12 decembre 2021


Assis sur un banc, j’ai le nez rivé sur mon com, bombardant Kaith de messages et relisant nos conversations. Je regarde aussi l’historique de Luca, un pincement au cœur quand je vois le nombre de sms ignorés ou à peine répondu. En cette période étrange, où nos faculty ont disparues, je me dis que c’est vraiment la dernière des choses à faire que de l’éviter. Et pourtant. Ça fait 10 jours que je me force à fuir Luca.

Et je m’en veux terriblement.
Il n’a rien demandé, rien mérité de tout ça.

Je lève le nez vers le ciel, ferme les yeux pour inspirer un bon coup.
Il faut que j’appelle Kaith. Je dois lui dire que là, c’est trop. Luca et moi on fait partie du même gang et je ne pourrais pas indéfiniment lui envoyer vent sur vent. J’ai accepté d’aider Kaith et il m’a accordé sa confiance. Je me dois de l’honorer mais si on pouvait trouver une porte de sortie où au moins de quoi tous respirer je-

Soupire.

Mes mains tremblent.
Froncement de sourcils.
Je renifle, les narines brûlantes.
Je devrais vite rentrer.

Il y a un nombre bien trop grand de choses que je voulais faire, mais je n’y arrive pas. Je voulais rentrer chez mes parents pour voir Moony, m’assurer que tout se passe bien. Voir si eux aussi connaissent une perte de faculty. Où si on est juste piégé dans un champ restreint. Je voulais tous les revoir. Mais je ne me sens pas capable de me tenir.
Et je déteste ça.

Je renifle. Encore.
Mes genoux qui s’agitent.

Et puis Arthus a disparu. Et je me sens comme vidé. Triste. Beaucoup trop tenté de noyer cette perte dans un festin chimique.
Et je déteste ça.

Il faut que je bouge. Prendre l’air m’a fait du bien, du moins, c’est la thérapie que j’essaye d’encastrer dans ma tête. Mais je dois retourner en ville… pour éviter le QG ou même la zone des Banana Breads. En réalité, je crois surtout que je vais faire un crochet par le Sunset.

Je renifle.
Me lève.

Le vent souffle et bordelise ma crinière.
J’ajuste quelques mèches derrière une oreille quand mes yeux s'agrandissent et que mes pas s’arrêtent.

Oh non pas toi,
Luca.

12 decembre 2021


Et il est trop tard. Trop tard pour m’enfuir. Trop tard pour tourner les talons et prétendre que je ne t’avais pas vu.
Trop tard.
Ton regard capte le mien.

Merde.

Tu t’approches.
Un pas après l’autre pour avaler la distance que j’ai mise depuis une dizaine de jours.  
C’est mécanique, je suis désolé ; le sourire que tu vois apparaitre sur mon visage n’est qu’un vaste apparat que j’ai appris à ajuster.
Pour éloigner, rassurer.
Fuir.
Je suis désolé.

Tu ne mérites absolument pas ce manque de sincérité. Tu mériterais de connaître la vérité. Toute la vérité.
Égoïstement, je me déchargerais également d’un poids pesant.
J’ai eu l’impression ces derniers jours, de devoir jongler avec beaucoup trop de choses.
Toi, Kaith, Arthus, Louis, As’,
la perte de nos pouvoirs;
la joie et la désillusion.
ahah et mon loyer à payer aussi.
Retirer un facteur pour souffler. Je m’en veux de penser si égoïstement.

La culpabilité au creux de tes bras quand tu m’enlaces. Mais je suis incapable de te rejeter.
Et je ne parle pas seulement parce que tes mains me maintiennent en place.

Mon prénom puis ton envie de me parler sur tes lèvres tremblantes. J’ai le cœur qui se serre. Le rire factice et maîtrisé.

▬ Ahah ! Navré, j’ai eu beaucoup à faire ces derniers temps. Je retourne chez mes parents bientôt.

Des salades.
Et;
L’envie infâme de formuler une excuse pour te dire que non, je n’ai pas cinq minutes. Que j’ai un voyage à préparer.

Tu me coupes, fais voler les mots à peine pensés pour me dire que tu as vu Kaith.
Et ton regard dévie et se perd.

Merde.

Ce n’est pas étonnant et pourtant, j’avais espéré que tu viennes me parler d’autre chose.
Je ne sais pas quoi faire.
Pris entre l’envie de tout te dire ; subir ta colère et ta déception, subir celle de Kaith,
et te mettre en danger.
Ou bien mentir, nier, te jeter de la poudre opaque à la figure et te proposer un verre pour te consoler et continuer de te protéger.
Tu vas vouloir des réponses, Luca, n’est-ce pas ?

