Tu te tiens droit sur ta chaise, les traits sévères et les mains jointes sur tes cuisses. Ton poignard est déposé sur la table, non loin de ton verre de rhum à peine entamé. T'as un cigare coincé entres les dents. Tu observes de loin un de tes livreurs - sale traitre parti fouiner du mauvais côté de la ville - se coltiner deux corps qui jadis t'appartenaient. Si ses mains audacieuses s'agrippent avec force à leurs fesses, tandis qu'elles se forcent à glousser, c'est plus son culot à se pointer ici qui te sidère que sa vulgarité.

Si la soirée de ce soir n'est qu'une mise en scène macabre et de mauvais goût destinée à le piéger quand il sera au plus vulnérable, toutes les personnes présentes dans le club ne sont pas dans le coup. Ils deviendront témoins ou complices de votre autorité impitoyable. Ta rancune est tenace Melchior, surtout face à ceux qui s'arment de sourires et de promesses, pour au final trahir ta confiance en se jetant dans les bras de l'ennemi.

Ah tu espères qu'il mange à sa faim, qu'il se fait plaisir. Tu lui as même offert l'alcool ce soir - as levé ton verre quand il a eu le cran de se donner en spectacle pour trinquer à ton honneur. Tu jubiles, Melchior, de l'imaginer ramper pou ton pardon. Tu le tueras une fois pour donner l'exemple, deux fois pour qu'il craigne réellement la troisième.

— « A la tienne, Sorento. »

C'est murmuré à peine, dans un sourire cruel que tu adresses à tes deux partenaires privilégiés assis à côté de toi. Quand tu te décides à l'interpeller, c'est une silhouette familière qui t'interpèle. Ça te coupe dans ton élan, tu détailles le nouvel arrivant d'une curiosité presque déplacée. Te lèves de ta chaise pour traverser les tables et les banquettes de velours. Tu passes derrière lui pour fermer les portes et l'appelles. Désormais tu es sûr du prénom que tu vas prononcer.

— « Swan. »

Tu le pointes de tes deux doigts tenant ton cigare et plisses les yeux.

— « Ouai. C'est bien toi. »

Il a tellement grandi que tu as failli ne pas le reconnaitre. Le putain de garnements collé aux basques de Caelus il y a plus de dix ans. Lui aussi a fait parti un temps de cette famille dysfonctionnelle. Et lui aussi avait disparu du jour au lendemain.

— « Je te croyais agonisant dans le caniveau. Alors t'es bien vivant ? »

Tu n'es pas sûr d'aimer ce que tu vois, mais seule une chose est certaine ; c'est que tu ne l'as jamais craint et que c'est toujours le cas.

— « T'as le sens du timing. »

Tu louches sur Sorento qui entame sa troisième bouteille. S'il continue il va finir raide avant que tu ne te sois décidé à le défoncer. Tu toises Swan avant de l'inviter à ta table au fond de la pièce, faisant signe aux autres d'aller s'assoir ailleurs (de garder les portes fermées).

— « Je suppose que t'es pas venu ici pour renouer des liens qui n'ont jamais existé. Tu vas donc m'expliquer ce que tu cherches ici. »

Jamais existé ? Tu ne prends pas la peine de lui répondre. Tu gardes un air tacite imprimé sur le visage. A peine méfiant, décidément trop confiant. Tu inspires profondément. Tu dois bien avouer que tu es légèrement troublé par sa tranquillité. Il passe rapidement de l'enfant coupable à l'homme qui n'a rien à se reprocher. Tu accuses le coup Melchior, les années ont passé et tout a changé.

— « Dans mes souvenirs, tu étais déjà brillant. »

L'intelligence, c'est un concept terre-à-terre. Tu étires un sourire amer, ne caches plus ton agacement quant à ses réponses. Si tu exècres la bêtise, tu tolères encore moins qu'on se joue de toi. Malin il l'est à ne te laisser aucune ouverture. Il admet ses fautes et s'arrête à la limite. C'est justement parce qu'il n'a rien à se reprocher qu'il faut s'en méfier.

— « Je ne crains rien. »

Tu inspires, suffisant, et gonfles ta poitrine pour prendre de l'espace sur ta chaise. Les épaules collées au dossier, tu fais grincer le bois sous ton poids.

— « Nous discutons seulement. Je n'ai aucune raison de me méfier de toi n'est-ce pas ? »

Tu tires le bras pour attraper un verre vide au centre de la table, le remplis d'un fond de whisky que tu lui glisses. Tu insistes d'un geste de la main pour qu'il daigne d'assoir.

