Tout voir, tout entendre, tout savoir. C’était à la fois un don comme une malédiction. Des choses tu, qui pourrait changer des vies, par simple égoïsme. Mais pourquoi Viktor partagerait son savoir dans ce monde gangréné ? Pourtant. Une chose passait au-delà de son mutisme. Une chose que vint lui murmurer Hugin au creux de l’oreille.

Le suicide.
Levant les yeux, il le vit ce fou. L’inconscient. Quel geste inutile sur cette planète. À quoi bon tenter d’attendre une finalité impossible ? Mais l’homme ne réfléchit pas, et entra en trombe dans le bâtiment. Hésite, gamin, quelques secondes, quelques minutes. Le temps de monter ses foutues marches, l’ascenseur se foutant du temps qu’il met.
Hugin s’était envolé, précédant son maître pour rejoindre le suicidaire. Pour tenter de le stopper dans ses pulsions.

Et l’oiseau se tenait devant lui, croissant un “Non” tout en battant des ailes pour le faire reculer du bord. Les corbeaux n'étaient pas des perroquets, mais reproduisent des sons, des mots, ne leur étaient pas impossibles. Et alors qu’il recula sur la surprise, Viktor atteignit ce foutu toit. Haletant, faisant fi de la douleur dans sa jambe absente. Il se redressa, inspira et s’avança vers lui.
Il ne dit mot. Se plaçant à côté de lui, au bord du précipice. Le soleil dans le rougeoiement du crépuscule était magnifique et le sol, aussi attirant qu'effrayant.
─ C’est tentant hein ? Finit-il par dire. Mais qui te dit que cela résoudra tes problèmes ? Qui te dit, que tu seras plus heureux dans ta prochaine vie ?
L’incertitude de la mort, n’était-elle pas plus effrayante que la vie ? Hugin vint se poser sur l’épaule du vieux loup qui tourna la tête vers le suicidaire.
─ C’est vraiment ce que tu veux, Astar ?
Il le connaissait. Oui. Cet être qui s’était fait détester de tous. Pour des bêtises. Martiens incapables de vivre sans leur faculty. Mais peut-être que Viktor, ayant vécu quarante-deux ans sans, était mal placé pour comprendre. Mais qu’importe. Il comprenait juste ce geste désespéré. Car ici la mort apporte aucune rédemption. Juste plus de malheur.

La colère. Une réaction presque normale quand on essaye de noyer sa peine et que quelqu’un l’empêche. Comme chercher une raison à son acte et ne pas réellement la trouver. Mourir, c’est tentant, mais c’est toujours effrayant. Toujours. La tête appelle au vide quand le corps ne demande qu’à vivre. Et le rappel, par l’angoisse, le doute, la peur. La colère.
─ J’ai vu que tu tentais de t’envoler. Mais sans aile, tu ne vas pas aller bien loin.
Viktor n’était pas socialement très doué. Il n’était pas vraiment là pour avoir pitié de lui. Mais juste, tenter de le comprendre et de l’empêcher de faire une erreur.
─ Je suis là pour être sûr que tu ne regrettes pas ton choix, au moment où tes deux pieds seront dans le vide.
Essayait-il de l’aider, ou non ? Là n’était pas la question. Les pulsions suicidaires sont incontrôlables et parfois, en réfléchissant un peu, en se laissant le temps, on pouvait se rendre compte que ce n’était pas forcément la bonne solution.

Le vieux loup remarqua son étonnement quand il prononça son nom. Évidemment, tout le monde le connaissait. Mais c’était différent pour lui. Il connaissait juste tout le monde.
─ Je n’irais pas te contredire. Le monde est équivalent à l’enfer.
Il tourna la tête, lui esquissant un sourire.
─ Et le Paradis, les belles rencontres et les gens qui te tendent la main pour t’aider à l’affronter. Ne me dis pas que dans le brouhaha de la haine, il n'y a pas un sourire à ton égard.
Astar pleurait et le corbeau s’envola sur son épaule, posant sa tête sur la sienne comme pour tenter de le consoler.
─ Tu semblais étonné que je connaisse ton nom. Enfin non pas vraiment. Je te connais car tu existes. Pas par tes actes.
Un silence. Chercher les mots.
─ C’était amusant ces journées sans faculty. J’avais l’impression de revivre mes jours sur Terre. Ça ne m’a pas plus dérangé que ça. Mais il faut croire que certains sont incapables de s’en passer.
Au point de haïr Astar. Au point de vouloir tuer pour retrouver leur drogue de pouvoir.

Viktor s’assit au bord du vide. Regardant l’horizon marqué par les formes de la ville. Le dôme formait une limite étrange, comme s’ils vivaient dans une prison de verre.
─ Je suis sûr qu’au fond, tu en as un, de but. Que ce soit devenir le maître de Mars ou simplement vivre heureux, ça reste des buts dans la vie qui ont la même valeur. Tu en as un, comme tout le monde. C’est juste qu’il est étouffé par cette lourde peine que tu endures et te rend aveugle.
Il hésita un instant. Il ne voulait pas le faire sentir plus mal qu’il ne l’est déjà. Il cherchait juste à le faire réfléchir.
─ Mais dis-moi, qu’est-ce qui te rend si aveugle au point de penser ne servir à rien ?

