Tu regardais l’autel délabré. Les murs en ruines, la charpente apparente. La lumière s’échappant à travers les trous dans le toit. Contemplant le silence qui résidait en ces lieux. Contemplant l’air sacré qui demeurait en son sein. Il y avait une certaine beauté dans l’effacement tragique du temps sur cette œuvre imparfaite. Malgré les intempéries, malgré l’abandon, malgré les âges, elle avait perduré. Du mieux qu’elle pouvait.

Comme à ton image. Cette vieille bâtisse. Cette vieille église était comme toi. Même brisé, même épuisé par le temps. Tu demeurais fidèle à tes principes, loyale envers ta famille. Indomptable, tu resteras debout, jusqu’à la fin. Et ce, quand bien même ton corps s’effritera en morceaux.

C’était la promesse que tu lui as faite.

Le sermon que tu leur as donné.

Ce dévouement, rien ni personne n’allait en venir à bout. D’autant plus maintenant que tu avais pris la place du Capitaine. Tes responsabilités ne faisaient que de grandir, le pois sur tes épaules également. Tu te tenais droit, un sourire radieux sur le visage. Comme si tout allait bien. Comme si tu pouvais tout supporter.

Pendant combien d’années encore ?

Tu t’assis sur un banc en miteux état, l’un des seuls ayant résisté à ce cruel destin. Le regard dans le vague. Tu pensais à cet avenir, au destin de tous. Maintenant, tu n’avais plus seulement ta vie entre les mains. Tu voyais chacun d’entre eux. Chaque visage, chaque membre des BB. A chaque instant. Ils occupaient tes journées et hantaient tes nuits.

Tu n’avais jamais pris la peine de réfléchir au sujet de la religion. C’était un débat que tu avais longtemps ignoré, totalement désintéressé. Pourtant, tu n’étais pas complètement fermé à cette idée. Loin dans ce monde, caché aux yeux de tous, s’il existait réellement une force supérieure, alors tu priais pour qu’elle t’accorde son soutien. Qu’elle te donne la force d’avancer malgré tout.

Puisses-tu avancer malgré les embuches, les peines et les douleurs. Puisses-tu avoir à jamais la force de te battre pour les tiens. Farouchement, comme tu l’avais toujours fait jusqu’à présent.

Mais si jamais elle pouvait formuler un souhait. Un seul. Elle ne le ferait pas pour elle. Elle souhaite seulement voir sa famille vivre heureuse, sans avoir à souffrir et se battre davantage. Qu’ils puissent enfin vivre la vie qu’ils méritent. Tous autant qu’ils sont. Si jamais un gang mérite un tel rêve, c’était bien les BB.

Si tu devais un jour sacrifier tes quatre vies pour que ce rêve se réalise. Tu n’hésiterais pas un instant. Quitte à sauter sur l’occasion, ton sacrifice seul en valait largement la peine.

Attrapant une fleur à tes pieds, seule petite créature grandissant au milieu des mauvaises herbes. Éclats d’espoir dans cette ville infernale. Laissant à nouveau ton esprit partir. Le temps d’une réflexion.

Une bouffé d’espoir. L’espoir de voir ce rêve se concrétiser un jour. Un sourire effleura les lèvres. Si cet espoir existe. Il méritait bien que tu te battes pour lui.

Et ce.

Quel qu’en soit le prix.

Perdu dans tes pensées. C’est à peine si tu l’as senti s’approcher. C’est à peine si tu as remarqué sa présence. Plongé dans ton royaume intérieur, tu regardes en silence, cette fleur, qui s’effile et qui s’envole. Au grès du vent.

Jusqu’à ce qu’une voix, vint te sortir de ta torpeur. Te ramenant à cette brutale réalité. A cette terrible fatalité.

Un regard en arrière et tu la vois. Cassiopée, la jeune femme aux cheveux d’argents, toujours ce genre de chapeau sur la tête. Elle aussi, tu voyais son visage. Elle aussi, dans cette grande famille.

Bonjour Cassie.

Une voix venue d’ailleurs. Tu regardes à nouveau devant toi, mais la fleur que tu tenais n’était plus là.

