Une blessure. Rien de plus, rien de moins. Ce n’est que d’un balayement, un train de striures carmin que Tsubaki se fend. Il a du cran. D’avoir évité si tard. De préférer se mettre en danger pou maîtriser sa fuite ; plutôt que perdre la vie peu après ses couilles.
Raison de plus de s’en méfier : quelqu’un autant dans le contrôle ne peut être que dangereux pour l’once. Et il a choisi, il y a longtemps maintenant, de n’avoir de la place que pour un seul control freak. Alors la bête s’élance, ouvre la gueule. Aspire les effluves de sang, le parfum de la tension. Les grains de poussière. La limaille qui jonche le sol du poivron de fer.

Merde. Réflexe, les babines se retroussent. Les yeux se plissent. La gorge se serre. La sensation d’avoir des poussières sous la membrane nictitante est une gêne que les humains ont le bonheur de ne jamais connaître. Une chance, chez lui le réflexe refait pousser ses canaux lacrymaux. Les muscles associés. Alors une larme d’homme chasse la poussière. Un éternuement, un renâclement, et le revoilà doté de ses sens.

Trop tard, bien trop tard.

Il n’a que le temps de comprendre quelle lueur est nichée au fond de ces yeux farouches. La douleur l’écrase, le déchire. L’affaiblit. Enif tremble. De cette horrible sensation, bien sûr. Des efforts de volonté que lui demandent cette forme, surtout. Que disait le médecin, quand il était gosse, déjà ? Que les sensations fortes rendaient ses transformations instables. Que son système nerveux déclenche des changements de forme erratiques de la même façon qu’un marteau sur le genou fait gigoter la jambe ?
Les souvenirs se brouillent. Il n’a plus beaucoup de temps. Soit Tsubaki meurt maintenant, soit la douleur l’emporte. Avec de la chance, son cerveau ou son cœur se transformeront seuls ; et Nif mourra sans même comprendre ce qui lui arrive.
L’once s’élance, rate sa cible. S’écrase au sol. Grogne, alors qu’à la commissure des lèvres gargouillent des bulles rosées. Il a perdu. Le duel, certes. Le contrôle surtout.
L’animal sent ses muscles, organes et tissus se tendre, éclater. Se reformer pour mieux se déchirer. Et le tout accompagné de la douleur. Cette douleur. Un regard torve vers son bourreau, la panthère se relève péniblement. De temps à autres, ses cordes vocales s’allongent, changeant le grognement d’un félin blessé en la plainte d’un homme à l’agonie. Puis, le carrosse redevient citrouille. La voix de l’Homme redevient celle du chat.

Le second titube. Vomit une flaque aux teintes carmin. Ses côtes et ses poumons viennent de se rencontrer. S’il doit tout oublier ; s’il ne doit plus rester de lui qu’un seul instant ; alors que cette douleur ne disparaisse jamais. Qu’un jour ; assailli par la nostalgie, l’once se rappelle ce que c’est d’avoir mal. Pour de vrai.

Le sol se rapproche. Ou est-ce lui qui tombe ? Qu’à cela ne tienne. Il sent son cœur grossir. Ralentir. Nouveau rejet rosâtre. Où va-t-il se réveiller, cette-fois ci ? ‘Parait que c’est la loterie, en ce moment.