Les mains dans les poches tu arpentes la rue, Nala bien devant. La journée a été longue et tu sens la fatigue tirer sur tes épaules. Gérer les paris et son trafic était déjà un sacré boulot mais devoir accueillir également le Cartel de MMA te rendait la tâche impossible. Au moins, les résultats étaient là. Mais il allait falloir te trouver un assistant sans quoi tu ne tiendrais pas la distance. Le problème étant... Que t'avais confiance en personne. Tu soupirs, passe une main sur tu crâne. Sous tes doigts le tatouage. Non, puis merde, t'es pas du genre à déléguer quoi que ce soit. T'as dit que tu le ferais, tu le ferais, point barre. T'es pas n'importe qui. Tu ne t'effondreras pas. Voilà des années que tu t'étais juré, de ne plus jamais et sous aucun prétexte t'effondrer.

Tu siffles, le signal à ta chienne pour ralentir. Elle s'arrête, tourne sa tête et son regard larmoyant vers toi, l'air de te dire que t'abuse, l'air de te dire qu'il suffit de l'empêcher de jouir de sa liberté. Pourtant elle sait bien, Nala, que tu ne supportes pas de voir tes trésors loin de toi. Ce qui te fait penser que tu devrais inviter Blanche à passer une soirée avec toi. Peut-être invité Arwen également. C'est que tu t'es jamais senti aussi grand et bien qu'en les surveillants. Le grand frère de retour, le héros enfin là. Finalement l'image de caïd elle n'est qu'une façade, le vrai rôle que tu veux jouer, graver dans leur mémoire c'est celui-là. Tu sors ton portable parcours des yeux la liste de tes contacts sans pour autant te décider à taper les foutues invitations. T'es plongé dans tes pensées, ce quartier t'appartient, personne ne peut te faire chier ici, tu ne te méfies. Drôle comment t'es naïf parfois. Heureusement, Cecil est grand frère responsable qui prend son rôle très au sérieux. Il a toujours été là pour te ramener à la brusque réalité.

C'est le bruit de sa toux qui te fait tourner la tête. Tu lèves les yeux de ton téléphone pour capter enfin sa silhouette. Ton expression se fige, tu écarquilles légèrement les yeux. Lui. Ici. Après tout ce temps. Après toutes ces années. Il te coûte de remarquer que ton cœur s'accélère, que ton premier réflexe est la peur et non la colère. Tu prends sur toi, fait appel à toute ta fierté pour ne pas la laisser te dominer. Pourtant, à peine fait-il un peu que tu utilises ta faculty pour le repousser sans violence de quelques pas.

— Reste loin de moi.

Ton regard se fait assassin. Tu captes très rapidement la voiture un peu plus loin, la silhouette qui est dedans.

— T'es sur mon territoire, connard. Alors dit à ton gaillard de rester à sa place, ici on ne déconne pas avec les provocations.

Tu réfléchis à toute vitesse. Pourquoi il est là ? Pour te régler ton compte ? Non, il n'est pas con à ce point. T'es pas n'importe qui, agressé un sous-capitaine sur son propre territoire ça revient à entrer en guerre ouverte son gang. Ça lui coûterait trop chère, Blanche serait en danger... Il n'irait pas... ? Merde. Calme. Calme. Sous ta main la tête de Nala vient se frotter. Tu respires doucement, reste le plus droit et menaçant possible.

— Qu'est-ce que tu veux, frangin ?

Son sourire t'énerve, la façon dont il se présente maître des lieux, de la situation, t'horripile. Dans tes poches, tes doigts te démangent, bougent, incontrôlables. Rêvent déjà du jour où elles iront lui tordre le cou et ravager sa sale gueule. Tu te demandes, lui qui n'a jamais eu de cesse de se prostituer à coup de sourire et de beauté, ce que serait sa vie avec un visage monstrueux, réellement à son effigie. Est-ce que son petit monde continuerait de tourner comme il l'entend s'il avait la tronche ravagée ? Oh, comme t'aimerais en avoir le cœur net, faire l'expérience. Ah, revoir Blanche t'avais fait oublier comment tu pouvais rêver de le tuer.