▬ Je sais. Il m’a contacté ce jour-là. Je t’ai ramené au QG.

Voie des aveux.
Mais si je ne fais pas attention, je risque de déraper. Même si l’envie est là, au moins pour te dire qu’il pense à toi.
Qu’il pense toujours à toi.
Qu’il ne vit que pour toi.


▬ Ca fait six ans Luca. Il est temps que tu tournes la page.

12 decembre 2021


Les mensonges qui tapissent l’intérieur de notre relation.
Infect.

Où sont passés les beaux jours ? Ceux des éclats de rire au QG ? Ceux où on s’embarquait mutuellement dans des situations ridiculement drôles ? Ceux où on allait flâner dans les rues, glaces à la main pour parler des nouvelles créations de Cosmo ?
Ceux où Kaith avait disparu de tes pensées.
Même l’espace d’un fugace instant.
Hein ? Où sont-ils passés ?

Mes yeux posés sur toi quand tes bras glissent de mes épaules. La surprise traverse tes iris bleus. Je me force à ne rien dire. Ne rien divulguer qui pourrait compromettre le plan de ta protection ajusté il y a déjà bien longtemps. Je n’aurais pas cru, en signant, que six ans après, les pièces n’aient toujours pas bougées.
Ce n’est pas la faute de Kaith, ni la tienne. Les évènements ont fait que. Et votre idylle est restée figée dans un passé beaucoup trop souillé.

Tu déglutis et moi, dans la honte la plus rongeuse, je détourne le regard. Je veux partir. Décamper.
Tout te dire.
Ne rien te dire.

Tu trembles. Et jadis je t’aurais pris dans mes bras, aujourd’hui j’ai juste l’impression de ne plus en avoir le droit. Que ça serait trop. Déplacé.
Comme réponse au froid que j’installe sans étreinte, tu serres tes bras autour de ta taille.

Les yeux ailleurs.
Renifle.
Fourre mes doigts instables dans mes poches.
C’est foutrement pas le moment.

Je lui ai parlé, oui.
Mais je ne te réponds pas.

Mais alors que je pensais déjà tout connaître, comme un tocard jouant sur deux tableaux, l’aveu de Kaith me surprend. Et je plante à nouveau mes yeux sur ta silhouette chétive.

Ne t’avoir jamais aimé ?
Lui ?
Il t’as dit ça ?

…
C’est donc la voie qu’il a choisi de prendre ? Un peu dure le virage.
Il m’avait bien tenu distant d’une telle cruauté.
Ahaha ! Et je suis pas le mieux placé pour penser de la sorte.

▬ Luca…

Il ment. Lui aussi.
Putain,
t’es vachement bien entouré pas vrai ?

Les mots de Kaith ont été forts. Vais-je devoir le suivre ? Tout ça pour te tenir à l’écart de tout danger.
Je me mets à ta place. J’ai mal pour toi. Tu es allé jusqu’à une telle extrémité; demander la mort auprès de l’être aimé. Tu es perdu. Perdu dans un brouillard si opaque. Sans phare pour te guider. J’ai tenu à jouer ce rôle pendant des années. Aujourd’hui le phare cille pour te laisser dans l’incertitude la plus dure.
Il y a des choses que tu ne peux pas savoir.
Que tu ne dois pas savoir.


Te dire que je suis au courant de la honte qui te submerge à l’instant ne va probablement pas t’aider.

▬ Écoute Luca. Je ne peux pas me mettre à ta place, mais je comprends que ce soit dur. Vous avez eu une belle histoire et tout s’est terminé du jour au lendemain. Il… il a fait un truc horrible. Il avait probablement ses raisons. Vouloir qu'il recommence pour t'aider... je. Je pense pas que c'était la meilleure solution.

Ses raisons,
je les connais.
Je ne dirais rien.

▬ Il ne veut plus te voir Luca. Accepte-le.

12 decembre 2021


Les mains qui tremblent dans mes poches, mes poings qui se serrent. Je vais bien.
Renifle.
Tout
va
bien.




Tes yeux rivés obstinément sur le sol quand tu me réponds.
Si, je sais que tu as souffert. J’étais là Luca. Je t’ai vu pleurer. Je t’ai vu hurler. Je t’ai vu t’oublier. Ta vie a basculé ce jour-là et tu ne sais toujours pas pourquoi. Il ne t’as pas simplement quitté, il t’as ôté une vie. Sans rien expliquer. Je le sais. Je ressens ta peine, peut-être un peu trop, depuis pas mal de temps. Tu as le droit de savoir, mais je n’ai pas le droit de t’en parler.

