Tes nuits sont agitées, Romeo. Elles jonglent entre le visage cauchemardesque de Cecil et les songes beaucoup plus doux peuplés de victoires et d'accomplissements. Sous tes paupières ça s'agite, le corps tendu, la couverture que tu as déjà repoussée il y a plusieurs heures, déjà.

Rom...

C'est lointain. Dans ton sommeil tu fronces les sourcils. T'aurais presque pu t'apaiser mais une sensation de doigt sur ta joue te fait ouvrir grand les yeux, te lever en sursaut. L'instinct de survie prend le pas, tu te retournes avec brutalité pour prendre par surprise l’intrus dans ton lit. Toute ta faculty pour l'attirer avec brutalité vers toi. Ta main qui vient plaquer son épaule contre le matelas alors que dans une pulsion d'adrénaline tu t'es mis à califourchon pour le bloquer. Tu brandis ton poing meurtrier, près à éclater le crâne de l'assassin qui s'est introduit chez toi. Mais quand enfin ton regard accroche les traits familiers de Circée tu retiens au tout dernier moment le coup.

— Cici.

Tu la dévisages une poignée de seconde avant de soupirer et t'écarter.

— Tu m'as fait peur.

Tu passes une main lourde de fatigue sur ton visage et plaque en arrière tes cheveux longs. Tu t'appuies sur tes poings pour gagner le bord de ton lit, choper l'élastique qui traîne sur la table de nuit pour attacher ta tignasse en un chignon désordonné. Tu te lèves, le cœur encore battant pour choper le fin peignoir de boxe qui te sert de pyjama et ainsi couvrir ton torse.

— J't'ai fait mal ?

Dans ta bouche, c'est une excuse.

Une main fatiguée sur ton visage, t'était à ça de la frapper. L'idée te répugne, trop semblable à tout ce que ton imagination dessine quand tu penses à Cecil, quand tu penses à tous ces hommes qui ont profité de Blanche pour quelques crypts. Les épaules encore toute en tension de ce réveil en sursaut. Elles viennent cependant se détendre quand elle passe ses bras autour, qu'elle vient déposer un baiser sur ta joue.

— Je sais, je sais.

Même si t'en doutes, parce que Circée à beau être forte, elle reste une femme. Les dangers sont multiples, plus meurtriers et présents pour elle que pour toi. Tu plies légèrement les genoux pour lui éviter de se mettre sur la pointe des pieds. La sensation familière de ses doigts dans tes cheveux achève de te faire lâcher un soupir reconnaissant. Tu souffles du nez, amusé par sa provocation. Ça, c'est ce qui achève de te détendre.

— Non, tu crois ?

Tu te retournes pour lui faire face. Depuis quand ton premier réflexe est de penser qu'un assassin se glisse dans ton lit plutôt que de penser à elle ? Depuis combien de temps prenait-elle ses aises dans tes quartiers ? Des années ? Le quotidien était si bien rodé jusque-là. Tu secoues la tête.

— Je vais me chercher de l'eau, t'en veux ?

Tu passes dans le salon, Nala qui s'empresse de se coller amoureusement à ta jambe alors que tu sors deux verres du placard que tu remplis à l'eau fraîche. Tu restes quelques secondes appuyé devant l'évier, soupires, avant de revenir à la chambre déposer vos verres et t'asseoir au bord du lit pour lui laisser de nouveau le contrôle sur ta tignasse blonde.

— Que je sois passé second est la meilleure chose qui pouvait arriver à ce gang. Mais ça fait de moi une cible à abattre. J'ai peur que Blanche ne finisse par être un dommage collatéral.

Comme-ci tu étais capable de t’inquiéter de ta propre sécurité. Tu tournes légèrement la tête derrière toi au risque de te faire réprimander.

— Tu devrais être prudente, toi aussi.

Tu fronces les sourcils, intransigeant.

— Tu cours déjà suffisamment de risque.

Elle n'est pas si lointaine, la nuit où tu lui as hurlé d'arrêter d'être stupide et de se mettre en danger. T'as toujours été trop protecteur la concernant.

L'autre. Tu souffles, t'apprécie qu'elle ne le nomme pas. Tu entends trop son nom ces derniers temps, il revient trop souvent, il représente de nouveau quelque chose de trop concret. C'était facile de le cracher à l'époque. Cecil était loin, Cecil n'était qu'un cauchemar. Mais aujourd'hui, c'est réel, trop réel. Bordel t'as encore le goût de sa menace dans la bouche, la sensation de sa main sur ton épaule. Quelle horreur.

— Le truc, c'est qu'elle est affiliée aux PIC. Elle est avec lui.

Acidité dans ta voix.

— J'ai aucune autorité pour la venger. Encore plus maintenant. Si j’agis c'est discrètement, sans quoi j'entraîne le gang avec moi et on n'a pas ce luxe-là.

