Appartement de Ace, puis de Romeo
Suite directe de "tranquillement." (avec Agape)

Elle était repassée par l'hôpital, le regard déposé sur le bureau de Cecil où son téléphone, qu'elle avait délibérément laissé là, n'était plus. Partagée entre la satisfaction et une inquiétude qui s'exprimait par une excitation au niveau de sa poitrine, Blanche avait interrogé un des employés de l'hôpital. "Il est parti il y a une heure environs", et elle ne manqua pas de noter le patronyme de celui qui avait oublié de l'appeler Mademoiselle.

Elle était rentrée à l'aide du chauffeur de Ace qu'il avait accepté de lui laisser lorsqu'il était lui-même occupé, et elle sortit de la voiture une fois qu'il s'arrêta devant leur appartement, à elle et Cecil.

En entrant, il était assis à table, et son téléphone, à elle, était là, à côté de sa main. Elle s'habilla d'un sourire aussi faux que l'était son apparente patience, et elle déposa son foulard sur une des chaises.

Tu es parti tôt, aujourd'hui, ou c'est moi qui n'ait plus la notion du temps ?

Elle secoua la main dans sa direction, sans lui laisser le temps de répondre.

Je sais tu es très fâché mais il fait chaud dehors, tu sais, et j'ai passé une super journée, alors si tu pouvais faire vite avant que ça ne gâche ma bonne humeur.

Et sans lui laisser le moindre espace pour répondre, l'assaillant et le noyant dans les reproches à demi-mots, elle s'installa à la table, le regard amer et le sourire crispé, gardant la face. Elle adressa une œillade à son téléphone avant de regarder à nouveau Cecil.

Puis tu ne peux en vouloir qu'à toi-même. Tu m'as négligée ces derniers jours.

Mine boudeuse.

Regarde ce qu'il faut que je fasse pour avoir ton attention, maintenant.

Appartement de Ace, puis de Romeo
Suite directe de "tranquillement." (avec Agape)

Elle posa ses deux coudes sur la table, croisa ses mains devant elle pour y poser son menton avec dédain. Où elle était n'avait que peu d'importance, Cecil voulait surtout avoir la certitude qu'elle ne lui échapperait plus. Alors Blanche resta silencieuse, le regard planté dans le sien, défiant toute forme de honte - elle en était parfaitement dénuée.

Crois-tu avoir été le seul à m'avoir négligée ? Je n'étais ni avec Ace, ni avec Samael, ni avec Romeo.

Un sourire se dessina sur son faciès, léger, presque imperceptible, mais pas pour les yeux de Cecil qui la connaissait si bien.

J'aurais cru que ce serait pour ça que tu serais fâché. Tu n'as pas regardé à l'intérieur ?

Elle pointa du doigt son téléphone, comme si le crime y avait été consigné, et déposa son visage sur la paume de son autre main, visiblement pas dérangée par le ton désinvolte qu'elle employait pour le lui annoncer.

Un nouveau numéro y a été enregistré il y a quelques jours. Je l'ai revu.

Romeo.
Elle haussa les épaules.

Mais regarde, même lui ne m'a pas envoyé de messages aujourd'hui, alors qu'il a promis qu'il ne m'abandonnerait plus. Je suis si mal aimée ! Alors où est-ce que j'étais aujourd'hui ? Hmmm...

Elle se laissa tomber dans le fond de sa chaise, laissa son bras retomber le long de son corps, l'autre couché sur la table.

Tu as raison, je vagabondais. Je faisais les boutiques.

Le rictus se prononça à ses lèvres. S'il voulait vérifier ses cartes de crédit, il n'y trouverait aucun débit ; mais la carte de Ace n'était pas à exclure.

Choisis mieux les motifs pour lesquels tu es fâché contre moi, tu veux ? Et ne me laisse plus jamais recommencer.

Montre-moi que tu m'aimes et que tu veux me protéger. Fais-moi sentir que je suis la seule qui compte, que cela te rend fou de me partager - avec l'autre frère qui ressurgit du passé.

Appartement de Blanche et Cecil
Suite directe de "tranquillement." (avec Agape)

Son regard froissé toisa Cecil avec véhémence. Elle voulait se sentir désirée, et il se permettait de l'insulter. Elle voulait qu'il la chérisse, et c'est elle qu'il attaquait. Alors les sourcils froncés dans une mine déçue et en colère, elle secoua son bras pour l'en dégager de son emprise, vainement cependant. Boudeuse, son regard ne se détourna pas une seule seconde de celui de Cecil.

Lâche-moi, Cecil.

La colère grimpait, amère au fond de la gorge. Mais à mesure, la tristesse s'emparait d'elle, la rappelait à un sentiment de solitude, d'isolement - comme celui qui l'avait habité toute la journée, et qu'elle ne parvenait plus à combler, quand bien-même Cecil la tenait fermement.