— « Mon manque d'hospitalité te froisse ? J'en serai peiné. Autant que le manque de tes nouvelles a pu blesser mon frère. »

Tu ne sais rien de leurs histoires. Tu aimerais, mais tu dois bien reconnaitre que tu ne connais pas la profondeur de leur relation. Tu te refuses juste de faire confiance aux revenants, car quand ils sont de retour, ce n'est jamais pour une bonne raison.

— « Je t'en prie, rejoins-moi. Ne le prends pas personnellement, tu débarques seulement au mauvais moment. Ce n'est pas toi que je retiens, mais les rats qui prennent un peu trop leur aise. »

Il se résigne et s'assoit. Et ça t'arrange Melchior, car malgré l'animosité latente que tu lui portes, tu n'as aucune envie de devoir l'y forcer. Il reste ancré dans ton passé, appartient à des souvenirs heureux. Quand tu fermes les yeux, tu les vois rire dans le canapé du salon, tu les revois couverts de bleu pour s'amuser. Malheureusement pour lui, il représente aussi la trahison et la déloyauté. Et ça, tu ne peux pas pardonner.

— « Tu m'ôtes les mots de la bouche. »

Tu attends, impatient. Surveilles de ton seul oeil valide la descente de Sorento vers la débauche. La sanction punitive peut bien passer après - tu as un autre garnement à corriger.

— « Il est toujours question des histoires de gang ! »

Tu as parlé si fort que quelques têtes se sont retournés. Tu te renfonces dans ton siège et souffles par le nez, exaspéré. La vérité c'est que tu aurais préféré qu'il soit véhément, pour te sentir légitime de lui reprocher quoi que ce soit. Son air de chien battu déconfit t'ennuie.

— « La raison de ton départ ne m'intéresse pas. Ce que je veux, Swan... »

Tu prends le ton mielleux des menaces douces.

— « ... c'est pourquoi tu es revenu. »

Certaines choses se sont passées ! Ici aussi. Ici aussi... tu passes par réflexe tes doigts sur ta cicatrice, qui aident à fermer ta paupière sur ton oeil de verre.

— « Donc tu as fuis lâchement, une seconde fois. »

Tu n'écrases pas ton cigare, mais le déposes dans le cendrier pour le laisser s'éteindre naturellement, et ainsi éviter l'erreur fatale que font les fumeurs occasionnels. Tu veux lui éviter l'odeur désagréable qui s'en dégagerait, sinon. Comme c'est ironique.

— « Caelus est capitaine. Je peux concevoir que cette notion échappe à ceux qui ne respectent rien, mais il y a des règles. Et je suis là pour les faire respecter. Je ne te laisserai pas le voir, pas avant d'être pleinement convaincu. »

Mais convaincu de quoi ?
De son innocence ?
Non non non, les absents ont toujours torts.

— « Que tu en vailles encore la peine. »

Tu avais soutenu son regard plusieurs secondes. Impétueux et fier, attendant qu'il te donne des raisons valables de lui en vouloir, qu'il te prouve que tu as bien fait de le juger dès le premier instant où tu l'as revu. Mais rien de tout ça.
Va te faire foutre, qu'il maugrée avec rage et amertume. Tu baisses les yeux vers la petite carte plastifiée qu'il a sorti de sa veste. Tu te sens con, sur le moment. Tu détestes ça. Tu aurais parié sur beaucoup mais pas sur cette option-là.

— « Quoi ? »

C'est lâché naturellement, médusé que la vérité soit aussi décevante et plate. Alors quoi ? C'est tout ? Il avait disparu pour une sombre histoire d'addiction ? Tu ne veux pas y croire et pourtant il te balance sa preuve au visage et son mépris au passage.

— « Tu... »

Tu fronces les sourcils, lèves les yeux au ciel. Tu préfères être cruel et le faire se sentir comme une merde plutôt que de reconnaitre que tu as pu en être une.

— « Putain. Caelus... »

Tu soupires et tapotes ta poche à toi, cherches ton paquet de cigarettes. C'est plus fort que toi, tu dois occuper tes mains. Si ton poignard se situe juste à côté, tu préfères le réserver à tes véritables ennemis. Tu as décidé que Swan n'en serait pas un aujourd'hui.

— « Mon frère est un con. Il est doué pour rassembler, moins pour... conserver tout ce beau monde autour de lui. Et pourtant ! Peu sont ceux qui se risquent à le trahir. »

Ça t'arrache la bouche de devoir l'avouer.

— « Il en vaut la peine. Mais ce n'est pas à moi d'en statuer. Je te laisserai décider par toi-même. »

C'est plus fort que toi, Melchior. Tu as beau détester cette complicité qu'ils avaient autrefois (elle te rappelle celle que tu avais avec Gale), tu ne lui souhaites pas de vivre ce que tu vis aujourd'hui.

