« Tu as de la chance ! Je m'ennuie et j'ai décidé que tu serais passionnant pour moi aujourd'hui ! »

Tout a commencé par une phrase. Une phrase lancée, par une voix inconnue, d’une personne inconnue, alors que tu es en train de te creuser la cervelle sur un bidouillage qui te tient tête. Ton regard se relève, l’espace d’une fraction de seconde, avant de se baisser, de nouveau. Inconnue, inintéressante. Le sourire n’a aucun effet sur toi. Tu restes de marbre.

« Je t'écoute, divertis-moi, passionne-moi. Est-ce que tu vas révolutionner le monde ? »

Tu restes muet, te disant qu’en l’ignorant, elle finira par partir. Sauf que par curiosité, tu finis par relever les yeux. Et voir qu’elle n’est pas partie. Et baisser de nouveau le regard. Et sentir l’insistance. Et la gêne. Et elle t’observe, non ? Et tu relèves, encore, le regard. Et elle n’est toujours pas partie. Et tu refais ce petit manège, encore et encore. Baisser, relever, baisser, relever, baisser, relever…

Et puis, un soupire. Tu viens remettre quelques mèches en place, relevant la tête, pour observer la demoiselle.

« Je peux faire quelque chose pour vous ? »

Ah, elle ne t’avait pas demandé un truc ? La… divertir ? La passionner ?

« Je n’ai rien d’un divertissement. Je suis ennuyeux comme la pluie. Peut-être feriez-vous mieux d’aller voir quelqu’un d’autre, pour cela. »

Dis donc. Quatre phrases en moins de deux minutes ? Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait d’Agape ?

Bien. Il semblerait que vous soyez d’accords sur le point que tu es ennuyeux. Ainsi, pourrait-elle cesser de te fixer, se lever et changer de place ? Aller voir quelqu’un d’autre ? Quelqu’un qui soit ouvert à l’idée de se faire enquiquiner ? Quelqu’un d’autre que toi ?

Visiblement, non. Puisqu’elle reste. Et qu’elle continue de te parler. De s’adresser à toi. De t’observer. Tu baisses les yeux, de nouveau, avant de venir te gratter la nuque, les ongles raclant nerveusement la peau. Sa voix s’élève, de nouveau. Le couperet tombe. Tu sens ton cœur manquer un battement, alors que ton regard se relève, une nouvelle fois. « Tu es très mal à l’aise ». Sans déc’. Oui. Ça se voit, non ? Ça se sent, non ? Non ? Est-ce qu’on ne reçoit de toi qu’une image antipathique ? Eeh. Peut-être. Mais…

Regard à gauche, regard à droite, regard en bas, regard sur elle.

« Oui. »

Et oui. Double oui. Oui tu es très mal à l’aise, oui c’est à cause d’elle. Tu n’es pas bon pour discuter. Tu n’aimes pas cela. Ou alors, tu prétends ne pas aimer cela. C’est aussi possible. Tu inspires, profondément.

« Pourquoi moi ? »

Tu finis par demander, tout bas, avant de revenir observer tes papiers, prendre ton crayon pour corriger ton croquis, avant de venir attraper ton tournevis pour corriger ta bidouille. C’est du travail de précision, à ce stade, pour toi. Un travail presque… chirurgical.

« Et pourquoi ce lieu, d’ailleurs ? Vous n’avez pas l’air d’être de ceux qui aiment bricoler… »

Et surtout, pourquoi est-ce que tu réponds à son initiative d’engager une conversation ? Que quelqu’un te vienne en aide…

Tu ne sais pas trop ce que tu dois penser de sa réponse. Est-ce qu’elle est en train de dire que tu étais le moindre mal ? Voire le moindre mâle. Tes ongles viennent racler ta nuque, de nouveau, avant de soupirer. Outre sa réflexion sur ses courbes ou bien sur les physiques d’autrui, qui te marque, d’une certaine manière, avant de finir de t’occuper d’une vis, avant de relever les yeux vers elle.

« Donc vous avez fui ceux qui pourraient s’intéresser à votre physique… et vous avez également fuit ceux que avez jugé sur le physique. »

Tu susurres, essayant de comprendre… avant qu’une question te vienne en tête. Si elle fuit ceux d’apparence, repoussante…

« … pourquoi moi ? »

Tu murmures, pour toi-même. Mais ses mots dépassent, non, surpassent les tiens. Et se mettent à résonner dans ta tête. Quelque chose en toi appelle ? En quoi ? Tu détestes la présence des autres ! Ou alors tu ne fais que le prétendre… ? Non. Impossible. Tu n’es pas un être sociable. Tu détestes faire le sociable.

