Tu la vois arriver de loin, sa démarche un peu trop téméraire pour ne pas comprendre que tu vas en prendre pour ton grade. T'en as déjà vu, des gens marcher comme ça. En prison, c'était la démarche du "faut qu'on parle". Tu détestais ces "faut qu'on parle". Souvent trop longs, dénués de sens, juste là pour permettre à l'autre de bomber un peu le torse. Si maladroit, si laid comme façon de faire. Tu déjà lasse, Jasmin.

Tu te demandes ce que t'as très chère collègue va bien pouvoir te dire. Tu te mets à faire les paris alors que tu réajustes doucement tes manches. Droit, impeccable, ah, voilà qui est mieux. Est-ce qu'elle va chercher à marquer son territoire ? Est-ce qu'elle va profiter de son statut d'ancienne pour te soumettre ? A mesure qu'elle approche tu te composes un sourire amusé. On dirait une petite soldate déterminée à mener sa guerre. Tellement de violence dans un si petit corps (t'es pas bien large non plus).

— J-e-w-e-l

Tu détaches chacune des syllabes de son prénom en agitant le doigt de gauche à droite.

— Tu ne devrais pas marcher aussi vite, tu risques de tomber.

Sourire plus innocent. Qu'importe le regard qu'elle te lance, t'ira pas lui accorder autre chose que soleil et rire. Tu portes le verre que tu as à la main à tes lèvres, l'observes, ton regard violet, aujourd'hui, porté sur elle.

— Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Comme-ci tu t'en doutais pas un peu.

Ah. Elle est directe, un peu trop à ton goût. Disgracieux, voilà le mot qui te vient en tête. Tu pourrais passer tout de suite à l'étape où tu soupires en secouant la tête. L'étape où tu montres une certaine déception face à cet interrogatoire si peu amusant et subtil. À la place, tu décides de te faire un peu de bien. Un sourire insolent étire tes lèvres, tu vas te foutre clairement de sa gueule.

— Tout de suite ? Un bon verre et la compagnie d'une personne autrement plus sympathique.

Tu lèves la tête vers le plafond, croises les bras en faisant mine de réfléchir.

— Ou d'un bon pourboire pour aller découvrir en détail l'anatomie de quelqu'un. J'hésite encore.

Tu te demandes, combien de seconde avant qu'elle ne se frustre ? T'as envie de tester un peu sa patience, l'information te sera utile. Après tout, tu ne l'aimes pas beaucoup. Jewel, cette tâche non voulue dans ton beau tableau. Il va falloir que tu t'en débarrasses, c'est qu'elle pourrait venir gâcher ton art. Tu plisses légèrement les yeux en redevenant sérieux.

— Et toi, qu'as-tu en tête ?

Probablement quelque chose de laid et peu esthétique, mais ça, c'est facilement 99% des gens.

Peut-être par provocation, ou juste pour la satisfaction de lui donner raison, tu souris encore. Tant mieux, quelque part, qu'elle te prenne pour un clown. Tant mieux, quelque part qu'elle ne soupçonne qu'un unième bouffon. Ça te laissera le champ libre, Jasmin. Néanmoins, l'occasion est trop belle pour écourter cette entrevue. Tu t'adosses contre le mur, penches sa tête vers elle.

— Et qu'est-ce que tu as en tête ?

Tu lui offres un sourire presque innocent, porte tes mains devant ton torse comme pour appeler au calme.

— Je veux bien ne pas empiéter sur ton territoire (le mot est tellement contre nature, tu grimaces une seconde)  mais c'est un peu délicat quand je ne sais pas où j'ai le droit de mettre les pieds ou non.

Tu fronces légèrement les sourcils, autour de vous la pièce boue d'activité. Les corps se mêlent, les rires fusent. Pour ne pas faire tache dans ce paysage festif, tu t'efforces de la toucher. Ton doigt qui vient s'enrouler autour d'une de ses mèches de cheveux.

— Fait mine que tu t'amuses, l'endroit n'est pas bien indiqué pour être sérieux.

Pourtant, tu l'es. Tu attends quelques secondes avant de poursuivre.

— Tu n'aimes pas m'avoir dans les pattes, n'est-ce pas ? Alors balance ton plan, Jewel, qu'on puisse se fixer.