Tu n'arrives pas à t'y faire. Tout dans la pièce est un autel dressé en l'honneur de Pheme Willis. Que vas-tu devenir, sans elle pour te guider ? Te voilà à la tête d'un des gangs de Venus Ville - et en roi illégitime, vil successeur tu dois convaincre et dresser les milliers de serpents qui s'activent déjà au pied de ta tour. Heureusement parmi eux se cachent des alliés de poids, qui dans le silence et la loyauté t'ont exprimé leur préférence plus d'une fois. C'est aux PIC qu'ils ploient le genou, mais c'est surtout à toi.

Debout dans l'ancien bureau de Pheme, tu peines à trouver tes marques. Tu ne veux pas travailler ici, ce n'est pas ton univers et le bâtiment ne t'appartient pas. Mais soit, tu parleras de ça avec tes sous-capitaines lors de la prochaine grande réunion. On toque à la porte et tu lèves la tête.

— « Entre, entre. »

Arwen passe la porte et tu lui offres un sourire doucereux. C'est un allié précieux que tu es capable d'appeler ami. Tu ne caches pas non plus ta reconnaissance. Si tu portes encore le deuil de la seule femme que tu as admiré pendant des années, tu es quand même satisfait d'accéder au pouvoir. Devant les autres, tu la pleureras autant qu'il faudra.

— « Tout ça pour moi ? Il ne fallait pas. Mais je te remercie. »

Tu fais le tour du bureau pour ouvrir le tiroir.

— « Moi aussi j'ai des présents pour toi. L'acte de vente que tu voulais, j'ai réussi à l'obtenir. »

Au prix d'une négociation musclée. Tu te souviens encore du regard de l'homme qui refusait de te le céder, les bras ballants dans le vide au dessus du Persac.

— « Je ne sais pas pour le QG. Je dois en discuter avec tout le monde la semaine prochaine. Je me sens plus à l'aise à la clinique. »

Et ton sourire se perd lorsqu'il aborde subtilement les affaires qui te fâchent.

— « Je ne sais pas quoi faire de mon second. Elle l'a nommé pour me remplacer quand j'ai pris sa place. Ça devait être temporaire. Je ne lui fais pas confiance, et je crois que c'est réciproque. »

Il n'y a que lui pour être enthousiaste face à des actes de vente. Tu lui rends son sourire poli et l'invite à s'assoir en face de toi. Tu tournes encore un moment autour du bureau avant de te décider de faire de même. Croises les jambes et poses tes mains liées sur tes cuisses. Tu fixes, un peu distrait, les offrandes dont il t'a fait part. Tu dévoreras le gâteau plus tard, mais tu prends la montre pour l'admirer d'un peu plus prêt, l'enroules à ton poignet. Tu as appris avec le temps à aimer les belles choses.

— « J'ai pensé à l'hôpital en effet. La clinique m'appartient déjà, ça serait un signe fort que de montrer au reste du gang que je ne suis plus dans l'ombre d'une Pheme absente. Je ne veux pas que son fantôme hante indéfiniment les lieux. »

Tu as l'air préoccupé par quelque chose. Tu regardes en l'air pour réfléchir, les doigts caressant l'angle de ton menton.

— « Mais le bâtiment est toujours aux mains de sa famille. Et s'ils laissent volontiers l'accès aux PIC, je ne suis pas à mon aise. »

Tout ici te fait penser à elle.
Au fait qu'elle n'est plus là - et que son absence te fait mal. Elle était une reine que tu avais juré de servir. Vos jeux de loyauté vous manqueront et tu gardes encore avec toi le souvenir ancré de son visage marqué par la détermination.

— « Hm ? Un sous-capitaine ? »

Tu étires un sourire denté. Tu sais pertinemment qu'Arwen pense à un des autres, pas à lui. C'est justement pour ça qu'il est le mieux placé.

