Tu te lèves, passe une main dans tes cheveux. Dieu, c'est plein à craquer ce soir et le rythme est plus que soutenue. Non pas que ce soit exceptionnel, mais depuis que tu fais des heures supp avec la surveille accru de Jewel, la fatigue se fait sentir. La tête qui bourdonne, lourde sous le bruit. Tu t'interdis de prendre de la drogue ailleurs que seul dans ta chambre, la porte fermer à double tour. Trop peur qu'Astrée ne puisse capter dans ta faiblesse le moindre grain à moudre concernant ses doutes. L’abandon te manque, nettement moins facile de supporter le brouhaha et la chaleur poisseuse du désir sans lui.

C'est là que tu sens deux bras enserrer ta taille, un visage se nicher au creux de ta nuque. Tu fermes les yeux, penches légèrement la tête. De loin, on pourrait croire que tu t'abandonnes avec délectation à ce contact. Seulement, de prêt, c'est un soupir profondément las qu'on peut entendre.

— J'étais pourtant persuadé que notre fétichiste des relations gay était absente.

Tu poses tes mains sur les siennes.

— Que me veux-tu, Samael ?

Tu vas pour les écarter vivement quand soudain, tu te figes dans ton geste. Du coin de l’œil tu repères que certaines clientes se sont arrêtées pour vous observer. Ah, il n'y avait pas donc qu'une fétichiste.

— Hm... Es-tu jaloux ?

Tu fermes les yeux une seconde, refoules tout ce que le nom de Melchior t'évoque, refoule le mélange de satisfaction et d'agacement que tu as à imaginer Samael fantasmer d'hypothétique partie de jambes en l'air. Tu noues tes doigts aux siens alors que tu te retournes. Capte le regard des clientes qui rougissent alors que viens caler ta bouche contre la nuque de plus terrible des Moore.

— Si tu étais plus intéressant, peut-être qu'on te donnerait la même attention...

T'es déjà épuisé de le supporter.

Il s’ennuie. Tu soupires, il est pourtant le plus grand ici mais il réagit comme réagissent les enfants. T'es horripilé soudain. Cette façon avec laquelle il te dérange pour réclamer ton attention face à un quotidien morne fait un peu trop écho à un passé pourtant mort, irrécupérable. Tu l'entends malgré toi, elles ne t'ont jamais réellement quitté, hein Jasmin ? Tu entends sa petite voix haut perché, confonds les mains de Samael avec ses petits bras blancs. Elle va te demander de quitter tes pinceaux et de jouer avec elle parce que maman est occupée ailleurs. Tu lui diras que tu es au milieu de quelque chose et qu'elle sait très bien que tu détestes être interrompu. Elle te répondra que tu le feras quand même parce que tu l'aimes, parce que tu l'aimes plus que tes tableaux. Et tu ne pourras que hocher ta tête, parce qu'elle a toujours été plus puissante que toi. Tu pinces tes lèvres. Refoule la nausée qui te prend. C'est dégueulasse.

— Oh, notre petit Samael a besoin d'être chouchouté...

Tu te retournes, pressé de rompre le mirage tendre pour quelque chose de trop éloigné, trop sale, pour que les morts puissent te suivre. Tu te concentres sur les clientes attablées qui vous observent. Du dégoût pour elle. Tu glisses, alors que sa main gagne ta hanche et la tienne gagne ses fesses.

— Je donne pas dix minutes avec que l'une d'elle se barre aux toilettes se faire du bien.

Et aucun amusement dans ta voix. Juste un triste constat. Elles, faibles esclaves de pulsions sans grâce, sans style. Tu souffles du nez, amusé, tends légèrement la nuque pour laisser à sa langue tout le loisir d'explorer ton lobe. Tu te demandes si l'une des donzelles ira pousser le culot jusqu'à vous glisser quelques billets.

— Oh, oui, si tu savais comme je jalouse toutes ces personnes avec lesquelles tu passes la porte de la chambre... Tu ne m'as jamais invité. Je croyais pourtant tout faire pour que tu me remarques...