Je vais bien. Et toi ? Qu’est-ce qui t’amènes ? Tu voulais me voir ? Ou le hasard t’as conduit à moi ?

Un soupir intérieur. Tout allait bien. Pour l’instant. Tu savais que cette paix, ce calme, cette tranquillité, tout ceci n’était qu’éphémère. Qu’un instant passager, avant de retomber dans la turbulente tempête du quotidien.

Parfois, tu regrettes que tout soit aussi simple. T’aimerais pouvoir agir. Rêver de pouvoir faire quelque chose pour les tiens.

Si tu as le temps ça te dis de te poser avec moi ? Il reste un peu de place sur mon banc.

Tu te retournes à nouveau, tout sourire cette fois. Un sourire chaleureux, rayonnant. Ton expression d’habitude. Ton expression d’avant.

A moins que tu ne sois pas à l’aise dans un tel endroit. Auquel cas, on peut aussi aller ailleurs.

Ou bien elle ne souhaitait pas passer du temps avec toi, elle avait peut-être mieux à faire, elle. Que ressasser le passé et les questions qui la hante. Toi aussi tu devrais chercher une réelle occupation. Quelque chose de concret. En lien avec ton statut. En lien avec tes obligations.

Tu n’étais plus libre à présent.

Mais c’est une question de point de vue.

Tu t’es toujours enchaîné.

A tes proches.

Ce genre d’endroit ne la dérange pas. Une évidence, maintenant que tu l’entendais à voix haute. Tu te doutes bien qu’elle ne serait pas passé dans le coin si elle avait une profonde aversion pour un endroit tel que celui-là. T’étais tellement perdue dans tes pensées que t’en oublia toute logique, jusqu’au monde autour de toi.

Elle accepta ensuite ta proposition, prenant place à tes côtés. Comme si de rien était. Tu la dévisages avec un sourire, cherchant au passage un excuse pour échapper à tes lourdes pensées. Cherchant une échappatoire à toutes ces craintes et appréhensions qui restaient bien enfoui au fond de toi.

Oui, ça me fait plaisir de croiser quelqu’un.

Même si parfois tu recherches un instant de calme et de tranquillité. Parfois, t’aspirais à seulement avoir un moment pour toi. Mais pour le coup, présentement, tu voulais juste voir du monde. Parler à quelqu’un. Ne plus avoir à te perdre dans toutes ces histoires. Ne plus avoir à errer dans ton esprit.

Alors sa venue salvatrice était comme un signe. Un phare dans la nuit d’ébène qui te hante. Un espoir dans toutes ces interrogations qui te harcèlent jour et nuit. Juste une flamme, au bout du tunnel.

Tu ne me déranges pas, t’en fais pas.

Tu prends un air radieux, affichant au passage ton plus beau sourire, ton sourire le plus sincère possible. Bien au contraire, elle ne te dérangeait pas le moins du monde, elle venait de te sauver.

On n’a pas souvent eu l’occasion de discuter ensemble en plus. Maintenant que j’y pense, c’’est l’occasion parfaite non ?

Elle n’était pas arrivée il y a bien longtemps dans le gang après tout, comme d’autres, tu apprenais encore à la connaître. Toi, l’ancienne, celle qui avait vu grandir et prospérer cette grande famille.

Tu viens de quel quartier toi du coup ? Tu fais de la musique c’est ça ? Je suis fan en tout cas, j’aimerai trop savoir chanter comme toi.

Et danser. Et pleins d’autres talents qui te faisaient défauts. Toi, t’étais qu’une brute. Tu n’avais rien d’autre à offrir à ce monde. Pourtant, au fond de toi, t’aimerai pouvoir leur donner davantage.

Une artiste, avec un talent pour tout. Totalement ton opposé. T’avais pas beaucoup de talent à part frappé fort. Pour démonter des gueules tu pouvais te débrouiller, pour tout le reste c’était peine perdue pour toi.

Pourtant, à l’entendre, elle ne semblait pas non plus convaincue par sa vie. Ou du moins, elle ironise beaucoup à ce sujet.

