusque là se dévoile. Sa main maintenant l’adversaire à terre, l’autre frappant au visage sans réfléchir – parce qu’il faut gagner, gagner, ne pas y laisser son honneur – et d’un coup, sa tête qui se vide, son désir de faire du mal est trop fort, et les microvaisseaux oculaires de l’autre qui explosent, indépendamment de ses coups de poing. Ceux du nez et des gencives suivent rapidement et ça finit par pisser le sang sans qu’elle ne se rende compte de ce qu’elle vient de faire.

Et puis, au fur et à mesure, la réalisation progressive après chaque combat, jusqu’au jour où, dans un accès de colère pour une broutille, elle plaque quelqu’un contre un mur. Le feu fait rage dans son cerveau. Pâleur, sueur et yeux flous, l’autre ne peut pas se défendre mais elle ne le voit pas. Elle frappe, frappe, frappe, et chacun de ses coups se voit doublé d’un vaisseau qui se rompt, d’une nouvelle source d’hémorragie. Et lorsque le vaisseau sanguin n’explose pas de lui-même, ce sont ses coups qui le fissurent et contribuent à la mise à mort. On la retient, on la traîne plus loin, on la regarde avec des yeux craintifs et on lui dit qu’on la couvrira pour cette fois. (et quand elle reprend ses esprits, quand la colère ruisselle hors d’elle – cette eau souillée dans laquelle elle se noie de plus en plus, elle voit le corps, elle sait ce qu’ils vont faire avec, et dans sa détresse, elle en oublie d’être reconnaissante, dans sa détresse et ne voit rien d’autre que ses larmes qui constellent le bitume de petites taches sombres, elle ne sent que le goût amer qui se diffuse dans sa bouche.)

Alors elle a fini par comprendre vaguement ce qui clochait. Elle ne pourrait pas vraiment l’expliquer, et vous dirait sans doute qu’elle peut « faire péter les veines des gens » d’un ton méfiant, sur ses gardes. Parce qu’elle n’a jamais su apprivoiser ce pouvoir, qu’elle ne lui a jamais fait confiance. Et depuis, elle ne se fait plus confiance.

Alors les fondations déjà instables se fragilisent, les insultes hurlées dans le domicile se font insupportables et le pont s’effondre, les liens qui ne tiennent plus qu’à un fil s’enflamment, alors dès sa majorité, elle quitte cette maison et s’installe avec des amis dans un appartement pourri, dans un quartier sordide. Elle commence à exercer en tant qu’aide à domicile – parce que malgré la colère qui bouillonne en elle, sa volonté d’apporter son aide aux gens est toujours plus forte, et ça se passe étonnamment bien, malgré son agressivité croissante, parce que sa douceur brute prédomine lors de son travail, alors qu’à côté, dans la rue, elle multiplie les altercations.

Et un soir,
elle perd la vie.

Le couteau de son opposant traverse sa paroi thoracique pour aller perforer plèvre et parenchyme pulmonaire. Puis il revient plusieurs fois se loger dans le creux de son ventre. Fou à lier, lui dit-on lorsqu’elle revient le lendemain. Elle hausse les épaules, faussement désinvolte. Elle s’est fait un nombre inestimé d’ennemis au cours de ses années passées à se détruire dans les rues. Celui-là était juste un peu plus expéditif. (mais elle en a tremblé pendant quelques jours encore, seule dans son lit, revoyant le bras qui prend de l’élan, la lame étincelante, et le sang qui gicle autour et en elle.)

Et si on a l’impression qu’elle n’a rien perdu, rien gagné de cette mort, elle a quelque chose en moins. Moins prompte à réfléchir avant d’agir, plus impulsive. Et ça finit par faire peur. La voir réagir au quart de tour et exprimer sa colère en frappant dans un mur sans penser aux conséquences sur son propre corps, ou se mettre à tabasser quelqu’un en un clignement d’œil sans se dire que c’est exagéré, sans se dire que c’est mal – ça en fait fuir. Et elle les a détestés. Et elle s’est détestée. Mais comment faire autrement ?