— « Tu vas mieux ? »

Histoire de savoir. C'est pas comme si t'en avais réellement quelque chose à foutre et il le sait.

Il préfère que cela reste entre vous. Ta loyauté envers Caelus te pousserait à lui en toucher deux mots, mais Caelus peut aller se faire foutre pour le coup. Tu ne promets cependant pas, hoches simplement la tête pour lui faire comprendre que tu as entendu sa requête. La suite des évènements dépendra de lui... et peut-être des prochaines minutes.

Tu trouves une cigarette en astiquant ton paquet depuis ta poche. Tu la glisses entre tes lèvres, le goût du goudron encore plaqué au palais. Tu vas finir par tomber malade si tu continues - ça serait bête que ta deuxième mort se solde d'un cancer.

— « Tu as raison. Il faut éviter les excès ! »

C'est dit sans réelle conviction, comme un père ne sachant pas montrer le bon exemple à son fils, insistant pour qu'il reste dans le droit chemin et évite l'alcool (un verre à la main), la cigarette (une clope dans le bec) et les femmes (une pute dans les bras).

Tu n'as pas le temps d'ajouter quoi que ce soit que Sorento se lève, titubes comme un bienheureux vers votre table. Il remplit parfaitement les cases. Il a sa bouteille à la main, un jeu de cartes de l'autre et une de vos hôtesses sous le bras. Il a le nez rouge et les yeux mi-clos. Il se penche un peu à votre hauteur, pose une main sur la table et s'exclame.

— « MOORE ! DÉCIDÉMENT VOUS AVEZ LE SENS DE LA FÊTE DANS LA FAMILLE ! J'OFFRE LA PROCHAINE TOURNÉE ! C'est pour moi... pour moi, oui. Hein ma belle ? »

La jeune femme coincée sous son aisselle suintante sourit, professionnelle.
Tu ne leur adresses aucun regard, l'oeil sombre plongé dans celui de Swan.
Disons que j'ai trouvé de quoi compenser.

Tu sors brusquement ton poignard pour le planter dans la main de Sorento, transperçant le cartilage pour le faire prisonnier du bois de la table. Tu le laisses hurler et répond d'un ton léger.

— « Moi aussi. »

La rage aux tripes.

Tu ne l'avais pas lâché une seconde, et évidemment ta curiosité s'était déployée lorsque que ses yeux s'illuminèrent d'une étrange lueur. Ça ne pouvait être que sa faculty, mais tu ne la connaissais pas. Tu ne l'avais jamais connu, quand lui entendit sûrement parler de la tienne.
Tu souffles par le nez, et sous les geignements plaintifs de Sorento, tu te contentes de faire tourner la lame du poignard à l'intérieur de sa chair. Désabusé quand il te supplie finalement très vite, désinhibé de l'emprise de l'alcool. La douleur réveille toujours.

Qu'a-t-il à se reprocher ? demande naturellement Swan, comme si vous n'aviez jamais vraiment été interrompu dans votre conversation. Sans répondre, tu lèves attentif le visage vers celui de Sorento, ordonnant silencieux à celui-ci d'expliquer lui-même ses torts, et d'avouer au passage. Malheureusement, les larmes grossières dévalent déjà ses joues gonflées. Tu plisses les paupières et grognes, contrarié et déçu. Tu précises donc à sa place, après avoir retiré brusquement la lame sanguinolente de sa main.

— « Ah ! Si tu savais. Sorento en a des tas. Comme celui d'avoir été assez bête pour croire que les autres dealers ne viendraient pas me rapporter le fait qu'il revendait sa came à nos ennemis pour toucher une plus grosse commission. »

Alors que Sorento se laisse glisser sur le sol, tu l'attrapes par le col pour le maintenir à hauteur de ton visage, le forçant à rester en équilibre sur ses jambes fléchies.

— « Si je déteste le mensonge, c'est surtout les mauvais menteurs. Pas capables de trahir correctement ! »

Tu le lâches d'un coup quand Swan se propose froidement de l'éliminer. Si l'initiative ne te choque pas, c'est son attitude détachée qui te perturbe un instant.

— « L'éliminer, oui. Mais de manière à montrer l'exemple aux autres. Saurais-tu te montrer persuasif dans ton exécution ? »

A chaque traitre pendu, vous renforcez certes votre autorité, mais perdez surtout des membres du gang. Certains préféreraient qu'un séjour en cellule puisse calmer l'hardiesse - mais tu trouves ça inutile. Un rat reste un rat, et c'est de la mauvaise graine.