— « Je pourrais en effet t'offrir une promotion. »

Mais Hadès est loin d'être bête, et si tu veux l'écarter ça doit être aussi rapide que brutal. Avant qu'il ne rassemble de son côté des adeptes, avant qu'il ne prépare lui aussi un mauvais coup comme les PIC en ont l'habitude.

— « Je veux que tu trouves tous les renseignements que tu pourras avoir sur lui. Ne laisse rien échapper, et surtout assure toi que ce petit accord entre nous ne sorte jamais d'ici. »

Il est le seul sur qui tu peux compter.

Si tu l'as convié c'est aussi pour pouvoir entendre son avis. Tu es sûr de tes décisions Cecil, mais aussi certains des doutes qui t'empoisonnent l'esprit. Tu n'as pas le droit de flancher, pas le droit de penser à autre chose qu'à la prospérité. Le pouvoir t'est tombé dessus (certes) mais tu dois bien reconnaitre que tu l'as cherché. Alors quand sera-t-il quand ils auront tous terminé de pleurer Pheme ? Tu refuses qu'on te pleure quand ton heure sera arrivée.

— « Une ère prospère... »

Tu ricanes à cette idée.

— « Faisons déjà en sorte que cela reste mon ère pour assez longtemps. »

Il te dit qu'il sait à quel point tu l'aimais. Tu fronces les sourcils, visiblement mal à l'aise d'aborder tes sentiments avec autant de familiarité. Tu détournes le regard un instant pour fixer autre chose que la pile de dossier poussiéreux qui s'accumulaient jusqu'à son retour. Ils te paieront - et ta determination se prolongera à terme, avant que la soif du pouvoir ne cesse de te grignoter.

— « Tu peux bien sûr utiliser Seth, mais fais attention. Ne lui révèle pas nos intentions. Je n'ai pas totalement confiance en lui. Il sert ses intérêts avant les nôtres. »

Tu tapes dans tes mains.

— « Bien. Cela est réglé. »

C'est maintenant l'heure de discuter stratégie. Ton visage s'assombrit tout à coup. Tu portes une main à ton front, quelque peu secoué par tes propres réflexions. Tu respectais Pheme mais cette pseudo alliance avec les Chili est une ineptie la plus totale. Cependant, tu ne peux pas te permettre d'être celui qui la brise en premier.

— « Je dois bien avouer que je suis sceptique sur ce que peut nous apporter Oberon Blum et son groupe de crasseux anarchiques. »

Si tu as pensé à renconter Oberon Blum ? Celui qui se fait surnommer Edge ne perd rien pour attendre d'avoir volé la raison de Pheme. Il ne peut qu'avoir rusé pour s'être octroyé sa confiance. Pheme n'avait confiance qu'en toi (tu le sais, tu en es convaincu). Tu fronces les sourcils, serrant le poing sur le bureau. Tu y as pensé, c'est vrai.

— « Pour l'instant je préfère laisser le silence dominer. L'incertitude me fait gagner du temps. Je réfléchis. »

Et vous n'avez donc plus rien à vous dire. Arwen est une caresse réconfortante (si jamais tu en viens à considérer un contact physique comme réconfortant) - et tu l'apprécies car elle demeure éphémère. Tu te rassois lentement sur ton siège, levant la main pour l'autoriser à partir.

Mais il reste.
Et surtout il parle.

((Ce sont des mots qui te font douter))

— « Je te demande pardon ? »

Qui sait quelle menace peut survenir d'un même côté. Tu écarquilles les yeux.

— « Cooper ? Tu as bien dit Cooper ? »

Tu sais déjà que Blanche l'a recontacté, que ce microbe sans intérêt a refait surface dans vos vies. Mais qu'il puisse avoir approché d'aussi prêt l'autre partie de ta vie te semble surréaliste - te parait surtout menaçant.

— « Tu le connais ? Tu lui as parlé ? Parle Arwen, et parle vite. »

Avant que tu ne laisses le masque de la bienséance se fissurer.

