La fraîcheur nocturne mordait le bout des doigts. Dans les lumières pâles de la rue minable, le duo avançait à pas prudent, Léto aux aguets. L’arme était à portée de main, le regard vif et Pheme Willis juste à ses côtés était bien la première de ses priorités. La route avait été courte, le moteur vrombissant agréablement quand Léto accélérait après avoir insisté pour conduire ce soir-là jusqu’à Aeria Area.
Observant les quelques bâtiments éreintés, le calme étrange face au capharnaüm constant de Venus Ville, Léto ne pouvait que se méfier, accueillir chaque pas comme un appel à la mauvaise rencontre. Resserrant la ceinture de son trench, elle soupira, tournée légèrement vers sa patronne, le sourire fin désormais habituel porté par les lèvres peintes.

– Bon, Willis, envie de me dire si vous avez une idée précise en tête ?

Entre les doigts, un paquet de cigarettes s’ouvrait et le briquet craquait dans l’air, brûlait le bâtonnet entre les lèvres. Les pas s’enchaînaient, la prudence restait de mise mais Léto, les armes toujours aussi familièrement lourdes sur le corps semblait bien assurée qu’elles sauraient bien se sortir de tout vacarme ici-bas. Expirant la fumée, l’ex-milicienne tendit une cigarette en offrande, s’arrêtant un instant dans leur ronde particulière.

– Je sais qu’on a ce truc avec les faculties mais avec ce bel intellect et tous ses plans, autant demander si vous avez une idée derrière la petite balade nocturne, surtout après ce truc pour Halloween.

Un regard sur les lumières lointaines des villes, pensif ; il y avait bien du remous et Léto sentait un tsunami venir, restait à savoir ce que Pheme Willis comptait en faire.

Le sang bouillait dans les veines, imperceptiblement quand l’être se fixait sur la silhouette à ses côtés, les hyènes décharnées autour d’elles. Léto n’avait d’yeux que pour Pheme et ses possibles ennemis, l’âme sourde à l’appel du métal au bout des doigts lorsque les lèvres s’étiraient d’un sourire satisfait. Il y avait des mots qui apportaient toujours le plaisir et ceux de Pheme ne la décevaient jamais.  Le revolver toujours bien logé contre elle, le chien de garde tenait la tête haute, fier de la maîtresse si diligente alors que les grands pas rattrapaient les talons hauts de la capitaine en quelques secondes.

– Bien sûr que vous n’avez pas qu’une idée, voyons, Willis, je ne me risquerais pas à une telle insulte. Je suis juste curieuse d’en entendre parler vu l’ampleur apparente du.. Souci.

Sourire fin sur les lèvres, la déréliction ne quittait pas la garde du corps mais la légèreté n’avait pas conquis uniquement sa patronne dans ce pas de deux régulier : Léto s’était jointe à la danse tranquille des jours paisiblement anarchiques au côté de Pheme. Il y avait dans ses sourires, ses regards ravis une allégresse nouvelle. Léto trouvait une plaisance supplémentaire à savoir qu’elle servait Pheme Willis : la femme la plus riche de Venus Ville, certe, mais aussi la seule qui avait passé une vraie laisse à son cou. Elle avait pris le respect de Léto au fil des mots, des mois et des gestes, aussi corrompue que l’ex-milicienne, aussi froidement stratégique. Et dans ces arrangements, au fil de conversations dans le calme calfeutré de son bureau, Léto y avait trouvé une loyauté supplémentaire à celle offerte par les billets. Alors qu’elles fumaient, le regard tout aussi affuté chez l’une que l’autre – oh la satisfaction silencieuse de voir Pheme se saisir si routinièrement de la cigarette– Léto ne pouvait s’empêcher de prendre l’arme au creux de la paume, juste sous la veste, jeter quelques regards froids malgré le sourire de façade quand elle semblait au cours d’une balade incongrue. Pheme tourna son regard vers elle, les mots crus, vrais, affamés et le pas s’arrêta.