— Oh, tu fais référence à cette époque où t'étais tellement en manque d'attention que tu t'es pété le genou avec mon haltère et jeté dans la cheminée ?

Tu lui souris, avec toute la haine dont tu es capable.

— Oui, je m'en souviens. Tu es plus moche maintenant. La brûlure, sûrement.

Et tu bombes légèrement le torse, le prends volontairement de haut. Toi, tu n'as ni brûlure qui te défigure, ni marque de faiblesse. Tu as grandi, les rondeurs poupines de ton visage ont laissé place aux traits carrés de ton père. T'as le profil fier, puissant, tu le sais, tu en joues. Lui est resté là avec sa gueule d'ange sauf qu'il n'a plus l'âge qui va avec. Tu le fixes quelques secondes, fronces les sourcils. La menace est à peine voilée. Il te rappelle les enjeux. Ah, comme tu as hâte que cette alliance saute que tu puisses enfin justifier que tes hommes aillent l'écraser. Tu trouveras une idée, une raison. Edge ne pourra pas refuser. Parce que tant que Cecil respirera, toi, toi tu n'auras aucun répit, n'est-ce pas ?

— Je te retourne l'avertissement, mon frère. Attaquer un sous-capitaine sur son propre territoire ne serait pas très malin.

Tu le toises. Sous-capitaine oui. De forte influence qui plus est. Tu le toises, parce que tu veux qu'il comprenne que toi aussi tu as avancé, que toi aussi tu as gravi les échelons. Pour lui faire concurrence, tu serais même prêt à détruire Edge pour prendre le commandement.

Tu es une menace. Tu crèves de le lui faire admettre, tu crèves de voir dans ses yeux la même peur qu'il y avait dans les tiens.

Tu viens doucement caresser la tête de Nala, son rictus dégoûté ne t'as pas échappé. Et quand il révèle enfin l'objet de sa visite tu réponds très calmement, sans flancher.

— Non.

Et lui tenir tête te fait un bien fou.

— Non, Cecil. Elle me veut dans sa vie et elle m'aura.

Tu penches la tête légèrement sur le côté.

— Elle sait écouter, tu sais ? Quand tu n'es pas là à la pourrir avec ta faculty elle comprend qui est le méchant et le gentil. Elle m'a supplié de ne plus l'abandonner... Et je ne voudrais pas la rendre malheureuse. Alors non.

Tu siffles légèrement, Nala aboie puis fait quelques pas joyeux vers Cecil.

— Tiens donc, t'aimes pas les chiens ? Pourtant Blanche en a adopté un...

Tu aimes souligner ce qu'ils n'ont pas en commun.

Sa folie ne s'est pas améliorée avec l'âge. Le serpent semble plus menaçant et venimeux qu'avant. Évidemment, maintenant chef de gang il ne doit plus se sentir pisser. Tu détestes la façon dont il se pavane dans la lumière. C'est indécent, impudique, ça te rappel la démarche langoureuse et vulgaire des prostitués du coin de la rue. Ah, comme tu vibres de l'envie de l'encastrer dans le mur. Ce serait tellement facile. Juste une impulsion pour lui briser la nuque. Son garde de corps n'aurait le temps de rien faire, t'aurais juste à l'envoyer valser lui aussi. Après ça, t'aurais juste à la traquer à la tuer de nouveau, trois au maximum et il ne serait plus. Mentir à Blanche serait simple, Ace serait le premier content. Mais il y a Edge, il y a le gang... Et Cecil est probablement trop malin pour être parti sans laisser le moindre indice de sa destination. Non. Trop risqué, pas maintenant.

— Alors pas de bagarre, sage décision. C'est que tu fais pas le poids en 1vs1.