Trois fois. C’est beaucoup. Surtout quand on veut mourir. Déjà que se suicider une seule fois reste un acte difficile et remplit de doute. Alors. Trois. Sans vraiment être certain que ça réussisse.
─ Et après ? Qui te dit qu’une fois coquille, ton esprit soit parti. Qui te dit que tu ne resteras pas prisonnier d’un corps inerte, à jamais, sans pouvoir y mettre fin ou arranger les choses ?
Des mots durs. Mais que Viktor s’était posé quand il avait pensé en finir. Pour avoir trop travaillé sur la mort, la finalité et toutes ces questions sans réelles réponses.
─ Je peux comprendre ton choix. Mais si tu veux en finir, ne le fais pas sur Mars.
Juste un conseil. Ce serait bête de souffrir à jamais, même si la vie n’est pas mieux non plus.

Il se mit à pleurer quand il parla d’un sourire. Il y avait donc bien quelqu’un. Il n’était pas résigné, juste désespéré. Il a une étoile. Bordel, c’était dur de parler avec lui. Sombres pensées qui refaisaient surface. Mais le cas de Viktor ne devait pas prendre la place. Il était là pour lui. Et ce sera tout.
Il inspira profondément, l’écoutant sans le couper, notant ses paroles une à une pour chercher une réponse à lui donner. Il ne releva pas la partie amoureuse, la réponse ne lui conviendrait pas.
─ Qui a dit qu’il faut être doué en combat ? Tu as une faculty de support, t’es juste fait pour être en binôme. Et puis. Beaucoup de personnes sont plus capables de se battre sans leur pouvoir.
Et puis sortir ça à un grand-père, vraiment ? Il savait bien se défendre, mais il se savait bien moins performant que tous ces corps de trente ans. En un contre un, il s’en sortait, mais face au nombre, c’était peine perdu. Devoir toujours se reposer sur ses animaux avec son pouvoir de Blanche Neige.

Viktor se releva, alors que son corbeau revenait sur son épaule. Symbole de la mort, ironie de sa présence bienveillante.
─ Tu te penses seul ? Pourtant. Tu as ton “sourire” non ? Et… même si je ne suis rien pour toi, je suis là pour t’écouter. Non ? Tu crois que je serais là si je n'en avais rien à faire de toi ?

Il est pensif. Hésitation en regardant le sol. Remise en doute. Old man de par ses dires et sa présence avait dû chambouler tout le scénario d’Astar. Après avoir trop parlé, mais peut-être pas assez en vue de la situation, Viktor le laissa un moment avec ses pensées. Il avait fait ce qu’il pouvait, si sa décision restait morbide, il ne le retiendrait pas. Car il comprenait ses pensées, ses envies. Et parfois, on ne peut rien faire face à l’absolu. Même si les conséquences sont inévitables.

Viktor veut juste être sûr, qu’il ne le regrettera pas.
Long soupire qui capte l’attention du vieux loup. Question légitime en soit, même si Viktor n’aimait pas trop parler de lui.
─ Je m’appelle Viktor Tchaïkovski, mais on me surnomme Old Man. Et je suis un Carrot Cake.
Pourquoi lui mentir, ces informations sont connues de tous et, actuellement, le gang n’était pas vraiment une priorité.
─ Tu as raison, j’ai aucune raison de m’intéresser à ta survie. On ne se connaît pas. Je ne tiens pas spécialement à toi. Mais j’ai aucune raison de faire semblant non plus.
Il inspira, soupirant longuement. Il n’aimait pas parler de cette partie de sa vie. Pourtant, il sentait que c’était important de lui dire pour qu’il comprenne pourquoi il est là aujourd’hui.
─ La seule raison pour laquelle je te parle ici. C’est parce que j’ai été exactement à la même place que toi il y a quelques années. Avec les mêmes pensées.
Mais la seule chose qui le maintenait en vie, ce n’était pas un sourire. Mais la peur. La peur viscérale d’une mort incertaine et inconnue.
─ Alors, quand je t’ai vu en haut de l’immeuble, je n’ai pas pu faire semblant de ne pas te voir. De faire comme ces milliers d’hypocrites qui préfèrent regarder leurs chaussures plutôt que de regarder en face la misère des autres et tendre une main. Même à un parfait inconnu.
Même s’il était misanthrope face à l’ignominie humaine, le vieil homme faisait souvent preuve de plus d’humanité que n’importe qui d’autre.

Toujours ce silence après les paroles. Viktor le laissa réfléchir avant de le voir reculer du rebord de l’immeuble. Le cœur de Viktor se sentit enfin soulagé, alors que Hugin croissa de satisfaction. Astar se tourna vers lui, malgré ses yeux bouffis, le vieux loup pouvait voir qu’il allait un peu mieux. Il se présenta de façon plus formelle, et Viktor lui sourit lui tendant la main pour le saluer. Mains serrées, il le tira vers lui pour l’enlacer sommairement avant de le relâcher.
─ J’en serais ravi.
Il fouilla dans sa poche pour trouver un bout de papier où il y écrivit son numéro avant de le tendre à Astar.
─ Si tu as besoin, n’hésites pas à m’appeler.
Si ça ne va pas, si ça va mal, pour rien même, qu’importe, Viktor répondra. Dans ces moments-là, il n’avait que faire que ce soit son “ennemi” de gang. Ça restait un être humain et il ne trahissait personne tant que les informations ne fuitait pas.

Il regarda l’horizon puis légèrement le vide avant de se tourner vers le jeune homme.
─ Bien, il serait temps de descendre, non ? Par les escaliers. Je te laisse passer devant.
Ce n’est pas qu’il doutait de lui, mais ce serait idiot qu’il se ravise et décide finalement de descendre par les airs.