Elle avait révélé dans ses mots une sincérité rarement si brute, de quoi arracher une surprise évidente dans les pupilles de la garde, juste avant qu’un plaisir non masqué ne s’étale au visage. Soupir amusé, le regard brillait d’une fatigue enchantée (toujours, toujours, le chien aux bottes), la main s’avançant pour se poser amicalement sur l’épaule délicate – pourtant si forte– de sa chère capitaine.


– Willis, Willis, que vais-je faire de vous mmh ? Vous allez encore vous faire une plumée d’ennemis que je devrais dégager de votre chemin.

Dans les silences, dans les regards pétillants, elle pouvait lire les non-dits : Léto la suivrait avec joie.

– Je vais finir par demander une sérieuse augmentation mais faites donc vos plans alors ; ils promettent toujours.

Les doigts quittaient l’épaule, flottaient un instant sur la couture de la veste, l’esquisse d’un sourire toujours aux commissures des lèvres.  Au dessus de la cheffe, le regard vit le nom sur l’écran, sourit à nouveau sans un mot, reprit le pas sérieusement, se concentra sur la faculty perdue face à la question pleine d’attente.

Et.
Au bout des doigts le frisson soudain, l’électricité qui courut rallumer la lumière.

Elle l’était sûrement depuis plus longtemps. Mais ce fut seulement à ce moment-là qu’un rictus pleinement satisfait couvrit les lèvres. La main se leva, le poing serré. Magicienne improvisée ouvrit la main, fit flotter une bague de son doigt jusqu’au creux de la main avec appréciation.

– Il me semble bien l’avoir retrouvée pleinement.

Une tension fugace se sentait sous la pulpe des doigts, le tissu précieux glissant sous la paume. Il y avait un souffle manquant lorsque déconcertée, Léto sentait la proximité nouvelle au dénouement des muscles sous sa main. Les lèvres s’étiraient d’un plaisir doux, une tendresse surprenante qu’elle n’aurait pas imaginé des mois auparavant : comment aurait-elle pu courber l’échine pour un autre maître que l’or coulé dans sa gorge ? Pourtant Léto se tenait désormais fière aux pieds de sa chère maîtresse, peut-être sans même avoir besoin de la laisse qu’était son avidité. Il y avait plus qu’une transaction ; un respect mutuel, un besoin vivace de protéger cette furie de tout, une pulsion irrationnelle au sein des rêves de Léto. Elle qui rêvait de tranquillité se retrouvait proche de comprendre le sacrifice. Alors quand les paroles s’échappèrent des lèvres, ce fut dans un rictus doux, la déréliction flagrante dans le regard lorsque les doigts pressaient imperceptiblement l’épaule. Le cerbère était bien délicat face à sa maîtresse.

– Je vais finir par être vorace si vous vous montrez toujours si généreuse, mais nous pourrons discuter de cette dite augmentation dans le calme de votre bureau ou de mon appartement, non ? Je sais que vous êtes friande de champagne mais qu’en est-il du vin ?  

Le souvenir de la chaleur de la capitaine en filigrane au bout de l’épiderme, Léto marchait d’un pas discret, gardait le sourire des animaux satisfaits par le contentement des maîtres. Le regard venait ricocher sur Pheme, les charognards autour d’elles, la rue décousue avec ses débris. Il n’y avait que le calme plat dans le chaos, aucun réel danger pour les deux femmes tant que leurs crocs restaient acérés. Mais la garde hocha la tête, chien docile approuvant les mots prudents, une main sur la crosse du revolver dans sa poche.

–  Je ne comptais pas traîner ici, ça reste peu agréable.

Le sourire amusé flottait sur les lèvres, fut outrepassé par la surprise à la saisie du bras par la serre de Pheme. Encore la stupéfaction du confort qu’avaient les gestes, si nouveaux et pourtant si confortables, sûrs, comme s’ils avaient toujours été naturels. Si les muscles s’étaient un instant tendus, Léto laissa le corps se conforter dans l’entrain de sa patronne. Molosse au bout de sa laisse, elle se laissait entraîner, l’ombre d’un sourire au visage quand elle hochait la tête.

– Faisons ce dernier tour en vitesse et on verra donc pour ce verre après. Vous me parlerez plus de vos projets d’avenir à ce moment-là si l’envie vous prend Willis.