La tête qui s'écrase violemment contre le bois du bureau, le cartilage de ton nez qui se brise à chaque coup, le sang qui coagule et se bloque dans tes narines, afflue dans ta bouche et finalement la conscience qui lâche sous le poids du monde. Ce sont tes derniers souvenirs avant le noir total. Quand tu te réveilles, tu es attaché dans une pièce sombre. Les hématomes sur ton visage te lancent et t'arrachent un grognement de douleur. Tu tires sur tes liens pour tester leur résistance mais arrêtes très vite pour ne pas t'épuiser. L'énergie est utilisée stratégiquement pour te repérer dans la pièce. Il y a une porte face à toi mais tu n'as aucune idée de si des gens se trouvent derrière. En haut de la dite porte trône une caméra de surveillance active si tu en crois la lumière rouge. Tu restes cinq minutes à la fixer d'un grand sourire difforme, le sang encore séché au niveau de la lèvre inférieur et la pommette gonflée le rendant terrifiant.

Quand ta crise de dissociation se termine, tu cherches un peu plus à te mouvoir. Tu tournes la tête, te contorsionnes au maximum pour essayer de voir derrière toi - aperçoit le pan d'une silhouette attachée, devines son identité.

— « Callum ! »

Tu t'exclames un peu plus fort pour le réveiller, ne soupçonnant pas l'éventualité qu'il le soit déjà et refuse peut-être de te parler.

— « CALLUM QUINN PUTAIN ! »

Et quand tu en tires un grognement, tu ricanes, satisfait.

— « Il semblerait que ça soit bientôt la fin. »

Tu jubiles de l'entendre. C'est comme un jeu pour toi Duke, c'est plus excitant de pas le voir - du moins tu t'en convaincs pour pas te laisser bouffer par la frustration ou l'énervement. Tu l'écoutes attentivement, le regard qui roule de haut en bas. Tu ne sais pas ce qui l'a calmé mais il est beaucoup plus serein que tout à l'heure. Tu ricanes pour le titiller.

— « Qu'est-ce qu'il se passe ? Ils t'ont coupé les couilles ou injecté des oestrogènes pour que tu sois tout mièvre ? Je parle à Callum Quinn ou à ma mère ? »

La blague te fait roucouler dix secondes puis revient l'ennui et le manque. Heureusement qu'avoir passé presque la moitié de ton existence en prison a su dompter tes élans d'impatience.

— « Compte sur moi pour les rendre aussi fous que moi. »

Il te demande si t'as mal et tu commences presque à vraiment le trouver trop niais. Ils l'ont brisé. C'est sûr qu'ils l'ont brisé pour démanteler la spirale de rage dans laquelle il était enfermé.

— « J'ai le visage en sang mais je survis. Par contre j'ai pas mes cachets. »

Les poings qui se serrent malgré les liens.

— « Tu crois que Frey me trouverait de la drogue si je lui demandais gentiment ? »

Tu souffles. T'as pas envie de penser à Ceres en ce moment. C'est de sa faute si vous êtes là (peut-être la votre d'être resté malgré le fait qu'elle vous ait averti) et t'es pas encore prêt à lui pardonner.

— « J'en sais rien. Sûrement. Ils ont forcément des soigneurs dans ce gang de clowns. »

Tu hausses les épaules.

— « Elle est plus coriace qu'une chienne. Plus coriace que toi. »

T'as juste envie de l'entendre gueuler, c'est ton moteur.

Il avait suffit de pas grand chose pour allumer la mèche. A croire que vous êtes trop indisciplinés pour tenir une vraie conversation. T'as besoin des grossièretés de Callum et de sa rage sempiternelle pour pas sombre dans un énième état dissociatif où tu rêves de hello kitty, de démembrement ou d'une montagnes de pilules multicolores dans laquelle tu te baignerais.

— « Tu adoooores me menacer. Surtout mon arrière-train. Que de la gueule Quinn. Trop de blabla et pas d'action. »

Tu soupires, l'entends se débattre. Le cliquetis des chaines qui se frottent te rend fou. Tu te mords la joue, prêt à l'insulter lui et son putain de boucan quand un gros bruit sourd se fait entendre - comme si une masse s'était écrasée sur le sol.

— « Mais qu'est-ce que tu branles ? »

Ils vont pas tarder à débarquer, au vu de la caméra de surveillance qui continue de filmer. Il a beau gueuler il peut plus vraiment bouger maintenant qu'il est allongé et prisonnier de la gravité. Tu arrives à t'orienter pour le regarder, même si tu dois tendre le cou à réveiller tes anciennes douleurs.

— « T'as l'air con. »

Tu abandonnes l'effort, fixes droit devant toi.

— « T'étais sérieux devant elle ? C'était quoi ce que tu m'as fait tout à l'heure ? En mode bipolaire... »

T'as l'audace !
L'audace.
Tu peux parler.

— « ... Putain d'animal. »

Revoilà les insultes à la pelle. C'est toi qui les as cherché et pourtant ça t'énerve. Tu veux te libérer juste pour le narguer et le faire chier, te battre avec lui peut-être. Ça vous ferait du bien de vous défouler l'un sur l'autre - bien que vous l'ayez déjà fait par le passé. Sa loyauté exacerbée masquée par des élans de rage et grossièretés pourrait t'ennuyer (t'ennuie sans doute) mais sans lui au fond t'as aucun allié.

