Spoiler:

- Évoquez votre enfance, je vous prie Monsieur Osborne. Il est né sur Terre, dans une ville nommée Rochester, en Angleterre. On pourrait dire qu’il n’en a gardé que peu de souvenirs, mais ce serait mentir. Depuis que son pouvoir s’est développé, il est capable de retourner dans ses plus jeunes années. Non pas qu’il soit accablé par la nostalgie, par une envie de retourner sur sa planète natale. Ce monde est devenu pauvre, dénué d’intérêt et sa vie enfant n’avait rien de bien fabuleux. Vous êtes sévère avec votre planète de naissance. Il n’a pas envie de s’étaler sur le sujet.

- Il faut bien commencez quelque part… Vous avez forcément de bons souvenirs sur Terre ? Un seul. Sa vie a pris un tournant lorsque ses parents, tous les deux militaires accomplis et gradés, parviennent à amasser la fortune suffisante pour que tous les trois déménagent sur Mars. Le Staff de The Earth a besoin de soutien, d’hommes et de femmes capables de mater tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la rébellion. Moyennant la coquette somme de cent cinquante milles dollars, les Osborne peuvent quitter la Terre.

- Parlez-moi de ce grand bouleversement dans votre vie… Quel âge aviez-vous ? A ses onze ans, en 2007, il découvre cette planète dont il a tant entendu parler. Partagé entre une certaine excitation et un mutisme militaire imposé par son père, il ne fait aucune vague, ne sort pas des rangs, ne détourne pas les règles. Il suivra une éducation stricte, formatée, imposée. L’enfance et l’adolescence sont propices aux expériences, bonnes, mauvaises, aux bêtises… Pourquoi tant de sérieux ? Seul enfant des Osborne, militaires brillants et excellents dans tout ce qu’ils entreprennent, il se doit de suivre le même chemin. Ses journées sont rythmées par l’école et les entraînements. Pour lui, pas d’autre avenir que la Milice. Il doit être un soldat pour The Earth. Jamais il ne se rebelle, jamais il ne contredit : son père ne lui en laisse pas le choix. Auriez-vous peur de votre père ? Son avis compte-t-il plus que vos désirs ? Il répond qu’il n’a peur de rien, un automatisme.

- Comment s’est déroulé votre formation militaire ? Il n’est pas aussi fort que son père, pas aussi intelligent que lui. Il a des manies, des soucis. Qu’il est décevant ce fils Osborne, un autre enfant aurait sans doute fait mieux, si seulement son épouse était capable de retomber enceinte. Tant pis, se contenter de lui, le formater, encore et encore. L’envoyer sur le terrain, encore et encore. L’entraîner encore, encore, encore. Il doit devenir un soldat d’élite, il doit être source de fierté. Pourquoi ne pouvait-il pas être plus musclé, plus puissant, plus rapide ? Pourquoi devait-il être un nid à tocs, incapable de travailler en équipe, pas aussi bon que souhaité ? Pourquoi n’était-il pas capable d’user de cette faculté pour l’intérêt de la Milice ? Père est déçu mais lui il est persuadé d’être un modèle de perfection. Il excellait, il excelle, c’est tout. Il n’avait pas besoin de la Milice, la Milice avait besoin de lui.

- Pourquoi la Milice aurait besoin de vous, Monsieur Osborne ? Malgré ses failles, il est dans les petits papiers. Papa et maman, ça aide. Et puis il n’est pas mauvais. Il n’est pas hors norme, mais il se débrouille et s’avère utile. Si vous lui demandez, il vous dira qu’il sort du lot et surpasse tous ses collègues. On a besoin de lui, de toute personne qui suit la dictature, de toute personne prête à faire taire les grondements de l’opposition. Lui, il s’en fiche, lui ce qu’il veut c’est monter en grade. Il n’est pas un simple soldat, il le sait. Il est ce sauveur dont Mars a besoin. Il est cet être supérieur dont ils rêvent tous. Il a sa place au sommet pour régir ce monde. Est-ce votre rêve, ou le désir de votre père ? Est-ce une lubie folle, ou son seul moyen de rendre fier Papa ? Cette question n’est pas pertinente, se contente-t-il de répondre.