Comme quoi, même la vie d’une star semblait ne pas être de tout repos. Non pas que tu en doutais, mais pour être franche, c’était une question que tu avais longtemps ignorée. A quel point leur vie pouvait se montrer compliquée. Ayant vécu toute ta vie dans la rue, ce genre de questions, tu les avais longtemps évités.

L’argent, la gloire et la célébrité, ce sont des aspects qui te sont totalement étrangers. La seule reconnaissant que tu n’as jamais cherché dans ta vie, étant celle de tes proches. Rien de plus, rien de moins. Basique à souhait. Mais cette chose « basique » était plus que suffisante à tes yeux, pour que tu sois sincèrement heureuse.

Peut-être que si ta vie se serait déroulé différemment. Tu aurais été une tout autre personne.

Dommage. On aurait pu se croiser si t’étais resté ici !

Il fallait qu’elle parte sur Elysium. Un désavantage de la fibre artistique sûrement. T’étais peiné d’apprendre que vous étiez si proche de vous croiser pendant l’enfance. Elle aurait certainement rejoint ton cercle d’ami de l’époque si c’était réellement le cas.

Oui. Je suis là depuis le départ. Le tout début. Une ancienne comme on dit. J’étais avec Cosmo lors de la fondation des BB. Et je suis resté à ses côtés depuis.

Encore une fois, ta vie n’avait rien de trépidant. Pas d’incroyable rebondissement. Pas de surprises. Juste une banale orpheline ayant grandis dans les rues de cette immense ville. Comme n’importe quelle autre orpheline.

T’es arrivée récemment non ? T’étais où avant ?

Curieuse, tu cherches à en savoir plus, il n’est pas rare que certains membres de gangs abandonnent le leur pour nous rejoindre. Après tout, les BB étaient ceux les plus ouverts d’esprits, les plus enclins à accueillir les autres. Pour peu qu’ils ne fassent jamais de mal à l’un des leurs.

Je suis curieuse, je sais que d’autres viennent de gangs différents. Semna par exemple était chez les PM !

Tu te veux rassurante. T’es pas là pour l’interroger sur sa vie. Tu voulais juste apprendre à la connaitre en passant le temps.

Loyal. Ce mot résonnait à tes oreilles. Oui, tu étais loyale, tu es loyale et tu resteras loyale. Toute ta vie. Jusqu’à ce qu’elle vienne se terminer. Tu plaçais les BB au-dessus de tout, plus qu’un gang, de vrais amis, plus que de vrais amis, de vrais compagnons, plus que de vrai compagnon. Une vraie famille.

Une famille qui te faisait sourire et te sentir heureuse. Tu n’aurais pas pu rêver mieux. Alors pour ça oui, tu étais prêt à donner de toute ta personne. A donner ta vie entière, jusqu’à la dernière goutte. Pour peu que tu puisses continuer de voir leur sourire. Juste une dernière fois.

Merci, j’espère que mes actions sont tout aussi rassurantes que mes mots.

Tu la regardes avec un sourire, au fond, c’est ce qui comptait le plus à tes yeux. Bien au-delà des mots, tu voulais les protéger par ta présence, par tes faits et gestes.

Être réellement là pour eux.

C’est ça, les PM n’existent plus maintenant. Remplacé par les CG. Une triste histoire.

Tu hoches, la tête, un air penné sur le visage. Triste était un mot bien faible pour décrire toute l’horreur de leur situation. Et pourtant, tu demeurais si loin.

Et c’est pas difficile pour toi ? D’être dans un gang ? Si tu préférais la musique, pourquoi ne pas être resté sur Elysium ? T’aurais pu vivre ta vie de star de puis là-bas non ? T’aurais été en sécurité ?

Et hors de ce monde de fous. Hors de ce monde de violences et de sang. Sang versé pour des raisons bien trop stupides. T’en avais marre de voir des amis et des proches se retrouver blesser pour des raisons aberrantes. Qu’on pouvait difficilement qualifier de raisons d’ailleurs.

A moins que t’es rejoint le gang pour voir ta famille ? T’as un lien avec Hestia non ? C’est pour les retrouver que tu as rejoint toute cette histoire ?

Venir retrouver sa famille. Renouer des liens autrefois perdus.

Une belle motivation.

Une bien belle motivation.