— « Je sais. Mon gros culot, là. »

Tu bascules la tête en arrière pour fixer le plafond, bercé par son rire mauvais.

— « A t'entendre on dirait que tu es jaloux. »

Tu tires un peu plus sur tes liens, écartes les doigts pour laisser le sang circuler.

— « Pas que ça me déplaise, j'avoue tout. »

Il t'accuse d'avoir fait exprès. Évidemment... Tout ce que tu entreprends, même sous le joug du chaos, provient d'une étincelle maladive, est soumis à ta volonté et à ton envie. Tu tournes la tête de nouveau vers lui, étires un sourire glorieux et insolent - presque sadique.

— « C'est toi qui t'ait précipité. J'allais pas t'arrêté. »

Le sang avait besoin de couler.

— « Tout ce qui déroule actuellement est écrit. »

T'es encore en pleine crise de folie.

Tu exploses de rire quand il se fout de ta gueule. C'est presque comme au bon vieux temps - après tout c'est la deuxième fois que vous vous retrouvez cloitrés dans une cave. Mais la première fois tu es mort et tu ne l'avoueras pas, Duke, mais tu redoutes un peu que ça puisse encore arrivé. Non pas que tu aies réellement peur de la mort, mais tu ne sais pas ce que tu pourrais perdre ou gagner. Tu es juste certain que cette fois ça ne va pas te plaire.

— « Tu aurais du me laisser te tuer oui. Je n'aurai plus cet élan de générosité à l'avenir. »

Tu tiques à l'entendre râler. Dans une autre situation ça continuerait de te faire rire. Mais là, ça commence à devenir lourd de le voir s'écraser. Même entre deux insultes.

— « Bordel de merde. Personne te demande de me suivre sombre animal. »

Tu es en colère contre lui, et ce depuis hier. T'arrives enfin à t'en rendre compte.

— « T'es vraiment qu'une petite pute. Et ouai, je l'ai dis ! Tu vas faire quoi ? Tu peux pas me bouffer la queue à sang vu comment t'es ficelé. AHAHA ! Tant mieux. »

Tu répètes.

— « Petite pute, petite pute. »

Tu grognes en l'entendant remuer de rage.

— « Au quadrille ils étaient tous en danger. C'est pour ça que Solar Brooks a été abandonné de tous. Et quand j'ai empoisonné Cosmo je savais que je prenais un risque. Mais tant qu'on négociait j'étais tranquille. »

Tu soupires.

— « Les risques je les prends seul. Personne t'autorise à mourir pour moi. Y'a que moi qui ait le droit de te tuer. »

La réaction est immédiate. Il se contorsionne dans tous les sens pour se libérer. Il t'insulte en retour, mais gueule plus fort. T'essaie de couvrir sa voix en gueulant ENCORE PLUS FORT QUE LUI. A croire que quand vous êtes ensemble c'est désormais tout ce que vous êtes capables de faire.

— « LALALALA JE T'ENTENDS PAS. »

Le coup dans le pied de la chaise tu l'avais pas vu venir. Tu t'écrases au sol à côté de lui dans un hurlement surjoué et disproportionné. Combien de temps avant que les connards de devant la porte l'ouvrent et viennent vous remettre à votre place ?

— « Putain... »

La joue écrasée contre le béton, t'es pas à ton aise.

— « Mon lit me manque. Je rêve d'un bon shot de téquila et d'une paire de seins contre mon visage. »

Soupire alors qu'il est si proche de toi.

— « OUAI COMME TU VEUX OUAI. MOI AUSSI JE PEUX GUEULER AU LIEU DE PARLER. »

La porte s'ouvre brusquement et des hommes se précipitent pour vous encercler. Tu râles et lèves les yeux au ciel.

— « Et voilà, t'as vu ce que t'as fait ? T'es content ? »

Ils s'y mettent à plusieurs, non sans vous molester de coups au passage pour finalement vous relever et vous replacer correctement sur vos chaises. Le silence et le calme est réclamé quand la porte se claque de nouveau. Tu t'es pris une droite et ça t'a à peine réveillé.

— « Nos bourreaux sont des sadiques. »

Pour qui c'est de la torture de vous laisser ensemble ici ? Pour lui ou pour toi ? C'est même plus amusant de le faire chier parce que ça t'épuise peu à peu, Duke. Tu veux pas rester à moisir entre ces quatre murs et tu sens que l'aventure n'est pas loin d'être terminée. Tu souffles du nez.

— « J'sais pas. Je pense qu'ils veulent surtout nous laisser croire à un seul instant qu'ils nous feront un traitement de faveur. Mais ils sont trop faibles pour la torture. »

Tu cries plus fort, porté par une énergie qui te dépasse.

— « LA TORTURE LA VRAIE ! »

Baisses les yeux sur tes genoux serrés. Il te demande c'est quoi ton plan et tu laisses échapper de tes lèvres pincées un long hmmmmm suivi de la réponse tant attendu :

— « Le plan c'est que j'ai pas de plan. »

Et t'entends des bruits de pas au loin dans le couloir.

— « Ils arrivent. C'est parti on va enfin se divertir. »