Les derniers jours passés avec Akira ont été plus tendre que le mois dernier. Je ne saisis pas encore toute la teneur de ces changements, mais j’apprécie de ne plus avoir à me préparer mentalement à l’idée de rentrer. Il n’est plus autant sur mes côtes et pour être tout à fait honnête, il est même plus attentionné sans m’étouffer, comme s’il éprouvait des remords à propos de tout ce qui a fait notre quotidien à tous les deux. Le soir je me perdais dans mes pensées, sans réfléchir à quelle sauce j’allais être mangée et j’arrivais même à éprouver de nouveau un peu l’envie de rentrer à la maison. Malgré tout, je n’ai pas oublié ce qui me faisait angoisser et les signaux d’alertes restent bien gravés dans ma tête lorsque je sens que cela risque de déraper.
Dans la journée il m’a envoyé un SMS pour me donner rendez-vous dans un restaurant sur Butter Avenue. J’ai fait une petite recherche quelques heures avant de m’y rendre, avant que je ne m’aperçoive que ça n’était pas un restaurant ordinaire. Je ne sais pas quelle mouche a piqué Akira, mais la carte n’a pas l’air d’être donné et ce n’est certainement pas le genre d’endroits où on s’amuse à venir habiller n’importe comment. Heureusement ma journée n’étant pas remplie, j’ai pu profiter d’une bonne partie de l’après-midi pour me préparer. Pour une fois, ce n’est pas Akira qui m’emmène, donc il n’aura pas l’occasion de se plaindre du temps que je peux prendre à me préparer et j’imagine sans mal qu’il sera agréablement surpris de mon look.
Après avoir passé plusieurs heures dans la salle de bain à essayer différentes tenues pour me décider sur ce qui fonctionnait le mieux. J’ai fini par me mettre d’accord sur une robe courte à manche longues bleue électrique ornée de cercles avec un décolleté plongeant des fentes sur les côtés qui laissent mes hanches et mon dos à nu ; accordé à sandales à talon blanches avec des lanières à nouer sur les jambes.

Pour éviter qu’on vienne me reluquer dans les transports en communs et de risquer de froisser ou de salir ma tenue, j’ai commandé un taxi. Je suis arrivée plus tôt que prévu au restaurant, donc j’ai vite trouvé une place assise pour attendre mon cavalier. Je commande un verre et le sirote doucement pour patiente, pas bien certaine de savoir la raison pour laquelle il m’a demandé de venir et toujours un peu sur mes gardes lorsque je sais que vais rester seule en sa présence.
Je le vois entrer, bien habillé pour l’occasion, un bouquet de ce que je crois être des œillets. Je n’ai jamais été très forte lorsqu’il s’agit de reconnaître les fleurs. Il me demande comment je vais, tandis que je me lève de mon siège pour lui dire bonjour, tentant de mieux observer le bouquet qui semble m’être destiné. Ce n’est pas dans son habitude d’avoir ce genre d’attention, donc j’ai toujours un peu tendance à me méfier.

— Bonsoir Akira, je vais bien et toi ? Que me vaut cette invitation dans cet endroit ? Je lui demande avec un sourire doux.

Mon cavalier est aussi fringant, non plus, que la fois où nous sommes sortis la première fois rien que tous les deux, pour décompresser. Les séquences douloureuses qui ont suivi valaient probablement les beaux moments qu’on a pu passer ce soir-là. À l’époque, on se tournait un peu autour, je le trouvais mignon et j’avais l’air de lui faire de l’effet. Je ne dis pas que j’envisageais quoi que ce soit avec lui, mais s’il me l’avait proposé à l’époque, j’aurais probablement accepté.
Puis il y a eu Arès et maintenant Neptune. Je sais qu’Akira a été une source des raisons qui ont poussé Arès à me quitter et j’ose espérer que rien ne viendra se coller en travers de ma relation naissante avec la belle bleue.

Mon compagnon pour la soirée semble aller bien, même s’il me dit étouffer dans son costume. Ce qui ne m’étonne pas. Il est toujours très bien habillé et même si ça lui va bien, les costumes ne sont pas faits pour lui.
Il dépose le bouquet de fleurs devant moi et me demande si c’est étonnant de me faire inviter par lui. Je ne peux pas me permettre de lui dire que sa nouvelle attitude, bien moins étouffante, est agréable, mais c’est simplement bizarre de le voir comme ça. J’imagine que ça doit avoir un lien avec la disparition de nos pertes, mais je ne saurais pas dire ce qui pouvait causer son comportement.

— Etonnant peut-être pas, c’est rare. Ne va pas croire que ça ne me plaît pas, je ne suis pas habituée à tes petites attentions, voilà tout. Je jette un bref regard aux fleurs déposées sur la table. Merci pour les fleurs aussi, je n’ai pas la main verte, mais je ferais de mon mieux pour les garder en vie !

