JONQUILLE

Luca. Prénom jusqu’hier inconnu qui n’a cessé, aujourd’hui, de le hanter. Une identité enfin posée sur un visage dont il se souvenait pour l’avoir associé aux événements tumultueux de la soirée du nouvel an, mais qu’il n’aurait cru revoir. Et encore moins dans ces circonstances.

La surprise l’avait pris de court, lorsqu’il avait reçu son message. Il s’était senti aussi contrarié que perplexe, en découvrant l’expéditeur. Déjà parce qu’il n’était supposé n’être qu’un numéro sur une liste destinée à lui faire gagner un pari stupide, qu’il aurait d’ailleurs jeté dès la fin de la soirée. Ensuite, parce que : comment avait-il obtenu, lui, son numéro ? Que ce soit finalement lui qui soit parvenu à l’avoir et qu’il s’en serve, en plus, pour réapparaître soudainement dans sa vie le faisait se sentir comme le dindon de la farce. C’était d’autant plus irritant de savoir qu’il l’était de sa propre farce.

Aaron avait proposé le rendez-vous avec précipitation, comme s’il souhaitait s’en débarrasser le plus rapidement possible afin d’enfin laisser cet incident à l’oubli. Mais il doutait que ce soit si simple ; si Luca s’était donné la peine de le contacter, après presque trois mois, c’était qu’il devait réellement y tenir.

16 heures avait déjà sonné, lorsqu’il parvint à Butter avenue. Fidèle à ses habitudes, il aura quelques minutes dérisoires de retard - déjà qu’il lui avait proposé de se voir le lendemain même, il ne souhaitait pas paraître trop impatient.

Quand, enfin, il entra dans le café, il se dirigea jusqu’à la chevelure cendrée de ses souvenirs, après l’avoir repéré. Luca ? Son regard était sérieux, lorsqu’il s’installa à la table du concerné, loin de l’air espiègle qu’il avait pu aborder lors de la soirée. Tu as déjà commandé ? Qu’importe, il faisait déjà signe à un serveur de venir ; c’était histoire de débuter la conversation. Comment as-tu eu mon numéro ? Pour en venir au sujet qui l'intéressait vraiment.

JONQUILLE

Il était toujours intéressant d’observer les changements de comportement en fonction du contexte dans lequel évoluait les autres. Aaron en aurait été un parfait exemple, s’il ne prenait pas autant soin de façonner sa personnalité.

Luca, une fois éloigné de l’ambiance frivole du bal, semblait plus réservé. Suffisamment affirmé pour paraître davantage réservé que timide.
A moins que ce ne soit dû qu'à leur rendez-vous impromptu ? Une sensation de malaise propre aux entrevues formelles planait dans l’air, le laissant supposer que, quelle que soit la raison pour laquelle Luca l’avait fait venir, ce devait être important pour lui. Ca n’en rendait le médiateur que plus curieux - et, surtout, méfiant.

Face au verre déjà commandé, Aaron signifia son accommodement d’un geste de la tête, ne désirant pas s’attarder en banalité. La réponse à son interrogation première ne tarda pas, désignant Kaith comme le traître à qui il devait cette rencontre.

C’était toujours mieux que de filer son numéro à des clients un peu trop collants, mais le détective ne perdait rien pour attendre.

Pas de souci, fit-il, comme si ça lui importait peu - ce qui, en réalité, le dérangeait. Mais comme je te l’ai dit, il n’y a pas lieu de s’excuser. Pourquoi s’acharner à obtenir son numéro et demander à le voir, si ce n’était que pour présenter des excuses ? S’il n’avait aucune arrière pensée ou objectif, Luca était probablement l’homme le plus honnête du monde.

Je vais prendre un frapuccino caramel, répondit l’hôte, autant à celui qui se proposait de l’inviter, qu’au serveur s’étant approché de leur table. Sans vouloir aborder les sujets qui fâchent ; à quel gang appartiens-tu ? Puisqu’il s’était trouvé à la soirée du nouvel an, il n’était sûrement pas qu’un simple civil. Par simple précaution, Aaron préférait savoir.

Sa tasse lui fut servie et il remercia brièvement le serveur, avant de reporter son attention sur le châtain. Quitte à se trouver ici, le médiateur comptait nourrir sa curiosité. Sans le savoir, il mis les deux pieds dans le plat : Connais-tu Kaith depuis longtemps ?

JONQUILLE

Sincère, malgré l’hésitation. D’autres garderaient leur appartenance à un gang secrète s’ils se savent en présence d’un potentiel rival, mais Luca avait répondu, sans chercher à détourner la question.
Les Banana Bread. Aaron n’avait pas d’à priori particulièrement déplaisant sur le gang. Ils n’étaient pas en guerre, non plus, bien qu’il faille considérer qu’ils étaient tous de potentiels ennemis.

En tout cas, le médiateur prenait l’information et la classait consciencieusement dans un coin de son esprit.

Par curiosité, justement, répondit-il, avec un sourire en coin. J’aime savoir à qui je m’adresse. Mais n’ait crainte ; en tant que médiateur, je trouve simplement utile de savoir avec qui je pourrais être amené à traiter.
Façon de parler. Si nul membre n’est à négliger, il y avait tout de même peu de chance qu’il soit adressé à un simple homme de main. A moins que Luca n’ait un rôle plus important que ce qu’il soupçonnait.

Il y eut un nouveau silence, suivant sa question. Le blond cendré pouvait apprécier prendre son temps lors d’une conversation, mais Aaron soupçonnait davantage une réelle difficulté à trouver quoi ou comment y répondre.
Après avoir vu leur rencontre fortuite, lors de la soirée du nouvel an, il n’était pas difficile de deviner que Kaith devait être un sujet sensible.

L’hôte faisait mine de ne rien percevoir du suspens pesant dans l’air. Il entreprit de siroter sa boisson, en attendant que Luca ne reprenne la parole.

Je vois, fit-il simplement, quand l’homme parvint enfin à s’expliquer. La théorie de l’ami d’enfance paraissait effectivement probable. Des amis d’enfance, qui se retrouvent dans des gangs différents, des années plus tard.
Et si Kaith avait donné son numéro à Luca, c’est qu’ils avaient dû se recontacter, après cette soirée.

Nous ? La question le surprend, comme s’il ne trouvait aucune raison qu’on puisse le considérer proche de Kaith. A bien y réfléchir, pourtant, il lui cédait une proximité qu’il n’acceptait pas avec tous. De là à le considérer proche ? Plus ou moins, selon les circonstances. Aaron s’amuse de cette réponse vague. On pourrait y déceler un double sens, sans avoir la certitude de s’il s’avèrerait vrai ou plaisantin - les deux, en réalité. Nous sommes dans le même gang, comme tu le sais sûrement déjà. J’ignore si Kaith était déjà comme ça quand il était enfant - peut-être était-il pire - mais il sait être incroyablement collant.