Elle ne se sentait plus en lien.

Ce "monstre" a eu la décence de ne pas me manquer de respect, même quand je lui ai parlé de toi. Ce "monstre" a un prénom et c'est notre frère que tu le veuilles ou non.

Elle l'avait vu, elle en était sûre. Elle avait vu le visage de Cecil, elle avait vu la cheminée, et Romeo debout à côté. Elle savait ce qu'il avait fait. Elle le savait, elle s'en était persuadée.

Il avait sept ans, Cecil, SEPT ANS. Es-tu resté l'enfant d'autrefois, pour croire qu'il n'a pas changé lui non plus ?

Elle serra les mâchoires et un sanglot sursauta à son visage.

Pourquoi tu ne m'aimes plus ?

C'est Samael, c'est ça ?
Il l'avait prévenue, pourtant, il lui avait dit.

Je ne serais pas allée le voir, si tu m'aimais encore. Mais tu t'es détourné de moi. Tu n'as plus de patience, tu me cries dessus, tu ne fais que des reproches. Je me sens vide depuis des mois.

Des mois ; pour appuyer qu'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même si elle était allée chercher Ace, si elle avait retrouvé Romeo, si elle avait abandonné son téléphone pour gagner la compagnie de Agape. C'était de sa faute, parce qu'il ne la comblait plus ; parce qu'elle n'était plus sa princesse, elle n'était plus que sa prisonnière.

Ai-je été si mauvaise ? C'est toi qui m'as demandé de me prostituer, tu te rappelles ? Mais j'ai le sentiment que depuis que je l'ai fait...

Il n'y avait plus de colère dans sa voix, et elle avait détourné le regard, devenu bas.

Je ne trouve plus grâce à tes yeux.

Appartement de Blanche et Cecil
Suite directe de "tranquillement." (avec Agape)

Chacun des mots qu'il prononça à son encontre lui parût être une prise d'otage. Assaillie par la colère qu'elle ressentait de lui, assaillie par la frustration de se voir muette et rabattue, elle serra ses mâchoires fébriles, le regard amer toisant son frère. Ils auraient pu longtemps jouer à ce jeu, car Blanche et Cecil s'y connaissaient bien pour déléguer leurs responsabilités - leur culpabilité. Ils auraient pu se renvoyer la balle indéfiniment, et l'issue se serait jouée à qui perdrait patience en premier.

Mais c'était sans compter l'habileté de Cecil à se tirer de toutes les mauvaises passes que Blanche lui faisait subir, et sa grande aisance à la retourner.

Dis-moi ce que tu veux Blanche.
" Que tu m'aimes " aurait été la seule réponse instinctive.
Et je m'arrangerai pour te l'offrir.
Mais Blanche en avait assez qu'il s'esquive à son courroux, à ses caprices, pour ne lui donner que des moitiés de réponse ; des "Je t'aime déjà c'est toi qui ne le vois pas". Elle avait raison, et elle n'avait pas l'intention de lui laisser l'occasion de la convaincre du contraire.

Alors elle trouverait un autre moyen.

Elle posa ses deux mains sur la table, les muscles toujours tendus, le visage pincé, mais visiblement plus encline, déjà, à discuter.

Très bien.

Elle déposa son regard sur son téléphone, et lui vint la seule esquisse d'idée qui lui permettrait, éventuellement, de s'apaiser.

Je veux pouvoir surveiller ton téléphone. Où tu te trouves, les messages que tu envoies, les appels que tu passes.

Elle se pencha en avant, sans afficher le moindre sourire. Il ne s'agissait là d'aucune blague d'aucune sorte.

Si tu n'as rien à me cacher, au moins je pourrais adapter mes sorties pour qu'on puisse passer davantage de temps ensemble, n'est-ce pas ?

Elle pencha la tête sur le côté, un rictus au bord des lèvres cette fois.

Et cela me rassurerait de savoir que si tu ne réponds pas à mes messages, ce n'est pas parce que tu préfères répondre à quelqu'un d'autre.

Et si elle ne trouvait pas les messages avec Samael, alors elle saurait qu'il aurait un téléphone secondaire. Et si il refusait d'accéder à sa requête, alors elle saurait qu'il lui cache davantage qu'il ne veut bien l'admettre.

Appartement de Blanche et Cecil
Suite directe de "tranquillement." (avec Agape)

Elle fronça les sourcils. Qu'il accepte aussi facilement la rendit perplexe. Qu'avait-il prévu pour s'en sortir, qu'avait-il déjà imaginé pour que son téléphone ne lui dévoile rien ? Elle pinça des lèvres, visiblement frustrée, persuadée de l'avoir pris au piège, et puis soutirée à la victoire qu'elle s'était promise.

