Viktor n’aimait pas vraiment venir au QG des Carottes Cakes. On lui avait filé un bureau, mais il y avait toujours trop de monde. Trop d'humains. Les saluer, faire l’hypocrite social. Sérieusement, ça gavait profondément le misanthrope. Mais il y passait quand même, pour remplir les informations qu’on lui demandait. Pour montrer qu’il ne foutait rien. Même si franchement, à part aux soirées, il faisait tache parmi ses costards cravates pompeux. Déjà que son âge physique attiré les regards, on ne peut pas dire que sa chemise bleue avec des petits chiens dessus soit très discrète.
Toujours accompagné de ses deux chiens, il arriva au dernier étage, et il prit le couloir menant à son bureau. Mais arrivé devant la porte, le vieux malinois se mit à grogner. Depuis sa première mort, Filipp avait développé un excès de protection pour son maître et avait tendance à grogner souvent. Mais il savait que son ami ne l'autorisait pas à sauter à la gorge des gens sans en donner l’ordre. Viktor lui caressa la tête pour le rassurer et ouvrit la porte.

C’était River, le petit nouveau du gang. Enfin, nouveau. Cela faisait six mois qu’il était membre. Wagner, le doberman noir, entra en premier, passant à côté du jeune homme pour s’asseoir à côté du bureau. Il le regarda d’un air curieux.
─ Que fais-tu là, River ?
─ C’est qui lui ! Il n'a pas à être ici ! J’vais le défoncer ! Grogna le malinois.
─ Calmes, il est avec nous.
─ Il a l’air de flipper sa race le bougre, aboya Wagner.
Viktor regarda le jeune homme qui, en effet, n'avait pas l’air bien. Regardant dans la même direction que lui, il tomba sur le petit rat noir sur son bureau.
─ Oh… Tu as peur de Ravel ? Il n'est pourtant pas bien méchant.
Old Man s’approcha du rat pour le glisser dans sa poche. Il avait un peu de mal à comprendre comment on peut avoir peur de ces petites bêtes douces et intelligentes, mais c’était souvent une peur innée chez les humains. Encore une de leur tare.

Le vieux loup s’assit sur son bureau pour revenir sur River. Attendant sa réponse maintenant que la source de son effroi avait disparu de son champ de vision. Mais ses yeux remarquèrent l’enveloppe.
─ Oh je vois. Tu veux me rendre l’enveloppe ? J’apprécie. T’es une personne honnête.
Combien de personnes ici auraient gardé le fric sans chercher à comprendre leur bienfaiteur. Ce genre de geste était assez rare sur Mars.
─ Mais, je l’avais donné à Lobo, il est d’accord pour que tu me la rendes ?
Il esquissa un sourire taquin, sachant que la question était étrange.
─ Blague à part il s’alluma une cigarette, t’as pas à me la rendre, tu sais. Donné, c’est donné.
Il haussa les épaules. C’était juste un caprice de sa part, parfois, il avait juste envie d’aider sans retour. Viktor n’avait rien à voir avec les requins qui composaient le gang et aimant vivre dans l’opulence de la richesse. Non, lui aimait leur arracher leur fric, mais au fond, il s’en foutait un peu. À la base, c’était juste un scientifique qui avait eu assez de renommée pour s’enrichir malgré lui.

River refusait l’aide de Viktor. Au début étonné, il finit par comprendre son point de vue. Ce n’était pas étonnant ici. Vu sa position, c’était normal de se méfier. Mais, était-ce juste qu’il endosse une dette qui n’était pas réellement la sienne. Le jeune homme était dans cette situation à cause de son oncle, d’après les dires de Lobo. Non. C’était à cause de ce système de dette véreuse qu’il était dans cette situation.
Old Man tendit la main pour récupérer l’enveloppe, regardant rapidement le contenu. Honnête jusqu’au bout, il ne manquait rien.
─ Pourquoi je t’aide ? Je ne sais pas. Une envie. Cependant, détrompe-toi, je n’attendais rien en retour. Mais j’oublie que la politique en vigueur ici, c’est qu’aucune aide n’est sans intérêt personnel.
Ses yeux revinrent sur River tout en tirant sur sa cigarette. Le vieux loup n’était pas toujours en adéquation avec le monde de Mars. Trop temps vécu sur Terre avec des lois moins, criminels. Trop de temps sacrifié pour améliorer la vie de l'humanité et de mars au détriment de la sienne.

Le gamin n’avait pas l’air très à l’aise, alors qu’il n’y avait aucune raison. Il faut dire que ça ne doit pas être facile. Il commençait à prendre congé, quand une idée vint dans la tête de Viktor.
─ Attends. Puisque tu refuses de l’aide gratuite, j’ai une proposition à te faire. Tu peux évidemment la refuser.
Il tapota les cendres dans un cendrier posé sur son bureau, jetant un coup d'œil à Wagner avant de revenir sur le jeune homme.
─ Deux fois par semaine, je fais le tour de la ville pour nourrir mes protégés qui y habitent. Un job pas bien difficile qui se résume à une petite balade, mais cette semaine je n'ai pas trop le temps. C'est faux. Tu as juste à déposer de la nourriture à plusieurs points. Et on dira que l’enveloppe est ton salaire pour ça.
C’était un bon deal, bien plus tranquille que ce que pouvait demander le gang habituellement.
─ Au moins, tu ne te mettras pas en tête que tu as une dette envers moi. Non ?

Viktor marqua l’intérêt du garçon, qui resta pour l’écouter. Par choix ou par sentiment d’obligation, l’écart était minime. Mais qu’importe. Le vieux loup esquissa un grand sourire chaleureux quand il accepta sa proposition et ne fut pas vraiment étonné par sa question.
─ Ca ne m’avance à rien, en effet. Juste les résidus d’une époque où j’ai sacrifié ma vie pour que les martiens vivent correctement sur cette planète.
Viktor avait beau être misanthrope, il aimait aider les autres. Il a œuvré une grande partie de sa vie sur mars pour que les gens qui y vivent puissent se nourrir correctement. Pour que cette vie fonctionne. Et ce, sans regarder le temps qu’il y mettait et le salaire qui, certes était conséquent, mais ne valait pas tous ses sacrifices.
Alors non, il n’était pas de ces membres de gangs à exiger des choses aux plus bas dans l’échelle. Où du moins, si demandait un service, rarement, ce n’était pas obligatoire. Mais tout ça, il fallait le savoir, mais il parlait très peu de lui. On le remarquait juste en le fréquentant. À cela, on ajoutait qu’il n’était pas chez les Carottes Cake par appât du gain, mais pour leur protection. Il avait aussi ses dettes. Mais il les avait choisies et les assumait. Là où River les subissait dans l’injustice.

Il esquissa un sourire amusé quand il parla de Lobo. River aimait son chien, et ça se voyait. Une autre raison de l’intérêt que lui portait Viktor. Les gens qui aiment et prennent soin de leurs animaux sont dignes de confiance à ses yeux.
─ Ah ah ! Non. Mais il m’a juste touché.
Il écrase finalement sa clope dans le cendrier.
─ Tu ne le sais peut-être pas, mais ma faculty, c’est de comprendre et parler aux animaux. Et Lobo est du genre bavard. Il t’aime beaucoup et est triste de te voir autant galérer. Tu n’as qu’à te dire que c’est lui que j’aide plus que toi.
Il marqua une pause.
─ A moins que t’ai peur que ton chien ait une dette envers moi.
Il se mit à rire, car bien sûr, c’était une blague.