La journée a été relativement calme à l’atelier, je suis arrivé avec une dizaine de minutes d’avance et comme à son habitude, les clients ont afflué avec une allure irrégulière, certains passaient pour acheter plusieurs bijoux, d’autres simplement passaient pour venir voir ce qui avait été fait de neuf. Je ne cache pas que si j’avais été à la place des vendeurs, beaucoup des clients m’auraient probablement tapé sur le système à venir juste pour observer, mais c’est leur petit rituel et certains finissent tout de même par nous prendre quelque chose ou nous ramener des clients. Je ne suis pas le seul dans l’arrière-salle à m’occuper de la confection des bijoux, mais c’est toujours extrêmement agréable de voir à quel point nos créations peuvent être appréciées.
Pourtant je sais que je n’étais pas prédestiné à ce métier, c’était un pur coup de bol que j’ai été pris dans cette boutique et que mes performances aient pu convenir. Même si c’était un travail de préparation et de précision intense, j’ai eu de la chance de savoir y faire et à apprendre rapidement sur le tas, comme si ça avait été ma destinée. J’ai passé la majeure partie de ma matinée à préparer mon matériel et à vérifier la conformité des instruments et très vite après, je me suis attaqué à la confection de nombreux bijoux, beaucoup de bagues, vu que c’est souvent ce qu’on nous réclame le plus, c’est facile à porter et c’est souvent plus agréable que les colliers, boucle d’oreilles et bracelets. Je serais loin de la vérité si je disais que je ne pas non plus un grand fan de bagues, étant donné le nombre de celle-ci qui trônent sur quasiment chacun de mes doigts.

Après la pause du midi, comme d’habitude, je suis un peu plus las et mon travail se fait beaucoup moins actif. J’ai également reçu un SMS de la part de Khaïne pour me prévenir qu’une amie à lui risquait de passer pour voir ce que nous avions en stock. Je ne me suis pas posé plus de questions que cela, après tout, même si une partie de ce que nous présentons est ma création, je ne suis pas un employé vitrine de la boutique.
Pourtant, après avoir entendu plusieurs tintements de cloche dans le magasin et après quelques minutes de calme, j’entends une petite voix demander à me voir, avant même que mon collègue ne m’appelle, je fais rouler ma chaise jusqu’à l’encadrement de la porte et l’observe.

— J’entends mes oreilles siffler à l’autre bout de la pièce. Tu dois être la pitchoune dont Khaïne m’a parlé. Abell, en chair et en os !

Je me relève de mon siège et l’envoi un peu plus loin derrière moi avec mon pied, avant de me rapprocher de ma nouvelle cliente. Je n’ai pas pour habitude d’être en contact avec eux, même pour les commandes, j’ai plus l’habitude de voir les détails par mails, mais quand je sais que ce ne sont pas des clients lambdas, j’essaie de faire un peu plus qu’acte de présence.

— Dis-moi ce que je peux faire pour toi, il te faut quelque chose en particulier ? Le frangin ne m’a pas donné plus d’infos que ça, si ce n’est que tu passerais probablement nous voir. Je pointe la pièce dont je viens de sortir, par-dessus mon épaule. Au besoin, on peut aller en discuter derrière.

Je la vois rougir doucement, mais n’en fais pas une formalité. Depuis le temps, j’ai compris que mon physique ne reflète peut-être pas correctement mon âge et que certaines appellations peuvent paraître bizarres pour certains. Tant pis, j’imagine, je ne me cache pas d’approcher la quarantaine quand on me pose la question. J’ai un gamin proche de la vingtaine, quoi, même si je n’en ai pas l’impression, je commence à me faire vieux.
Elle répond poliment à ma présentation, bien plus poli que je ne l’ai pu être quand j’avais son âge et j’ai encore un langage bien fleuri à l’heure qu’il est. Avec ce qu’elle me dit, j’imagine sans mal qu’elle a été brevetée concernant le comportement à adopter en présence d’inconnu, déformation professionnelle. J’ai déjà en tête quelques idées pour ce qu’elle recherche, mais si elle a quelque chose de plus particulier en tête et ça avait l’air d’être le cas, alors j’en ferais mon affaire. J’ai vu des clients assez excentriques, des petites divas et je m’en suis toujours plus ou moins sorti, bien heureusement je ne crois pas risquer quoi que ce soit avec elle. Elle n’a pas l’air d’être le genre péteux qui pourrait me donner envie de la renvoyer. Après tout, je fais confiance à mon frère, il ne me l’aurait pas envoyé s’il n’avait pas confiance en elle et en moi pour collaborer.

Lorsqu’elle m’annonce qu’elle souhaite bien en discuter, je l’invite en lui laissant l’honneur d’ouvrir la marche jusqu’à mon bureau. Je tire une chaise pour elle et viens m’asseoir à ses côtés.

— Alors, dis-moi ma puce, qu’est-ce qui te ferait envie ? Est-ce que tu as un projet défini ? Peut-être que le thème de ton shooting pour ton shooting. J’attrape mon carnet sur la tablette sous le bureau et cherche un stylo du regard. D’ailleurs, je vais peut-être commencer par te demander ton prénom, ça serait probablement plus poli.

Je finis par trouver un crayon non loin de moi et met en position pour écrire, sans la quitter du regard. Une mauvaise habitude que j’ai depuis longtemps et qui en déconcentre plus d’un. Je n’ai jamais réellement eu besoin de visualiser ce que j’écris. Ce n’est pas aussi parfait que ce que j’avais en tête, mais c’est lisible.

— Je suis prêt à noter. Par ailleurs, je tenais à te dire que tes yeux me font vraiment penser à des rubis, c’est mignon.