Avec des femmes ? Je n'imaginais rien de ce genre.

Elle laissa sa tête pencher sur le côté, et regarda ailleurs. Sa dernière phrase était restée muette à ses oreilles sourdes. Son boulot, à elle, elle le faisait. Elle n'avait pas besoin de s'occuper de celui de Cecil.

Mais très bien. Faisons ainsi.

Elle regarda à nouveau Cecil, le regard froid, encore plein des amertumes des jours qui précédèrent.

Si elle ne voyait aucun échange avec Samael, elle saurait que l'un ou l'autre lui mentait. Elle ne prononcerait pas son prénom ; elle ne voulait pas qu'il existe de trop dans leur relation. C'était son frère - le sien, à elle. Il n'avait pas à s'imposer dans leurs échanges.

Et pourtant il était là, encore. A hanter l'esprit. A conditionner ses caprices. A nourrir ses insécurités.

Avais-tu autre chose à me dire, Cecil ?

Plus habitée que de froideur, Blanche n'avait plus rien de son adorable et aimante petite soeur.

Appartement de Blanche et Cecil
Suite directe de "tranquillement." (avec Agape)

Aussi facilement que s'étaient érigées ses barrières, elles s'étaient effondrées. Le regard abattu sur son corps à genoux, le coeur serré de le voir implorer ainsi, elle baissa la tête, et rentra les épaules, perdant son allure fière pour adopter celle d'une compassion pleine de grâce.

Cecil.

Elle porta une main à sa joue, la paume chaleureuse de Blanche embrassant la peau froide de Cecil. Un sentiment de victoire l'avait gagnée, mais à sa victoire s'ajouta une forme d'amertume. Elle avait certes gagné l'attention qu'elle cherchait à avoir, mais à la fois quelque chose en elle s'était brisé.

Elle se permettrait de fermer les yeux et oublier cela plus tard - ne se confronterait pas davantage à ce souvenir pour l'enterrer éternellement.

Tu le seras. Tu feras ce qu'il faut.

Elle caressa ses cheveux, tendrement.

Parce que je ne trouverai rien sur ton téléphone, pas vrai ? Rien qui me fasse du mal.

Elle lui adressa un demi-sourire, le regard tout à lui.

J'ai confiance en toi.

Tu ne me décevras pas.
Comme une évidence. Il ne pouvait pas en être autrement.

Et s'il devait y avoir quelqu'un entre nous, tu me le dirais, n'est-ce pas ? Si quelqu'un te distrayait de moi, du soin que tu m'apportes d'habitude, si ce n'était pas que le travail... tu me tiendrais au courant.

Je croirais que Samael m'a menti si tu ne me dis rien, juste pour que tu restes le parfait Cecil, l'innocent.

Appartement de Blanche et Cecil
Suite directe de "tranquillement." (avec Agape)

Le regard était resté figé sur lui, à mesure que le prénom de leur frère s'articulait sur ses lèvres.

Et Romeo...

Et Romeo avait disparu pendant tant d'années qu'il était devenu un fantôme, qu'il avait fini par se fondre aux souvenirs et qu'à revoir son visage l'autre jour avait créé des amertumes de ne pas retrouver l'enfant avec lequel elle avait partagé ses rires. Cecil, lui, avait été là toutes ces années, et tous les jours il s'était occupé d'elle, l'avait choyée, l'avait entretenue. Il n'avait jamais manqué au devoir qu'il s'était imposé. Il s'était dévoué à elle et à son bien-être, ou en tous cas elle s'en était persuadée, de sorte que Cecil était devenu irremplaçable, indispensable.

Ce n'était pas un client trop prétentieux apparu depuis quelques mois à peine ou un frère réapparu après des années de silence et d'abandon qui pouvaient remplacer tout le temps et l'espace que Cecil avait consacrés à Blanche. Qu'il se sente menacé était absurde, mais ça l'arrangeait bien, car elle y voyait l'opportunité d'exiger davantage - des caprices auxquels il n'aurait jamais accédé si la situation avait été différente.

Je ne les aimerai jamais comme je t'aime.

Elle lui avait adressé son sourire, et hocha la tête vivement, acceptant que la conversation soit close ainsi, lui accordant le répit qu'il demandait en silence.

Oui, ça tombe bien, je meurs de faim !

Elle s'agita à installer les couverts qui étaient restés à l'autre bout de la table, Cecil en tête de table, et Blanche à l'extrémité, sur le côté, où elle avait toujours eu l'habitude de s'installer.

Elle s'assit sur sa chaise, et attendit le repas avec une joie infantile ; la même qui la prenait toujours lorsque sa relation avec Cecil allait dans le sens qu'elle voulait - celui où il prenait soin d'elle, en dépit de tout le reste.