— « QUAND ET OÙ ? »

Tu rentres les épaules, te contractes à mesure qu'il raconte son histoire. Tu as peur de mal comprendre et pourtant tout devient rapidement très clair dans ta tête. Alors Romeo s'octroie le droit d'approcher et de sympathiser avec tes amis ? Pire ! Avec tes alliés ?! Tu fulmines de rage. D'abord Blanche, maintenant Arwen. Ce fumier ne perd rien pour attendre.

— « Oh. »

Tu étires un rictus doux et intéressé. En réalité, tu n'as qu'une envie : Mettre le feu à quelque chose (à ce dénommé Cooper) et le regarder brûler. Mais tu dois rester calme, Cecil. Tu dois rester calme et surtout tu dois lui expliquer.

— « Je vois. »

Tu baisses les yeux, forces des larmes imaginaires. Tu renifles et plaques tes mains sur tes cuisses pour les frotter avec insistance.

— « C'est mon frère. »

Tu ne cacheras pas la vérité.
((du moins, TA vérité))

— « Il est parti de la maison quand nous étions adolescents. »

Tu relèves le visage grave vers lui. Si Arwen a une once de sympathie pour Romeo, alors tu t'engages à la piétiner immédiatement.

— « C'est lui qui m'a fait cette cicatrice. En plongeant ma tête dans la cheminée. »

Mon dieu. Quelle victoire écrasante. C'est toujours comme ça... Dès que tu racontes cette histoire larmoyante, ils ne peuvent pas s'empêcher d'être écoeuré pour toi. En un sens, leur pitié te dégoûte autant qu'ils le sont par cet acte, mais leur haine pour Romeo te renvoie à trop de sentiments bénis. Tu te réjouis de salir sa réputation et détruire sa vie.

— « Je n'avais plus de nouvelles de lui jusqu'à récemment. Il a fui la maison comme un lâche quand il ne pouvait plus assumer ses actes. Je le pensais transformé en coquille depuis le temps... »

Tu fais jouer de tes doigts sur le bureau, le fracas des ongles grinçant contre le bois verni.

— « Mais non... »

Tu as un petit rire. Clairement sarcastique.

— « Romeo Cooper oeuvre pour les Chili Gaspacho ! »

Tu penches la tête sur le côté.

— « Ne sois pas désolé pour moi Arwen, sois simplement de mon côté. »

A jamais.

— « Comme j'ai été du tien par le passé. »

Il t'ôte les mots de la bouche. C'est parfait... tu n'aurais pas cru que cette sombre histoire de cheminée avec Romeo (un frère que tu gardes secret) puisse te servir dans ton ambitieuse quête de pouvoir. Le pouvoir ne s'exerce pas que sur les territoires ou sur l'argent, mais surtout sur les gens. Ils sont fragiles et malléables - leur empathie maladive les rend faibles et manipulables. C'est pourquoi ils te sont si précieux.

— « Tu comprends mieux pourquoi je suis fébrile sur cette alliance ? Sans compter que je ne sais pas ce que trame Oberon Blum. Pheme avait peut-être ses raisons de lui faire confiance mais je soupçonne un marché caché que je ne serais pas capable d'honorer. »

Il appuie sur le fait qu'il sera de ton côté. C'est bien, il ne peut en être autrement.

— « Je sais Arwen, je sais. »

Tu contournes lentement le bureau pour te poster face à lui. Tes doigts caressent le bois molletonné de l'accoudoir. Tu le regardes de haut, non sans un sourire mystérieux.

— « N'oublie pas, non. »

Tu te baisses à sa hauteur en fléchissant les genoux. Ton regard se fait plus intrusif.

— « Blanche est au courant oui. »

Tes lèvres tremblent. Tu ne veux pas arrêter de sourire mais la haine déborde et crispe tes rides.

— « Je ne peux pas l'empêcher indéfiniment de voir Romeo, mais je me dois d'essayer. »

Penches la tête sur le côté.

— « Tu m'aideras, dis ? »