tw : meurtreLe tintement du cristal. Les faces avinées se tournent vers elle.
Le verre levé, le ton cérémonial, ils l’écoutent tous.
Elle toise son assistance, ses protégés, la chair de sa chair.
Elle les remercie chaudement de s’être réunis aujourd’hui, pour ce qui aurait dû être un anniversaire de plus pour le feu paternel de la famille.
Ils boivent en son nom, priant pour que la gloire apportée ne cesse jamais.
Ne le savent-ils pas encore ? Elle leur demande quelques minutes d’attention.
Ils le sauront tôt ou tard. Elle cite chacun de leur nom, des syllabes maintes fois répétées. Elle connaît chacune de leurs manies, leurs peurs, leurs rêves. Tous les souvenirs de bambins qu’elle garde d’eux.
Le temps a eu raison de leurs mots d’enfants, ils se tiennent devant elle, ils réclament silencieusement ce qu’elle ne saurait tenir quelques années de plus.
Les traits de la soixantaine ne mentent pas, et son souffle fatigué ne parvient plus à lutter contre l'inévitable.
Les yeux luisent d’envie, elle devine que son temps à la tête de la famille touche à son terme.
Ils n’attendent que de sa palabre ce qu’ils veulent entendre. Ce pour quoi elle les a toujours préparés.
Cet empire, prêt à leur tomber dans les bras. Les mourrons de la matriarche ne sont plus qu’un obstacle pour obtenir les dus de l’héritage. Elle deviendra le reliquat du passé, juste une mère respectée, dont le nom ne fera plus écho dans les rues malfamées.
Alors, elle leur raconte l’histoire de Rome, comment cette splendide cité s’est bâtie pierre par pierre. L’ingéniosité de l’architecture, le rayonnement culturel splendide, que tout ceci avait forcément un prix. Celui du sang versé, du sacrifice des plus pieux martyrs. Que dessous chaque monument, des ossements enfouis se reposaient.
Encore une de ces histoires, des anecdotes gâteuses, bonnes à épater des gamins. Écoutaient-ils vraiment ?L’on n’obtient aucune gloire sans rançons, et son corps marqué par les épreuves, son esprit épuisé par les dilemmes relatent ses dires.
Toujours elle eût protégé sa famille, toujours ses choix ne balancèrent que pour ce qu’elle avait de cœur; de plus instinctif.
Elle termina sa tirade sur Rome, narrant la chute de celle-ci, la décadence de son peuple après des siècles, la complaisance, la léthargie, le manque de discipline et la corruption qui entraîna la fin de leur glorieuse période.
Elle pensait avoir éduqué des loups, avoir inculqué ce qui a toujours coulé dans son sang, la hargne, l’envie de croquer ce monde tout entier. Elle n’a le droit qu’à un troupeau de brebis, leurs habits trop propres, leurs mains si blanches, qu’ils n’ont jamais voulu salir. Jamais ne semblaient-ils concernés par les affaires familiales, des adultes indolents, se reposant sur l’apogée des ancêtres.
Les visages déconfis comprirent rapidement les sous-entendus, ils grognaient pour la première fois, la mine agacée devant les remontrances. Ils montrèrent ce visage colérique qu’ils cachaient, leur envie de voir la vieille peau dégager de ce qui doit leur revenir.
Ils sont si innocents, si ignorants.Elle n'eut cure des quelques remarques qui voltigèrent à son encontre.
Faisant part de son admiration pour Pompéi et Herculanum, continuant son monologue.
Comment ces vestiges d’un âge opulent sont là pour nous remémorer tant de choses. Que le temps se figea en un seul instant, les derniers moments de ces individus. L’éphémère de ce qui compose nos destins, le basculement en un événement.
Devenir immortel en se cristallisant dans l'histoire.
Les premiers toussotements, le regard plongé sur l’horloge de la pièce, les quelques minutes écoulées. Une panique soudaine se propagea quand les premières difficultés s’occasionnèrent.
Les mains resserrées sur leurs propres gorges, cherchant de l’air.
Certains semblaient vouloir régurgiter, tapissant la nappe de giclure des restes du repas et quelques fines traces d'hémoglobines se mélangèrent . Un autre gaspillait sa respiration à profaner des insultes envers sa personne.
