petite enfance ☽ on est choyé, dans les bras de papa surtout, balbutie l’aise dont on se repaît dans le confort d’une vie sans aspérité. non, non,
tout va bien. tellement qu’on étouffe les drames triviaux pour prétendre l’entente parfaite. qu'on n’a pas le loisir de se poser les questions du gouvernement de cette planète sur laquelle on est nés et quelles questions
parce que tout va bien.lui-même n’a pas la vie tragique qui justifie la quête effrénée de danger et d’autodestruction, l’enfance est douce, loin du chaos rampant sur mars qu’on balaie d’un sourire offert aux voisins. on ramasse le journal sur le perron en peignoir et
on n’a pas de labrador mais il y sören qui étale la boue sur son passage
erre sans but et dévaste le salon, mais comment lui en vouloir alors qu’il a les yeux si vifs ?
regarde-le chérie, notre fils fera de grandes choses
regardez-le ! pourtant il ne fait rien d’extraordinaire, sören.
13-14 ans ☽ il secoue les puces sur le tapis et infeste le nid qu’on s’est créé dans le déni, on hérite des fréquentations batardes l'instinct turbulent qui fait crier maman sous les plis trop lisses de son brushing -
pourquoi n'est-il pas comme ses frères, hein ? qu'a-t-elle bien pu faire pour avoir un fils pareil ?
qu'a-t-elle bien pu faire de travers
elle qui a tout fait, lui qui a tout eu
pourquoi, sören ?
(non, non chérie - ce n'est qu'une crise, il va murir, apprendre de ces nuits qu'il ne raconte pas et des amours déviants tracés sur la peau)
oui ? c'est promis.
17 ans ☽ les premières disparitions n’entament pas l’auguste bonace
même quand les faits-divers pénètrent le pavillon propret, salissent un peu les rires surfaits
parce que tout va toujours aussi bien.
parce qu'on fait tout pour lisser les apparences craquelées, même quand il ramène d'autres chats de gouttières, même quand les yeux nervurés froissent le papier glacé de la maisonnée.
n'a-t-il pas promis, après tout ?
18-19 ans ☽ mais ce n'est pas assez. toujours pas assez - le sang qui pulse trop fort dans les oreilles ne gronde pas par-dessus l'ennui, alors on explore d'autres bas fonds dans lesquels il y a des mains plus petites
et les éclairs en leur creux fascinent autant que les étoiles blanches qu'on se passe entre les langues
éperduement.
23 ans ☽ et on se perd tant que cette fois, c'est assez ;
les murmures attendris ne suffisent plus à charmer les veines sur le front de sa mère, et ce n'est plus gérable, sören,
n'ont-ils pas tout fait pour toi ? alors on vient pleurer sur d'autres épaules, on échange les fièvres bienheureuses qui trempent les draps contre le répit dans ceux-ci.
on est la sangsue qui satisfait les grands garçons et
contente les affamés pour éviter la rue.
et les chemins pris de travers, les pas chancelants et la vue brouillée viennent se greffer aux fastes débridés du Sunset. on déploie les plumes dans le stupre pour en séduire le propriétaire et gagner sa place entre les corps suaves. on s'offre au rabais pour échouer un peu plus bas
-et ça n'a jamais été si bon.
25 ans ☽ mais ça ne peut plus durer,
regarde le soucis que tu nous causes, sören alors les papiers sont vite signés, promettent une nouvelle vie et des polos bien repassés (regarde, ils sentiront même la lessive)
mais les cures et le sevrage ne sont toujours pas assez.
ah, sören tellement de soucis
26 ans ☽ on entend le chant des violents comme sur la baie des sirènes alors on s'y échoue gaiement, offrant les étendues sulfureuses à celleux qui sauront quoi en faire (mais au fond, il n'y a pas grand chose qui anime le cœur que l'excès et les péchés embrassés trop fort pour tromper l'ennui)
et c'est si creux, à l'intérieur.
r e s u m e- né dans une famille recomposée d’un père veuf et d’une mère de deux garçons de dix et douze ans ses aînés. couple de commerçants eux-mêmes nés sur Mars, font tout pour sauver la face d’une famille irréprochable. foyer moyen dans un pavillon moyen construit de sueur et d’heures supplémentaires, il faut mettre la radio plus fort pour couvrir le bruit des tracas.
- mais sören s’ennuie de la complaisance chaste et du silence dans les oreilles qu’on couvre, alors commence à côtoyer ce que les œillères ne parviennent plus à cacher. son père défend son précieux, unique fils pour lequel il abandonnerait la raison et les preuves de la pente qu'il entame le sourire aux lèvres.
- quand les disparitions commencent et se rapprochent des connaissances du couple, des enfants de l'école, on fait comme si de rien n'était parce qu'on est des citoyens parfaits.
sören, un peu moins, car il s'aventure plus loin dans l'indécence, côtoie le jeune (futur) chef des peppery mango. et il se fascine pour les drogues dans lesquels ils se vautrent. pour l'œuvre, quelle qu'elle soit, qui luit entre les doigts qu'on lorgne sans discrétion.
- les yeux levés aux ciels n'essuient plus les menaces excédées de sa mère, le ton est sans appel et cette fois, il doit quitter la maison. il ne sait pas faire grand chose de ses mains, s'est toujours reposé sur sa belle gueule et le confort donné à la béquée alors cette fois encore, il croit s'en tirer en vivotant ça et là dans la vie des autres.
- la débauche trace un chemin la paume du chef des acid smoothies dans laquelle il danse docilement et s'exécute, rejoint le cartel et les beautés lascives. au palais et au maitre il n'a qu'à offrir l'étendue des extrêmes qu'on embrasse
car il n'a jamais été si libre dans la pénombre.
- mais l'errance ne suffit pas, et les retours à la maison qu'il négocie parfois sur l'amour de son père n'aident en rien la prise de conscience qui ne vient pas :
n'effacent ni le sourire idiot ni la mort planant en vieille amie sur les épaules inconscientes. alors les cures de désintoxication s'enchainent et prolongent les échecs qu'il inspire car les yeux rêvent encore les bacchanales.
- après quelques mois, finira par rejoindre les chili gazpacho pour se défaire des élans de normalité qu'on lui impose encore. sera rapidement intégré pour la folie dans les poings qui défont la chair avant que les mots ne passent les lèvres et déjà,
on ne sait pas s'il faut redouter les volutes insaisissables d'idées qu'on ne peut pas suivre ou l'instinct laissé béant
pour peu qu'on sache quoi en faire.