J’étais là pour lui aussi. Et ça me bouffe, en silence, de devoir me taire. J’ai l’impression d’être un hypocrite de première dans les moments où je te prends dans mes bras pour te consoler. J’en crève d’envie pourtant. Mais je n’en ferai rien. Si t’étais au courant, tu me regarderais différemment.

▬ Ce n’est pas quelqu’un de mauvais. Il a juste….

pété un plomb ?
voulu te sauver ?
te protéger ?

▬ … décidé de passer à autre chose.

Et là tu me diras, en riant d’un rire amer; que y avait d’autre manière de faire. Mes mots sont maladroits, probablement. Je n’ai jamais été un très bon funambule.

Tu relèves les yeux sans pour autant parvenir à me regarder. Les miens se perdent à leur tour sur le banc, sur lequel j’étais assis un peu plus tôt. Tu l’acceptes, dis-tu. Pourtant tu trembles, encore. Ta voix chavire et je sens que tu n’es pas loin des larmes. Ou bien de la rupture nerveuse.
Tu es sûr de toi ?

Il a refait sa vie.
aahhh... si tu savais. Y a pas pire mensonge. Il est comme toi, bloqué dans le passé, à essayer d’avancer, se convaincant que tout ce qu’il a fait et ce qu’il continue de faire, c’est pour toi.

▬ T’en es capable Luca. C’est juste que tu ne veux pas.

Pardon.

▬ Tu devrais sortir, rencontrer du monde, te laisser aller. Je comprends que ce que vous avez vécu soit précieux. Que tu penses ne jamais retrouver pareil ailleurs.

Je vous connais depuis l’école. J’étais spectateur de votre bonheur.

▬ Vis ta vie Luca.

Jamais je n’aurais pensé ressortir les mots tranchants que Moony m’avait asséné.

▬ Tu le mérites.

Toi plus que les autres.

12 decembre 2021


Enfin. Tes yeux remontent. Et c’est le moment que je choisi pour laisser ce banc de côté, ancrant mes prunelles dans les tiennes. Tu es tout frêle, si vulnérable. L’image du Luca d’il y a 6 ans se calque avec une facilité affligeante sur le Luca d’aujourd’hui. Tu sais, tu allais mieux. il y a peu. J’en suis persuadé. Je suis persuadé aussi qu’il y a des moments, des heures, peut-être même des jours, où tu n’a pas pensé à lui. Et ça t’avait aidé. Comme un brouillard qui se lève petit à petit…

Le sort qui semble vouloir s’acharner sur toi. Sur vous. Vous imposant des rencontres hasardeuses, vous replongeant dans le reflet d’un passé non résolu; entraves pour laisser avancer. Kaith te dit qu’il a refait sa vie, un moyen de t’inciter à en faire de même. De l’oublier. De te dire qu’il n’y a plus à l’attendre. Et que tu peux penser à toi, désormais.

Mes commissures qui frémissent, un peu par peine, pour dessiner un sourire.

▬ J’en suis certain.

Tu mérites le meilleur. Il n'y a pas à en douter. Et je sais que Kaith ne viendra pas dire le contraire. Je regrette de ne pouvoir rien faire de plus. La décision ne m’appartient pas. Ta mine s’assombrit encore et je m’en veux. Si je pouvais, je l'appellerais sur le champ où te mènerais directement à lui. Je n'en suis pas capable. Kaith serait furieux certes mais,
j’ai besoin
d’être
seul.

Je me déteste.

Tes mots qui me mordent et me rappellent la misérable personne que je suis. Obligé de mentir pour se couvrir de sa névrose.
Te voilà qui tourne les talons pour commencer à t’éloigner.

Ta silhouette, ta tête basse, tes mouvements lents. T’es à bout. Et je suis inutile. Je voudrais au moins te prendre dans mes bras. Au moins te serrer. Te rassurer. Te dire que c’est une mauvaise passe. Que je suis là même si aujourd’hui est un jour sans.

Allez, une dernière fois…

▬ LUCA !

Avant que tu ne partes.

Mes jambes avalent la distance qui nous sépare.
Ça hurle, hurle dans ma tête. J’ai si mal pour toi. Tu ne mérites pas tout ça.

▬ Prends soin de toi.

J’ai besoin de t’enlacer.

▬ N’oublie pas de manger un peu.

La voix posée, le sourire aux lippes et les paupières closes quand, ma main passe dans tes cheveux, ébouriffant ta tignasse de mes doigts.