C'est tout ce que t'as pour toi, la force et forme physique qui lui manque. Tu fronces les sourcils, déçu, rageur, il ne flanche pas comme tu l'espérais, même il retourne ton attaque contre toi. Dépeint Blanche comme sa chose, son essentielle, la seule qui ne le trahirait. Mais t'as jamais accepté que Blanche puisse le choisir lui plutôt que toi. Jamais tu n'accepteras. Tu hausses les épaules, te fais aussi insolent que lui. Tu joues avec ses propres cartes, un style dont tu n'avais pas eu l'intelligence de faire preuve autrefois.

— Ma sœur qui est sous influence de ta faculty de merde, ma sœur qui a pourtant repris contact avec moi une première fois dans ton dos, ma sœur dont tu prends tellement soin qu'elle roucoule dans les bras d'un mec douteux, ma sœur qui t'aime tellement qu'elle n'a pas hésité une seule seconde à venir se jeter sur moi quand elle en a eu l'occasion.

Tu braques ton regard dans le sien, c'est usant de jouer aux manipulateurs... Mais tu dois avouer que la sensation face à Cecil est grisante.

— Tu sais, elle m'a dit qu'on ne se quitterait plus. Je fais parti de sa vie que tu le veuilles ou non, et elle n'a eu visiblement aucun souci à te le faire savoir. Pour quelqu'un de dévouée elle va beaucoup voir ailleurs. Tu dois perdre de ton charme.

Son mouvement de recul face à Nala te fait rire. Tu ne fais rien pour retenir ta chienne, la laisse agiter la queue dans un premier temps. Puis quand elle constate que Cecil la fuit elle se vexe, grogne. Tu te délectes de cette faiblesse qu'il te dévoile.

— Elle ne reculera pas, tu sais. Elle m'est dévouée.

À le voir tu dois te faire violence pour ne pas le tuer. Tu t'avances et Nala également, si tu peux le plaquer contre le mur t'en seras que plus content. Tu as envie de le voir se plaquer avec le même désespoir que toi quand tu te plaquais à la porte.

— Cecil, j'ai une question...

Tu fronces les sourcils, y as un truc que tu veux confirmer.

— C'est vrai que tu l'as envoyé se prostituer ? T'as fait de Blanche une pute ?

Comment il parle de ta sœur, t'aimes pas ça. Il dépeint une Blanche aussi sale que lui, aussi manipulatrice que lui. Mais Blanche, toi tu t'en souviens comme de la petite fille des cabanes, comme de la magnifique jeune femme aux yeux brillants d'émotion. Soudain t'as peur, est-ce que passer autant de temps avec lui l'avait rendu terrible ? Déni. Tu revois son visage, son sourire, non. Ta petite sœur est toujours-là. Peut-être abîmée mais toujours-là. Blanche n'est pas comme Cecil. Blanche est comme toi. Oui. Oui. C'est ça.

— T'es totalement taré. T'entends comment tu parles d'elle ? Tu crains, Cecil.

Tu serres le poing.

— J'aurai dû t'enfoncer la tête dans le feu jusqu'à ce que t'en crèves.

Ça peut toujours se faire.
Il menace ta chienne. Nala semble comprendre l'animosité dans ses paroles et n'en grogne que plus fort. Calée sur ses pattes, comme prête à bondir. Tu fronces les sourcils, siffles pour l'inviter à reculer.

— Touche à ma chienne et t'es mort.

Tu l’exècres. Mais surtout, il te fait peur. Tu réalises que tu le crains plus quand sourit que quand il hurle. Quand il est furieux, il en devient humain, logique. Quand il sourit il devient fou, imprévisible. Et la façon dont ses lèvres s'étirent te glace le sang. Tu écarquilles les yeux alors qu'il ouvre la bouche. Les mots t'atteignent, tu les entends pourtant t'es sûr de mal les comprendre.

— Pardon ?

Tu sens ton cœur s'accélérer, ton sang ne faire qu'un tour. La colère boue, te submerge. Ta faculty au service de tes débordements émotionnelle qui force Cecil à reculer, encore.

— Tu l'as vendu....