Tu te fous ouvertement de sa gueule. Agrippe ses fesses dans un geste qui, non sans satisfaction, à l'air d'avoir fait forte impression sur vos observatrice. Tu crois en voir une glisser quelque chose à l'oreille de sa compagne, tu crois qu'elle sort son porte-monnaie. Putain. Elles sont terribles. Tu glisses glisse ta main de son dos jusqu'à ses cheveux. Votre show improvisé va peut-être te permettre d'acheter une toile grand format.

Tu roules des yeux, tires un peu sur ses cheveux pour le forcer à redresser le visage. Tu l'observes, exaspéré.

— Pourquoi vous me posez tous cette question alors que la réponse est évidente ?

Tu imposes tes lèvres sur son menton. Viens glisser ta bouche sur les contours de son visage. Tu soupires contre sa joue.

— Ta sœur pense que je triche sous prétexte qu'elle ne peut pas voir mon jeu sauf si je le décide. Ce qui en fait une mauvaise joueuse.

Tu plaques doucement ton bassin au sien. Profite des boum boum incessant de la musique pour l'entraîner dans des mouvements subjectifs qui, tu le sais, finira bien par pousser vos spectatrices à outrepasser toutes les convenances.

— Tu devrais être fier, Samael, tu es bien plus intéressant qu'elle.

À croire que les Moore sont en compétition constante pour savoir qui mérite le plus d'attention.

— J'espère seulement que mon sens du sacrifice sera récompensé par un petit billet.

Objectivement, vous n'êtes que deux bêtes de foire, condamnée l'une et l'autre à se pavaner dans la luxure pour le plaisir d'autres. Cependant, Samael est plus à l'aise dans cet exercice. Ça l'amuse, il y prend du plaisir. Son corps contre le tien n'en a pas au point de dégoûtée, mais tu dois avouer trouver l'expérience fade. Tu te mets à penser à un corps qui, lui, te donnerait plus de plaisir. Oh. Non. Mauvaise idée. Tu fronces les sourcils.

— Suis-je assez exaspéré à ton goût ?

Il balaye tes réflexions sur Astrée, note qu'il n'a pas l'air de se fâcher. Une danse collée serrée, vos lèvres qui se frôlent, vos nez qui se touchent, sa tête qui plonge à ton cou et tes doigts qui viennent caresser ses cheveux.

— Et toi ? Personne ne sera jaloux qu'on discute toi et moi ?

Tu sais que ça ira glousser, que ça remontera peut-être jusqu'aux oreilles de Melchior. Tu ne sais pas ce que tu ressens. Une vive inquiétude ou une vive excitation à l'idée qu'il insiste, sache. Oh, non, tu ne rêves pas de lui comme ça. Melchior est une muse dont tu veux l'approbation, dont tu veux l'attention. Il te la donne avec son air courroucé et sa froideur. Un bloc de glace qui ne connais que peu le mot détente. Et tu ne sais pas Jasmin, tu ne sais pas ce que tu ressens. Tu fermes les yeux, tique, sévère, d'un claquement de langue.

— Quelle chance a ton frère d'avoir quelqu'un comme toi qui se soucie de sa vie sexuelle !

Tu le toises une seconde.

— Il doit avoir ses putes de prédilection pour ça, non ?

Non. Alors tu ne sais pas pourquoi tu le dis. Soudain ça t'agace. Tu soupirs secoue la tête.

— Quel est ton but, Samael ?

Du coin de l’œil, tu captes une des demoiselles qui s'approche. son porte-monnaie à la main. Tu tapotes l'épaule de Samael, n'oses cependant pas le repousser. Tu dois être professionnel et c'est bien ce que ton métier attende toi, non ?

— Une téméraire, oh non.

Tu lèves les yeux au ciel mais tu dois bien admettre qu'il y a une part de vérité dans tout ce que Samael déblatère. Et quand tu le regardes, qu'il te parle de jalousie tu penses "toi le premier". Mais ça, tu sais qu'il l'assumera. C'est qu'il est loin d'être bête. Quelque part, il est juste fou. Quelque part, ça le rend plus proche de toi que ne le seront jamais la plupart par des gens. Tu soupirs, caresse sa nuque du bout des doigts, pensif.

— Alors commence par lui vendre mes mérites, parce que ton frère ne se laisse pas approcher facilement.