Ta cruauté s'estompe à mesure que Swan semble durcir ses traits. Tu ne laisses déceler aucune émotion, ni excitation, ni appréhension, ni même un certain sadisme. Tu fronces les sourcils et baisses le regard vers Sorento, à genoux sur la moquette. Il tient sa main, la compresse entre deux doigts tremblant. La morve au nez le destitue de tout ce qui jadis aurait pu le rendre impressionnant. Il n'est plus rien, si ce n'est le traitre et sa seule utilité désormais au gang sera de devenir le nouveau faire-valoir.

— « Nous n'avons pas tous la fibre naturelle pour la torture, ni pour le meurtre. »

Tu serais d'avis de le laisser de côté, lui qui s'est toujours prétendu extérieur aux affaires de gang. Ça ne l'intéresse pas, et pourtant il cherche à prouver des choses. Tu passes ton pouce sur ta lèvre pour réfléchir avant de te pencher sur Sorento.

— « Très bien. Le plan initial, c'était de te faire souffrir un petit peu avant de t'achever. J'ai changé d'avis, je te laisse la vie sauve... à condition que tu serves nos intérêts. As-tu détourné la marchandise de ta propre initiative ou avais-tu un complice ? »

Tu le sais trop bête et beau-parleur pour se vanter de ses propres mérites. Non non non, il s'attribue celui de quelqu'un d'autre, mais lequel ? Tu balaies l'assistance du regard, suivant le sien à la recherche d'un profil suspect sur qui il s'attarderait un peu trop.

— « Swan, si tu veux te rendre utile, escorte-moi le jeune homme là-bas. Lucchese. »

A l'entente du nom de famille, Sorento se crispe et se mord la joue. Tu lui précises d'un ton plus calme et léger, sans aucune malveillance.

— « Si tu ne parles pas, notre deal ne tient plus. »
— « C-c'est l-lui. »
— « Hm. »

Après que Swan se soit exécuté, tu lui demandes, ignorant les réclamations outragées de Lucchese qui ne cesse de se débattre.

— « A ton avis, qu'est-ce que je devrais faire ? »

Sait-on jamais.
((mais tu as déjà ta petite idée en tête))
Parce que tout est toujours calculé.

Lucchese ne perd pas une seule seconde pour commencer à t'attaquer verbalement. Toutes les insultes y passent, tu soupires de voir que son imagination est mise à profit d'une lutte aussi vaine. Tu préfères te concentrer sur la proposition de Swan. Tu ne le caches pas à l'expression de ton visage, tu es aussi tendu que tu n'es surpris. Tu le détailles avec une fascination déplacée dans ce contexte.

— « Tu apprends vite. »

Si seulement tu savais, Melchior.
Si seulement tu savais.

— « Nouvelle règle dans notre contrat. Tu auras la vie sauve, s'il paie tes crimes. »

Tu fais signe à Swan de maintenir Lucchese, d'un bref mouvement du menton. Celui-ci vocifère plus fort, appelle à l'aide d'amis qui lui ont déjà tourné le dos. Tout le monde dans la pièce reste impassible, se font complices silencieux de celui qui possède l'autorité (et donc le droit intrinsèque de leur régler leurs comptes s'ils se manifestent).

— « Allez Sorento ! Prouve-nous que tu en as en bas ! »

Tu exaltes, le regard écarquillé de férocité. Tu ne sais pas ce que tu cherches à prouver Melchior - mais c'est d'autant plus dur de diriger quand on est pas au sommet. Ils sont nombreux à vouloir outrepasser ta légitimité. Tu les feras taire avant même qu'ils n'ouvrent la bouche.

Glisses l'arme que tu sors de ta ceinture pour lui imposer de la prendre. Lucchese, lui, passe de la menace à la supplique. S'il assumait dans ses insultes plutôt qu'il était coupable, il jure désormais que ce n'est pas lui.

D'un geste désespéré, Sorento tire dans la poitrine, et la chemise blanche du traitre originel se teinte progressivement de rouge. Il tombe à terre du moment que Swan le relâche.
Tu reprends le flingue des mains tremblantes de Sorento qui s'effondre, non sans un soupire d'espoir retrouvé. Tu pointes l'arme sur sa tempe et tires sans hésitation. Son corps s'effondre à côté du premier.

— « Et bien. Nous avons moins d'ennemis aujourd'hui que nous en avions hier. »

Tu te rassois, fais signe à l'un de tes sous-fifre pour lui souffler les instructions à l'oreille. Ils reviendront tous les deux demain et il faudra les intercepter.

— « Swan. Je ne dirais rien à Caelus. Pour l'instant. Je compte sur toi pour le faire de toi-même. »