Tu souffles, trembles. Il l'a souillé. Son sourire, sa candeur, sa douceur.

— T'AS VENDU NOTRE SŒUR SALE FILS DE PUTE !

Tu vas le tuer, tu vas le tuer, tu vas le tuer.

— Comment t'as pu la laisser écarter les cuisses pour du fric ?! ET TU L'AIMES ? TU PRENDS SOIN D'ELLE ? Sale chien putain mais tu t'entends ?!

Il le dit. Enfin. Sans mensonge. Sans nier. Sans rien. Il le dit. Clairement. Et c'est un soulagement. Ça te tue encore d'admettre que malgré tout, toutes ces années, avaient substitué le doute. Et si tu étais le méchant ? Et si par lâcheté tu avais tout déformé ? T'en avais vu, des gars, réécrire l'histoire alors qu'ils avaient du sang sur les mains, la folie dans les yeux. Une partie de toi se disait "peut-être que". Mais c'est faux, c'est faux Romeo. Le méchant c'est lui. T'avais raison. T'as toujours eu raison. T'as presque envie de rire. Il assume. Il admet. Il est le méchant. Tu es donc le héros. Tu es dans le bon camp. Qu'est-ce qui peut t'empêcher de le tuer maintenant ? Tu l’élimines, tu sauves Blanche, l'happy ending. Oui. Oui. Oui. Oui.

— Hahahaha... T'admets enfin.

Tu passes une main sur ton front, t'as un sourire aussi carnassier que siens est doux. En cet instant, la ressemblance et le lien de famille est plus que flagrant.

— T'admets sale fils de pute. Et pourquoi tout ça, Cecil ? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour que tu veuilles me détruire ?

T'as jamais été aussi proche des réponses aux questions qui t'ont hanté depuis ton enfance. T'as jamais été aussi proche de mettre un pourquoi sur tout ça. La folie de l'ignorance, elle ne sera bientôt plus là. Et il admet aussi, Cecil, tout ce qu'il a fait subir à Blanche. Ça te révulse. Si ça avait été toi, si ça avait été toi tu...

Mais où étais-tu. Ta mâchoire se serre, le sourire disparaît. Tu veux pas lui accorder la preuve de ta culpabilité, pas à lui, jamais. Devant Blanche tu pourrais te t'incliner face contre le sol pour t'excuser. Mais devant lui ? Non. Jamais. Plutôt crever.

— Ma faute ? MA FAUTE ?

Comme c'est libérateur qu'il te donne la légitimité de le détester.

— C'EST TOI CECIL, TOI, qui l'as embarqué de toute cette merde ! C'est TOI qui m'a viré, TOI qui m'a poussé à partir. C'était TOI l'aîné. Et qu'est-ce que t'as foutu, hein ? Hormis prostituer ta sœur ? Tu viens me menacer de mort parce que Blanche m'a approché mais t'as apprécié encaisser son argent quand elle se faisait trousser par une bande de porc ! Putain mais tu me files la gerbe !

T'as un rire cruel.

— D'ailleurs tant qu'on y est, tu me le dire aussi, ma maladie c'était toi, hein ? Qu'est-ce que t'as fait ? Tu m'as empoisonné ?

Tu t'approches, excédé, uses de ta faculty pour le forcer à venir à toi. Bien en face de lui, plus proche que vous ne l'aviez jamais été. Son parfum propret emplit tes narines, c'est autant à gerber que lui.

— Écoutes moi bien, frangin.

Le ton est lourd, grave, menaçant.

— Je vais tout te prendre. Ton gang, ton royaume, tout. T'es rien, Cecil. Tu te prends pour le roi du monde mais la vérité c'est que le monde tournera très bien sans toi. Je vais te le prouver.

Tu passes ta main sur son épaule, comme pour dépoussiérer.

— Et la dernière chose que tu te diras avant de devenir une coquille vide c'est que c'est ma tronche que t'aurais dû balancer au feu.

Tu l'expulses de quelques pas, siffles.

— Pisse lui dessus, Nala.