- Votre vie a pris fin lors d’une mission… Pourquoi s’arrêter sur cette année 2018 ? Pour faire tout un plat d’une mort ? Sur Mars, on peut bien mourir trois fois, alors à quoi bon. Qu’il était pénible ce psychologue à lui demander de verbaliser. Il n’avait pas lu le rapport, voulait connaître les moindres détails de cet échec cuisant ? Il voulait savoir de quelle manière son œil avait disparu ? Sentiments, émotions, regrets, n’enfouissez pas Monsieur Osborne, vous... le regretterez. Il ne regrette rien. Il ne regrette pas la mort de certains des Miliciens présents ce jour-là. Il ne regrette pas d’avoir perdu son œil, crevé par un débris d’explosion, il voit très bien de l’autre. Vous qui n’aimez pas les anomalies, cette asymétrie ne provoque rien en vous ? Qu’il se taise, lui dit Paranoïa, il ne sait rien de toi. Alors il l’ignore et se contente d’accentuer la tension dans sa mâchoire, signe qu’il est fermé au dialogue. Vous mentionnez une menace, un homme, c’est bien cela ? Parlez m’en, ne le refoulez pas, je sais bien que vous vous en souvenez, vous ne pouvez pas faire autrement. Il lui répète ses derniers mots. « Dégage de là, Blondin ! » Un rebelle, ni plus, ni moins. Dans une acte désespéré il a hurlé à plein poumons un avertissement, une intimidation. Il a le mauvais rôle, il est Milicien et lui probablement un vaurien. C’est ainsi qu’il s’en est souvenu. C’est ainsi que Paranoïa lui a conté ses derniers instants avant sa mort. Est-ce la vérité, en êtes-vous sûr ? Il s’en souvient, il ne peut pas faire autrement, lui rappelle-t-il alors.

- Il y a eu votre convalescence, votre reprise du travail et puis… L’année de ses vingt six ans, en avril 2021, son travail disparaît, en même temps que la Milice est démantelée. Il sait qu’il va venir sur le sujet. Après tout, c’est à cause de cela que sa mère l’a implorée de suivre cette thérapie avec ce guignol intrusif. Votre nouveau travail vous plaît-il ? Évidemment. Lui qui était un militaire, trouve un grand plaisir à intervenir sur la maintenance des dômes. C’est bien connu, cette reconversion professionnelle de dernière minute est source d’une grande satisfaction. Je sais que ce n’est pas le travail de vos rêves, mais vous avez choisi cette vie. Vous auriez-pu retourner sur Terre avec vos deux parents, vous en aviez la possibilité. Pourquoi rester ? Pour demeurer sous le joug de son père, constater le dégoût et la déception dans son regard, posé sur son cache œil ? Il a un avenir ici, il le sait. Mars a besoin de lui. Mars a besoin de toi, ils ont besoin de toi, ronronne Paranoïa. Cela, c’est vous qui vous en êtes persuadé. Nous tournons en rond Monsieur Osborne. Vous ne ferez pas de progrès en continuant sur cette lancée. Il n’a pas besoin de progresser. Tu es parfait. Elle est là, cette anomalie, qui le dérange et le hante. Je ne sais plus comment vous aider, j’atteins mes limites. Et lui, les siennes. Cette thérapie grotesque lui coûte un bras. C’en est fini.

*****

Au diable ce charlatan. Il est comme les autres, jaloux, menteur, destructeur. Il retourne chez lui dans son deux pièces minimaliste, bien loin du faste dont il l’avait l’habitude grâce à ses parents. Ils ne sont plus là, ils sont repartis sur Terre. Il n’a pas besoin d’eux pour être brillant et assurer son avenir. Il n’a besoin de personne. Tu es ton propre astre solaire. Il fait pourtant partie d’un gang. Tu ne travailles pas vraiment pour eux, tu ne fais que profiter d’un peu de protection. Il est sale, si sale. Il a pactisé avec ceux qu’il voulait mater. Tout changera. Il est tombé si bas. Tu n’avais pas le ch- Qu’elle se taise ! Elle aussi lui veut du mal ! Tous ! Il n’y a que MOI qui compte ! Il fatigue, il fatigue. Il se souvient qu’avant sa mort, il n’avait pas cette voix, pas cette charge mentale. Il regrette ce temps, finalement…

Spoiler: