La douleur m'assaille. Elle me transperce. Tout mon être souffre, ne comprenant pas le moment présent. Dans le silence immobile d'un instant dans tes yeux, mon esprit crie et ne demande qu'une seule chose :
P o u r q u o i ?
Et lentement le film se rembobine.
L’enfance est simple et heureuse. Elle est remplie de pleurs et de rires d’enfant. Elle est entourée par la présence de deux parents bienveillants. Ceux-ci se sont rencontrés en arrivant sur Mars. Ils me racontent, le soir, des histoires et des contes qui alimentent mon imaginaire et me font poser des questions. Ce sont des questions dignes des enfants. Il n’y a pas de réponses vraies à y apporter :
Est-ce qu’on appelle la terre par rapport à la Terre ? Est-ce qu’on ne devrait pas appeler la terre la “mars” ? Est-ce que je pourrai devenir un papillon ? Car déjà la terre m’attire. Peut-être est-ce parce que mon pouvoir se lie à elle. D’ailleurs, la première manifestation de ma faculty me rend heureux, une première expérience dont la saveur est unique : un bonhomme de terre. Le tenant fermement dans mes petites mains, je le montre à ma mère. La fierté sur son visage, la joie sur le mien. Mon père n’a pas pu être là, retenu au travail, mais je lui montrerai une prochaine fois. Ma tristesse s’efface quand ma mère me sourit et me rassure : papa est un chercheur, un scientifique, pour la planète, pour l’avenir. Cependant, elle ne me dira jamais qu’il travaille sur certains sujets plutôt sensibles. L’absence de mon père se fait sentir, malgré tout il veille pourtant à passer un peu de temps avec moi chaque semaine quoiqu’il arrive.
Les années passant doucement, c’est l’ambiance en ville qui se transforme. Lors du soulèvement de 2007, je ne suis qu’un enfant de 11 ans qui ne comprend pas les raisons qui poussent les gens à agir de la sorte. Tout ce que je vois, c’est la peur sur le visage de ma mère. Mon père n’est pas là, mais quand les autorités calment la ville, il retourne à la maison. Et tout revient dans un ordre relatif.
Mon intérêt n’est pas porté sur la Terre, ni sur les mesures que nous subissons. Mon monde est ailleurs et bien plus simple. Déjà enfant, j’aimais les endroits verts, les forêts sur les photos souvenirs de mes parents, l’odeur de ces lieux. Une fois adolescent, ce sentiment ne fait que grandir. Mon passe-temps est le jardinage et le dessin, mais également cet ami de toujours. J’ai rencontré Kaith à la maternelle et depuis, nous passions le plus clair de notre temps ensemble. Je le considère comme mon meilleur ami, et pourtant, il y a quelque chose d’autre que je n’arrive pas à définir. La jalousie me met la puce à l’oreille quand il sort avec une fille. Je suis heureux pour lui, mais… Je ne suis pas heureux pour moi. Alors je me demande quelle est la différence entre l’amitié et l’amour ? À partir de quel moment la ligne entre les deux peut-elle basculer ?
Car Kaith hante mon esprit.
Je me persuade que ce n’est que de l’amitié, jusqu’à ce que je craque.
Le mois d’avril touche doucement à sa fin, nous sommes au milieu du printemps et quelques mois nous séparent de la fin du lycée. Après le cours de sport, le vestiaire se vide et bientôt il n’y a plus que lui et moi. Il me demande conseil en amour et je pousse un soupir. Je l’appelle alors par son prénom pour attirer son attention, puis dans un murmure, trois mots.
Je t’aime
En deux pas rapides, je me retrouve devant lui et, l’attirant contre moi, mes lèvres volent les siennes dans un baiser rapide. Le rouge s'empare de mon visage. Je recule, je veux fuir. Sauf qu’une main me retient et cette fois-ci, c’est lui qui m'embrasse. Mon cœur s’affole, mon esprit n’arrive plus à penser. Jamais je n’avais pensé que mes sentiments puissent être réciproques. Jamais je n’avais pensé qu’un baiser pouvait être aussi agréable. Jamais je n’avais autant désiré ses lèvres qu’après les avoir goûtées. Les hormones adolescentes s’emballent et soudain cessent quand la porte s’ouvre. Vite, s’écarter, reprendre son souffle. La voix du professeur et sa question avait à peine été entendue, mais la réponse automatique du “on arrive” était sortie de mes lèvres.
Je peine à réaliser et pourtant c’est la réalité.
Deux mois environ après avoir terminé nos études, nous nous installons ensemble. Ma mère est mitigée. Elle trouve que c’est rapide, mais en même temps, Kaith et moi nous connaissons depuis toujours pour ainsi dire. Le début de l’indépendance est comme un rêve qui alterne amour et plantes. Un carnet de croquis prend vie dans lequel se trouvent des végétaux en tout genre, des idées plus abstraites et lui. Il prend soin de moi, autant que je prends soin de lui. J'apprécie sa musique, comme il aime mes dessins. Et pour nos un an, je lui offre une boite à musique. Le cadeau peut paraitre vieux jeu, pourtant je sais à quel point il l'affectionne.
Ainsi va la vie pendant près de deux ans et demi.
Jusqu’au drame.
Une sortie pour faire les courses, il fallait des médicaments. J’avais laissé Kaith endormi chez nous. Cela faisait près d’une semaine qu’il agissait bizarrement. Il était bien plus collant que d’habitude. Je ne m’en plaignais pas, mais son trouble me touchait involontairement. Alors quand il se trouve enfin dans les bras de Morphée, je lui laisse un mot et m’éclipse. Je prends mon temps, je flâne et observe le ciel. Les couleurs étaient sur le point de changer sous la lumière déclinante en cette fin de journée.
Des bruits retentissent et des échanges de coups de feu se perdent, me faisant sortir de mes pensées. Je cherche refuge et en trouve un de fortune. Puis c’est une voix bien connue qui m'appelle et vient vers moi. Dans ses bras, je me dis que tout ira bien.
Mais soudainement, la douleur m’assaille. Elle me transperce. Tout mon être souffre, ne comprenant pas le moment présent. Dans le silence immobile d’un instant dans
tes yeux, mon esprit crie. Ma voix, en revanche, sort de ma gorge comme un murmure étouffé :
Pourquoi ?
Un simple mot, si difficile à prononcer. À la douleur physique est jointe la douleur mentale et je ne peux pas dire laquelle est la pire. Et je ne suis pas en état d’y réfléchir.
Mes yeux restent posés sur les
tiens, y cherchant une réponse quelconque.
En vain.
Les larmes s’écoulent, les jambes tremblent, le sang se répand.
Ma conscience commence à vaciller et j’essaie de la maintenir sur
toi. Mais lentement mon corps me lâche, me faisant comprendre que c’est la fin. Mes oreilles bourdonnent, ma vue devient floue. Est-ce dans
tes bras ou par terre que je m’effondre ? Quand est-ce que je me suis effondré ?
Et ma dernière pensée se désagrège tandis que ma main cherche
ta joue.
Je t’aime, Kaith...
Je meurs pour la première fois le premier novembre 2016.
De la main de celui que j’aime.
Poignardé en plein cœur.
L'étendue du ciel d'un milieu d'après-midi s’étend devant mes yeux quand je les ouvre. Je me redresse d’un seul mouvement et porte la main à mon cœur. Le souvenir de la blessure me tiraille, mais c’est lui que je cherche du regard. Nulle part. Évidemment. Combien de temps avait passé ?
Je m’empresse de rentrer chez nous. Sur le sol, je vois un couteau, du sang. Je panique. Je l’appelle. Je fouille les pièces… mais l’appartement est vide… Non seulement il n’est pas là, mais en plus certaines de ses affaires manquent également. La situation m’échappe totalement. Finalement je me laisse glisser sur le sol, dans la chambre.
Je ne veux pas réaliser.
Il n’a pas pu faire ça.
Tu n’as pas pu me faire ça.Il est mon tout. Il est celui qui me faisait vivre. Il est un amour passionnel et fusionnel.
Les larmes ne cessent de couler. J’ai l’impression de mourir à nouveau, mais différemment. J’ai besoin de savoir également. Tremblant, ma main saisit mon com. Des appels, en vain.
Alors je me traîne jusqu’au lit, m’y effondre et cherche son odeur pour me réconforter.
Sauf que je ne la trouvais pas. Ou plutôt, je ne la sentais pas.
La mort m’avait pris l’odorat.
Plus jamais je ne pourrais sentir le parfum de la terre, la douce fragrance des fleurs, les effluves de la peinture, son odeur…
La sensation de la lame était toujours vive dans mon esprit. À mesure que le temps s’égrenait, elle s’amplifiait. Que cela faisait mal, une lame, plantée au plus profond de mon âme.
Après pleurs et cauchemars, je tente à nouveau de l’appeler. Un appel, un message, mais jamais de réponse. J’essaie, encore et encore. J’espère une réponse, un contact. La fin ne peut pas se passer ainsi. Et pourtant, il me faut bien l’admettre quand la voix qui résonne à l’autre bout est celle annonçant que le numéro n’est plus attribué.
J’aurai pu aller le chercher dans son université, mais je n’en avais pas la force. Je me recentre sur moi. J’essaie de tourner la page, mais, par moment, mon coeur continue de saigner.
L’amertume me prend la gorge. Je ne peux plus sentir l’odeur de la trahison, mais son goût est acide, âcre, désagréable. L’amour et la haine sont les deux faces d’une même pièce. Il suffit d’un rien pour basculer. Et pour ne pas sombrer, je me mets à le détester. Alors pourquoi est-ce que je reste dans cet appartement qui me le rappelle ?
Pendant près de trois ans, il n’y a plus que les végétaux et l’art dans ma vie. Jusqu’à ce qu’on me fasse une proposition. Pas n’importe laquelle. Pas par n’importe qui. Cosmo en personne qui me demande de rejoindre les Banana Breads. Je l’écoute et je réfléchis. Je n’avais jamais été intéressé par cette forme de guerre qui déchirait la ville. J’avais toujours gardé mes distances. Cependant, les idées et les valeurs véhiculées par Cosmo trouvent écho en moi. J’accepte la proposition et je trouve une nouvelle famille.
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Résumé :22.08.1996 : Naissance de Luca
Son père est un scientifique qui travaille pour les autorités mais il ne le sait pas.
Sa première création de terre est un bonhomme de terre !
Lors du soulèvement de 2007, il est juste inquiet parce qu’il voit que sa mère a peur.
20.04.2014 : Il se met en couple avec Kaith (17 ans ).
Vers Septembre 2014 : ils vivent ensemble (18 ans)
01.11.2016 : Mort de Luca (20 ans)
Début 2020 : Rejoint les BB
2021 : Temps actuel.