« Non mais tu sais, je dois refaire ma garde-robe tout est super moche. » T’affirmes la chose avec toute la certitude du monde, comme si le besoin de refaire ta garde-robe n’était pas un simple coup de tête comme tu as bien trop souvent. Si ça se trouve, l’impulsion te passerait avant que tu y flambes la ta dernière paye. Tu pourrais espérer qu’on te retienne aussi, mais réalistiquement, ce ne serait pas Eleanor la mieux placer pour le faire. Ça importe peu au fond, faire les boutiques est surtout une façon de passer du temps de qualité avec ton amie. Puis c’est assez innocent pour ne pas que ton gang pense que tu fraternises avec l’ennemi - ce que tu fais totalement cela dit juste peut-être pas dans le sens qu’ils ont en tête.
Bref donc, une excuse pour passer du temps ensemble d’une manière un peu plus innocente qu’être sous les draps ou lorsqu’une de vous deux se retrouve dans la merde. Ça ne t’empêche certainement pas de t’arrêter à presque toutes les boutiques pour faire un peu de lèche vitrine ou encore lui proposer d’essayer tous les stands de nourriture qui croisent votre route.
La normalité donc.

Ça aurait du être une journée comme les autres au fond.
Ça l’aurait été si ce n’était de la figure familière qui croise ton regard.
Une silhouette que tu saurais reconnaitre entre mille, du moins c’est ce dont tu es persuadée. « C’est pas… » Que tu dis, le temps que ton cerveau traite l’information. Et aussitôt la conclusion atteinte ta réaction ne fait aucun doute.
Tu commences à courir, essayant à peine d’attraper le bras d’Eleanor pour qu’elle te suive, parce qu’elle aussi le connait. « JAKE ! » Ta voix s’élève dans l’avenue alors que t’essaies d’attirer son attention. Parce que tu sais que c’est lui, t’en es persuadée.
Est-ce que tu penses à la possibilité que tu te trompes ?
Absolument pas.
Est-ce que tu penses au fait qu’il ne sera peut-être pas si content de te voir ?
Non plus.
Tout ce qui importe c’est d’arriver à sa hauteur, de lui attraper le bras. Tu l’aurais fait sans même cet excès d’impulsion qui te pourrie bien souvent la vie. Tu ne contrôles même pas l’utilisation de ta Faculty qui te permet d’accélérer encore plus. Tu t’en fiches. Tu veux juste le voir. Parce qu’il t’a manqué, parce que t’as tellement chose à lui dire.
Parce que tu lui en veux aussi.
Mais ça c’est écarté. Il n’y a que les larmes qui te montent aux yeux alors que t’arrives finalement à sa hauteur. « Jake, c’est toi. » Et la réflexion s’est arrêtée là. T’as aucune idée de ce que tu veux lui dire. Un peu plus et tu repartirais sans rien dire. T’es juste contente de le voir, par-dessus tout.

Les temps ont bien changé depuis ta dernière venue en ces lieux. Tout est différent ici, le paysage, l’atmosphère, l’air qui règne, les mentalités des individus autour de toi… Mars n’a pas tant changé finalement, alors pourquoi es-tu habité par cet étrange sentiment de ne pas être chez toi ? De ne pas être familier avec l’endroit et ses habitants ? Peut-être est-ce toi qui n’es plus le même. Peut-être es-tu devenu trop différent pour retrouver ici une familiarité plus chaleureuse. La Terre n’était qu’un abri avant de devenir une prison et si tu croyais qu’un retour sur la planète rouge changerait drastiquement la donne, tu es forcé de constater que tu t’es fourvoyé.

Égaré au milieu des rues marchandes, tu surplombes une bonne partie de l’assemblée, ton visage partiellement camouflé sous ta casquette. Tu n’as pas cherché à faire une grande impression vestimentaire, arborant une tenue plutôt streetwear composée d’un hoodie et d’un jogging qui t’assure un certain confort plus qu’autre chose.

Quelqu’un te heurte et si ça n’avait été que ça, tu n’y aurais pas prêté plus d’attention que ça, mais tu sens cette accroche, tu perçois cette voix qui attire tes prunelles cyan quelques centimètres plus bas. Ton cerveau a déjà fait l’assimilation par le son, mais l’image confirme toutes ses théories. Les traits qui se dessinent sous ton regard presque vide n’ont pas d’égal et ne présentent aucun mystère à tes yeux. « Liv… » Le surnom est déjà trop personnel, il l’est en tout cas suffisamment pour qu’une floppée de flashbacks rapides défilent dans ta tête. Pour que vos moments de partage à trois, vos joutes verbales humoristiques, vos instants intimes et tous vos rendez-vous amoureux te hantent. Pour que son corps sans vie brisé entre tes bras colonise ton esprit…

Tu ne peux t’empêcher d’avoir un mouvement de recul. Repoussant Olivia sans réelle violence, mais avec assez de force pour la forcer à se détacher de toi. L’espace d’un instant, tu t’es perdu sur un nuage de douceur, laissant ta voix trahir ce conflit interne qui fait rage. Mais tu ne peux pas déjà te perdre. Pas alors que tu viens à peine de revenir. Pourtant, il te suffit de détourner tes iris l’espace d’une seule seconde pour identifier Eleanor qui, évidemment, n’est jamais bien loin d’Olivia. Ce qui était autrefois une normalité est depuis leur trahison un catalyseur de haine. Pourtant, il n’y a personne sur cette planète que tu aimes plus qu’elles. Mais de l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas.

« Nora aussi, bien sûr. » Cette fois, ta voix tranche davantage malgré une articulation lente et détaillée, presque lacérante. Ton regard toujours inexpressif passe de l’une à l’autre et, sans même que tu ne t’en rendes compte, la colère s’immisce déjà dans chacun des pores de ta peau. Autour de toi, les graviers à même le sol s’agitent, tes doigts se referment jusqu’à ce que ton poing se serre et si pour la foule il n’y rien de plus normal qu’une discussion entre trois personnes, pour les deux femmes qui ont jadis appris à canaliser ta colère, la donne est complètement différente.