Il faudra que je leur trouve une place, avant tout. Nous sommes tous les deux installés et je sens chez mon partenaire une sorte de nervosité. Je n’arrive pas à mettre le doigt sur ce qui peut causer ça, lui qui d’habitude est aussi sûr de lui. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’il ne brise le silence qui peu à peu s’était installé entre nous. Son regard pétillant agrippe le mien et je saisis toute la sincérité de ses paroles. Lui aussi n’est pas resté indifférent face aux épisodes dramatiques de notre relation. Même si je sais que je n’ai rien fait pour mériter tout ça, tout ce qu’il m’a fait subir, je n’ai jamais réussi à vraiment lui en vouloir. Certains me diront que c’est parce que je suis actrice de la situation et que d’extérieur rien de tout cela semble bon pour l’un de nous.
Je n’ai pas espoir à le faire changer et je sais qu’il peut être blessant quand il s’y met, mais il est aussi capable d’être agréable. Les caresses sont aussi douces que rares avec lui, mais on finit par s’y faire.

Ses excuses me touchent énormément et je me risque à poser ma main sur la sienne.

— Akira, c’est bon. On n’évacue pas de la même manière, je comprends. Je ne me plaindrais pas si tu étais attentionné plus souvent que tu ne me fais la misère, mais je ne t’en veux pas. Pas totalement…

Je laisse traîner mon regard sur l’ensemble de la pièce, que j’ai vue et revue avant de me préparer.

— J’apprécie l’effort de l’invitation.

Je ne me sens pas de lui dire qu’il ne fallait pas en faire autant, que nous faire livrer des sushis à la maison pour en discuter aurait eu le même impact.

— Mais si tu sembles si enclin à vouloir te faire pardonner… En rentrant, tu pourrais m’accompagner dans le salon pour regarder n’importe quoi depuis le canapé. Je soupire doucement après lui avoir fait le sourire le plus convaincant que j’ai en stock. Ça fait longtemps qu’on n’a pas fait ça, ça me manque un peu…

Il sourit peu à peu pendant quand je tente de le rassurer et que je lui demande sans ménagement de venir faire une soirée où on regarde des films idiots en mangeant des cochonneries. Il est gêné, ça se sent, il n’est pas habitué à ce genre de moment. Les moments simples, c’est eux qui me manquent le plus. Il n’a pas mis longtemps à montrer sa deuxième facette un peu plus aigrie et même si ça ne m’avait pas surprise, ces moments-là ont fait leur temps ; très vite le cauchemar avait commencé à défoncer la porte. Je crois qu’on peut compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où il m’a réellement terrifiée, mais ça avait suffi pendant un temps à installer un climat extrêmement bizarre à la maison, dans laquelle je ne voulais plus rentrer le soir.
Il y a bien Blanche et Olympe qui m’ont un peu aidé dans mes tourments, mais le fait qu’il revienne sur ça prouve que ça compte un peu pour lui. Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve après le retour de nos pertes, je préfère encadrer le moment présent dans mon esprit. Je préfère bien garder les bons moments avant de potentiellement revivre l’enfer.
Son regard s’écarquille après lui avoir demandé un peu plus d’attention. Il ne comprend pas, s’attend probablement à ce que je le déteste. C’est probablement ce que je devrais faire également, mais je n’y arrive pas. Je suis toujours troublée dans ce vague ascenseur émotionnel qui me tient à chaque fois que je suis avec lui. Je ne suis jamais certaine d’à quoi m’attendre quand je le rencontre.

Je hoche la tête à ses deux questions. Je le vois qu’il est nerveux et qu’il ne sait pas trop comment s’y prendre. Il marche sur des œufs et pendant quelques secondes, j’ai presque l’impression de voir Arès le jour où on s’est rabiboché.

— Évidemment Aki’. Tu es intéressant sous bien des égards et je ne sais pas, des fois je me dis qu’on pourrait faire des trucs tous les deux, tu sais. Je ne sais pas comment lui dire ça. Je n’ai pas envie de m’endormir fâchée avec la personne avec qui je partage mon toit…

Une serveuse vient nous apporter les menus et je m’interromps quelques secondes, le temps qu’elle fasse ce qu’elle a à faire, non sans la saluer amicalement. Lorsqu’elle quitte notre table pour en rejoindre une autre, je cherche dans la carte ce qui pourrait me faire plaisir et je reprends la conversation.

— À vrai dire, je n’ai jamais vraiment avancé dans la série qu’on avait commencée le jour où tu as emménagé. Je ne sais pas trop comment dire ça, mais ça me fout les jetons et c’était sympa, mais je ne peux définitivement pas regarder ça seule.

Je garde les yeux rivés sur ma carte, sans être capable de chercher son regard, je ne sais pas vraiment ce qu’il pense, mais ça me fout les jetons d’une certaine façon que je ne saurais pas décrire. C’est lui qui est venu s’excuser, mais j’ai peur d’en demander trop. Mes pupilles se dilatent quand je m’aperçois du prix de certains plats, même avec ce que j’ai pu gagner, ça restait onéreux. Je n’ai jamais été une grande amatrice de haute gastronomie, ce n’est pas pour rien que je sais si mal cuisiner d’ailleurs.

— Je savais que ça n’était pas donné quand je me suis renseignée pour venir, mais je ne m’attendais pas à quelque chose comme ça.