Tous commencèrent à vaciller sous la force qui se dérobait de leurs carcasses. L'expiration sifflante, étouffant leurs supplications vaines. Se griffant leurs propres peaux à la recherche des sensations qu'ils se voyaient dépourvus, la conscience oscillante, les vomissements ne les sauveront pas. Tous s’écroulèrent peu à peu, les muscles tétanisés, leurs râles coupables. Le silence rendit son jugement
Doha regardait, sans admiration, sans dégoût, comme un acte de fatalisme.
Bientôt, les corps au sol profitèrent encore du souffle vital restant. Ne pouvant que voir passer leur parfaite mère, ébouriffer leurs cheveux, leur fermer les yeux, une dernière comptine.
Sans doute voulaient-ils connaître la gloire de Rome, ils n’auront que la colère du Vésuve.
Car il est plus juste d’ensevelir un empire que de le voir chuter de son propre orgueil.
- Résumé:
1929 — Naissance en Égypte, fille unique, rejoint très rapidement les rues miteuses d’une ville de la Calabre en Italie.
Papa a tout juste de quoi faire survivre, maman fait de la figuration.
1946 — Elle ne sera jamais la fierté de ses parents, l’école ne lui réussit pas, et ses différends avec ses camarades la conduisent hors des classes.
Les larcins sont bien plus rentables, et la rue semble bien moins hostile que les autres bambins
1948 — De rencontre en rencontre, méfaits en méfaits, Doha rejoint un de ses réseaux qui gangrènent le territoire. Les simples escroqueries deviennent du vrai banditisme, elle sait qu’il n’y a pas de retour en arrière dans cette spirale.
1953 — Fait la rencontre de ce qui sera son mari, il est consigliere de la mafia locale, elle est une membre accomplie de l’organisation. Un engrenage utile parmi tant d’autres, Doha fait du blanchiment et le trafic de monnaie son quotidien.
1955 — 1982
— Son mari grappille peu à peu de l’influence et grimpe dorénavant à la tête d’un petit empire localisé dans la région. Elle en devient légitimement la conseillère respectée en son sein.
— Donne naissance à cinq bambins. Bien qu’elle vive dans le luxe et confort, elle tient à inculquer des valeurs fortes à ses enfants, tenant d’une main de fer le foyer et l’éducation de sa chair.
Cette droiture et inclémence se ressentira auprès du clan, où les décisions les plus cruelles seront établies pour faire monter sa notoriété et prospérité.
— Mais celui qui vit par l’épée succombe aussi à celle-ci, son mari aimant en payera le prix lors d’un traquenard à la voiture piégée.
1983 — 1991
— Doha reprend le rôle de parraine de cette mafia, préparant ses enfants à prendre le relais, sachant que son heure ne peut qu’avancer.
— Elle parvient encore à faire fructifier les activités qui lui incombent, les rivaux et les autorités se font toujours plus oppressants, mais elle ne se privera d’aucun coup bas pour tenir le cap, maintenir sa famille en haut de l’échelle.
1991
— Comme un crève-cœur qu’elle n’arrivait pas à s’admettre, aucun de ses chérubins ne semble concerné par le sort de l’organisation, aucun ne montre les valeurs qu’elle tenait à inculquer. Ils n’attendent que sa chute, pour récolter cette fortune durement acquise. Ils la déshonoraient, elle, lui, tous ceux qu’elle a vus choir au nom du clan.
— Dans un dernier festin commémoratif, elle décide de tous les empoisonner, en finir avec cette farce.
Le dernier acte pour tout ce qu’elle avait construit.
— Récupérant toute la fortune restante, elle parvient à falsifier son identité pour s’enfuir sur Mars.
1993 — Elle tente vainement de faire la paix avec elle-même, cherchant une paisible retraite, elle trouve un travail en tant que commissaire-priseuse à Venus Ville.
2012 — Le vice appelle le vice, un vent de révolte souffle sur mars. Ce qui lui a tant manqué, elle le voit dans les fissures du système l’occasion de rebâtir tout ce qu’elle a démoli.
Doha prend le contrôle d’un petit trafic de stupéfiants.
2015 — L’expérience est bonne maîtresse, Doha a su parfaitement étendre son trafic, une toile qui ira jusqu’aux oreilles des Chili Gazpacho. Il n’en faudra pas plus pour leur prêter allégeance, et vouer toutes ses ressources au gang, voyant en eux la seule véritable force capable de régner sur la ville.
Elle obtient en quelque temps le poste de trésorière.