Les sourcils froncés, tu viens t’acharner sur un morceau qui ne veut pas s’emboiter, avant de finir par le poser, de manière assez virulente – et donc, bruyante, dans un soupire qui l’est tout autant.

« Je ne prétends pas être un solitaire, Madame. »

Siffle-tu, agacé. Elle a mis le doigt là où ça fait mal et aussi bien manucuré soit cet ongle, cela reste une sensation désagréable que de se faire gratouiller ses plaies. Tu te passes une main dans les cheveux, en soufflant, longuement.

« Je n’aime pas les gens. Je n’aime pas leur compagnie. Je n’aime pas les entendre me parler. Cela m’épuise. Vous m’épuisez, Madame. »

Ouh. Te voilà à montrer les dents, tel un animal acculé. Tu détestes te sentir ainsi… Mais la suite ne dépend que d’elle. Est-ce qu’elle va te laisser mordre sans répondre pour montrer patte blanche ou va-t-elle également sortir les crocs et te braquer encore plus ?

Qui sait… ?

Tu es légèrement à bout de souffle, après ta tirade. Comme si tu venais de faire sauter un bouchon et que tout est sorti d’un coup. Mais cela te fait du bien, d’extérioriser. Chose que tu ne fais pas assez souvent, c’est un fait. Sauf que, visiblement… elle le sait. Elle le sent. Ou sûrement est-elle simplement plus calé en interaction et comprend mieux les autres. Disons que tu ne veux pas penser qu’elle puisse utiliser sa faculty sur toi. Tu n’aimes pas, quand on utilise sa faculty sur toi… Bref, ses mots te tendent. Cela se voit à ton index qui vient nerveusement tapoter contre la table, alors que tu essaies encore de te concentrer sur ta tâche. Mais ses mots t’enfoncent plus encore. Et tes doigts finissent par se crisper sur ton tournevis.

Pourtant, lorsque tu lèves le regard vers elle, quelque chose… se produit. Un clic ? Un déclic ? Un crac ? Un boum ? Mettez-y l’onomatopée ou l’expression que vous voudrez. Toi, tu diras simplement un « oh », à défaut d’avoir mieux. Parce que son visage, ses mains, son attitude, tout te donne le sentiment qu’elle ne cherche pas à te braquer. Du moins, pas volontairement. Ou alors, pas méchamment. Sauf que vu ton manque d’expérience, tu te permets de questionner et de douter de ton intuition. Tu déglutis, péniblement. Ça l’est d’autant plus qu’elle s’excuse.

Tu restes… coi. Bouche bée. Un peu idiot. Avant de secouer la tête, puis hocher du chef.

« Bien. Si vous voulez vous emmerder, faites. »

Tu conclus. L’espace d’un instant, tu t’es demandé si tu ne ferais pas mieux de partir. Mais une pointe de fierté et d’orgueil s’est présenté, en te disant qu’il est hors de question que tu partes alors que tu étais là en premier. Cependant, tu finis par te pencher, péniblement, grognant alors que ton dos te dis d’aller te faire… pour attraper ton sac et en sortir une bouteille d’eau, à laquelle tu viens boire, après avoir calé quelques cachets sur ta langue. Une gorgée. Deux. Trois. Tu avales. Puis posée sur la table, la bouteille reste là. Délaissée, tandis que tu retourne triturer les fils de ta bricole, resserrer quelques vis, en changer d’autres qui ont été trop usées par le temps. Ce n’est qu’une partie d’un projet d’ensemble ; pour lequel on t’a proposé de l’aide ; pour lequel tu as refusé ; et qui reste bien chaudement à ton atelier. Se pose souvent la question de « pourquoi est-ce que tu viens ici alors que tu n’aimes pas les gens ». La réponse est pourtant simple : pour observer les créations des autres.

Bref, tu souffles un coup, avant d’achever ton début d’œuvre. Ce sera tout pour toi, pour aujourd’hui. Ton corps veut rentrer se poser et ton esprit a eu sa dose de parlotte. Tu ranges ton matériel, range ta bouteille également, avant de te lever de ta chaise, sans un regard pour la donzelle, avant de te diriger vers la sortie du bâtiment. Déjà, dans l’objectif de te fumer une cigarette avant de rentrer. Ou, si tes anti-douleur font effet entre temps… aller voir pour acheter du matériel pour tes bricoles et… eh bien. Pour tes armes, également.

Dans tout cela, tu n’as pas fait attention à si la dame t’a suivi ou non. Dame dont tu ignores toujours le nom, d’ailleurs. Mais, bien qu’une légère curiosité naisse dans ton crâne vis-à-vis d’une personne qui s’accroche autant à toi sans le connaître… eh bien. La fierté, l’orgueil, tout ça.

Tu n’aimes pas les gens. Point.