Et puis il y a toutes les autres choses, les paris et les larcins, les coups en douce juste pour prouver qu’on peut le faire, qu’on en est capable. Et un jour, elle se fait prendre sur son lieu de travail – une genre de grosse baraque, chez un riche et sa fille gâtée. Dans sa tête c’est un peu flou – est-ce que voler les riches, c’est une mauvaise chose ? Elle ne volait pas vraiment, c’était juste fouiller dans les placards pour voir s’il n’y avait pas quelque chose d’intéressant, c’était juste pour prouver à ses potes qu’elle pouvait leur rapporter un truc, n’importe quoi, peut-être des bijoux, je sais pas moi.
Mais elle n’a pas de problème, pas tout de suite. On la vire, tout simplement, et ce genre de comportement n’étant évidemment pas toléré, Rei se retrouve au chômage. Oh, pas longtemps, vous savez. Juste le temps de se faire mettre en prison pour homicide.

Et c’est le début d’un séjour sur Terre, privée de sa faculty – bien qu’elle n’en soit pas embêtée, au contraire. La prison ne l’aide pas à s’ouvrir, ne l’aide pas à contrôler sa colère. Elle frappe lorsqu’elle est énervée, finit souvent en cellule d’isolement, et les gens finissent par comprendre qu’elle ne doit pas être provoquée. Qu’elle pourra être votre amie que si vous ne faites rien pour la contrarier. Que son sourire lumineux peut vite se déformer en un rictus plein de rage, avec un œil brûlant où on ne peut lire aucun discernement.

Alors elle a acquis cette réputation, et elle a nourrit cette haine envers celle qui l’a mise en prison, envers cette cheffe de gang qui lui a fait perdre son travail et sa vie sur Mars – parce qu’elle n’a jamais tué ce sous-fifre de gang, elle ne l’a jamais vu, les photos qu’on lui a montrées rencontraient sa rétine pour la première fois. Et durant l’interrogatoire qui ne s’est pas éternisé, elle a revu les yeux de cette fille. Et elle a compris. Que dans le regard de Pheme Willis, la menace était tangible. Et qu’elle devait payer pour ce qu’elle avait fait.

Alors elle veut se venger. De s’être fait mettre en prison sur le caprice d’une fille pourrie jusqu’à la moelle. D’avoir perdu ces longues années de sa vie, à se détester parce qu’elle frappe, mais continuant quand même parce qu’il n’y a pas d’autre chose à faire, que la colère la rend impuissante à se contrôler, que la colère est la seule chose qui la maintient debout, que la colère engendre la crainte, et que la crainte la protège elle aussi. Qu’elle se tue à petit feu en essayant de survivre dans ce monde, qu’elle se donne envie de vomir dès qu’elle pense à ce qu’elle fait, dès qu’elle voit ses phalanges rougies, mais elle se dit qu’elle n’a pas le choix, alors elle ravale la bile qui remonte et elle serre les dents en retenant ses larmes, parce que la douceur n’a pas la place dans le foutoir qu’est devenu son monde. Parce qu’elle ne trouvera le repos que lorsqu’elle se sera sorti cette fille de la tête.

Alors quand elle se retrouve poussée dans une salle, menottée et surveillée de près par deux gardiens, qu’elle rencontre le Staff et qu’il lui offre la liberté en échange de missions en tout genre, avec comme finalité la fin des gangs, elle n’hésite pas. Elle accepte sans réfléchir aux conséquences. Tout pour se libérer des liens qui l’entravent. Tout pour goûter à sa vengeance. Tout pour reprendre une vie décente. Et tant pis si c’est mal. (mais l’est-ce réellement ?)

(j’allais oublier la chronologie les bb !!!)

1993 : naissance et abandon – trouvée et placée dans un orphelinat.
2000 : adoption par la famille Stone, la cohabitation est compliquée, on alterne entre de la maltraitance passive et de la maltraitance active.
2001 – 2014 : parfait son éducation dans la rue, apprend à se battre, à tricher, à se débrouiller pour ne pas perdre et s’en sortir – commence à boire – découvre peu à peu sa faculty mais ne sait pas la contrôler – continue en parallèle à participer à des missions de bénévolat – retape une année à l’école mais finit par avoir son diplôme et commence sa formation d’aide à domicile – obtient son diplôme un peu avant sa majorité universelle
2014 : a la majorité, se barre de sa maison et vit en coloc’ avec des amis – se fait tuer et ressuscite avec une once de discernement en moins – ne s’améliore pas, et tombe même de plus en plus bas et ne sait pas comment remonter
2015 : se fait employer chez les Willis mais se fait prendre la main dans le sac et se fait virer et menacer par Pheme Willis – arrêtée quelques mois après pour homicide, crime qu’elle n’a en réalité pas commis, sachant très bien qui est à l’origine de cette accusation – finit en prison sur Terre
2021 : se fait recruter par le Staff et retourne sur Mars