Tu sais pas vraiment ce que tu attends. Bien que tu notes en ton fort intérieur que les idées qu'il te glisse dans le crâne, concernant Melchior, ne débecte pas, loin de là. Est-ce que tout cela est considéré comme du zèle ? Tu demandes si Swan apprécierait. Tu te demandes surtout si tu pourrais le lui vendre comme un sens du sacrifice et de la dévotion hors du commun. L'idée te fait souffler du nez. Ton regard se perd dans la salle, songeur, Samael qui te mord comme un gosse un manque de caresse.

— Oui, c'est pas celui de te faire voir ?

Tu écartes son visage pour le regarder en haussant un sourcil insolant. Ton sourire qui se perd bien vite, laisse place à une profonde lassitude quand tu vois a silhouette féminine arriver vers vous.

— Oh, joie.

Elle se plante devant vous, ses joues roses d'excitation, son regard à la fois timide et pétillant. Ah, que tu détestes ce genre de mise en scène. Le manque de finesse, cette façon de vouloir sans assumer. Tu t'efforces à lui offrir le regard le plus tendre et joueur de ton répertoire, te force à être cet host avenant. Pourtant, tes mains sur Samael se crispent, serre, et ce n'est plus tant pour faire le show.

Un baiser un. La provocation à ton oreille. Tu considères le billet d'un regard. C'est un faux choix. Si tu dis non elle se vexera, ça te retombera dessus. Et tu es censé être un élément exemplaire, zélé, passionné, Jasmin. Et qui sait, si tu amuses Samael peut-être te le rendra-t-il. Il est le plus imprévisible et donc le plus susceptible de te servir. Sans un mot tu prends le billet entre deux doigt, agrippe doucement le menton de Samael pour tourner son visage vers toi. Tu prends le temps, après tout c'est du grand spectacle qu'elle veut, non ? Elle veut la tension, elle veut sentir venir le frisson. Depuis que tu travailles ici tu as appris comment tout ça fonctionne. Tu frôles ses lèvres, les paupières mi-closes. Tu fixes Samael quelques secondes. T'es sûr qu'il prend son pied. Quelque part, il en faut au moins un qui s'amuse vraiment. Lentement tu gagnes ses lèvres, l'embrasses doucement. Tu glisses ton billet dans ta poche, voilà qui devrait te payer un matériel plus adéquat pour le portrait de Melchior. Oui. Tu peux aussi te dire ça, alors que tu fermes les yeux, l'embrasses vraiment cette fois. Tu ne fais que mêler l'utile à l'agréable. Tu ne fais qu'être efficace.

Tu éloignes doucement ton visage du sien, glisse une tes mains dans les cheveux de la demoiselle. Souffle, souriant, doux.

— Autre chose ?

Sincèrement, ça te dégoûte.
Pas déçu de la voir partir avec son regard qui brille, ses lèvres qui tremblent comme-ci tu lui avais offert le plus grand des plaisirs. Un billet pour mouiller en observant des mecs s'embrasser... Y a pas à dire, c'est d'une laideur à la limite du supportable.

— À moins qu'elle nous demande.

Et la perspective ne te tire pas la moindre excitation. Tu n'iras pas te débarrasser du billet pourtant. L'art et le beau ont un prix et visiblement il prenait forme de clientes un peu trop poussées sur le voyeurisme. Tu passes une main dans tes cheveux, grommelles.

— Tu m'as décoiffé.

T'essayes restructurer ta coupe, maudit ton imbécilité d'avoir laissé ton miroir de poche dans ta piaule. Ton regard glisse sur Samael, là aussi t'es pas déçu qu'il s'éloigne.

— Tu sais, ton obsession pour la vie sexuelle de ton frère devient de plus en plus inquiétante.

Tu glisses ta main dans ta poche, soupir au contact du billet. Mais dans le fond, tu peux pas t'empêcher d'imaginer ce que ça donnerait, comme tableau, le visage de Melchior rougissant, le visage de Melchior qui brille d'envie. Pour le coup, tu penses que tu serais prêt à contempler ça sans attendre de billets.

— Est-ce que tu as eu assez de mon attention, Samael ? Ou tu veux peut-être t'asseoir sur mes genoux pour que je te raconte une histoire ?

Tu le penses sincèrement satisfait de t'avoir fait perdre ton temps et t'avoir volé un baiser, mais son appétit est parfois surprenant.