Tu l'entends se vautrer sur le lit derrière toi. Tu fixes le mur, ne le rejoins pas tout de suite. Elle est prudente, qu'elle dit. Tu secoues la tête, t'en crois pas un mot. Il ne se passe un jour sans que tu n'envisages le pire, pas un soir où quand elle tarde à répondre tu ne caresses pas l'envie d'enfourcher ta moto et d'aller voir par toi-même. On est jamais trop prudent. Elle ne sera jamais trop prudente.

— Dis pas des choses comme ça.

Tu tournes la tête, sévère, cruellement sérieux. T'aimes pas l'entendre parler avec autant de légèreté de sa vie. Tu viens finalement te laisser tomber à côté d'elle, viens joindre tes mains sur ton ventre.

— On sait pas ce que tu perdras ou gagnera en mourant. Déconne pas, Cici.

Tu tournes la tête vers elle, soupir avant de te redresser sur ton coude. D'une main, tu viens la bousculer un peu pour qu'elle ouvre les yeux.

— Inverse pas les rôles, j'ai horreur de ça.

Tu reviens t'allonger, fixer le plafond. La vérité c'est que tu as des dizaines de plans en cours, les choses n'ont jamais été aussi actives et denses. La fatigue te prend. Combien de temps cela fait que tu n'as pas soufflé ? Depuis que tu as pris ton poste, tu ne t'es pas accordé une seule journée de repos.

— Hm faut que tu me précises, c'est large ta question.

Tu réfléchis quelques secondes pour lui formuler une réponse.

— Je vais continuer de consolider notre nouveau fonctionnement. Quand tout sera impeccable, on passera à l'étape suivante. On a des plans, des projets. Si je gère bien peut-être qu'on n'aura pas à attendre des années pour gagner.

Tu fermes les yeux, la fatigue te terrasse.

— J'aimerais bien t'emmener au parc d'attraction, un de ces quatre.

Tu esquisses dans la pénombre un sourire las.

— J'suis crevé.

Tu rouvres les yeux, fixes le plafond.

— T'as l'air crevée aussi, Cici.

Bonne question. T'aimes croire que t'auras la contenance pour prendre sur toi. Le gang avant tout, les CG avant tout. Tu as tout cédé à cette entité y a une éternité maintenant. T'as tronqué une famille pour une autre, parce qu'à tes yeux mieux vaut être instrumentalisé qu'orphelin. Blanche, aura toujours quelqu'un pour la protéger. Au moins, a-t-elle les PIC. Quand il n'y aura plus de PIC, et bien, la question ne se posera pas, elle sera à toi. Tout sera alors à sa juste place.

Tu tournes brièvement la tête, songe en regardant le profil de Circée que pour elle tu pourrais, par contre. Circée est des vôtres. Protéger les CG c'est protéger son foyer. Si tu ne peux pas débuter une guerre au nom de Blanche, tu peux en débuter une au nom de Circée. Ça te rassure qu'elle puisse jouer le rôle d'Hélène. Au moins avec elle, tu n'as pas à te frustrer.

— J'admire vraiment ton investissement pour les causes désespérées.

Tu souffles du nez, reviens à ta contemplation du plafond.

— Merci.

D'en avoir quelque chose à foutre. De toujours en avoir quelque chose à foutre. Quand tu l'entends se retourner tu lèves un peu ton bras pour mieux l’accueillir contre toi, pour le passer autour de son épaule.

— Ta place c'est ici.

Sans préciser la portée de ce "ici". Assez bourru pour resserrer ta prise, possessif, jaloux d'imaginer qu'elle puisse trouver racine ailleurs. Trop bourru pour verbaliser avec des beaux mots et de belles phrases le besoin qu'elle continue de combler le vide criant en toi.

— Tu sais que tu peux passer quand tu veux. Bientôt t'auras même plus à te cacher, je te le promets.

Edge a des plans. Et sans sous-estimer les CC, tu connais le rapport de force qui vous oppose. Vous tiendrez ce gang en laisse ou vous le détruirez. Dans un cas comme dans l'autre, ta meilleure amie n'aura plus à raser les murs et s'interdire d'aller trouver la quiétude de ton foyer. Tu dois faire vite. Tu caresses son épaule du pouce, te cales un peu plus confortablement avant de déclarer.

— Il est totalement taré.

Mais tu penses que la nouvelle ne la surprendra pas.

— Mais surtout, il a un appétit insatiable. On sait très bien toi et moi pourquoi on se bat. On a une raison. Lui, non. Il se bat pour se battre, il veut vaincre pour vaincre.

Tu secoues doucement la tête.

— Mais je respecte ça. Je pense que c'est ce dont nous avons besoin.

Tu tournes légèrement la tête vers elle, niche ton nez contre ses cheveux.

— À nous deux on va changer les choses, Cici.

Vous allez tout conquérir, vous aller détruire, Cecil, Kokoro, tous. Et ensuite...

Tu fronces les sourcils, vexé d'être contredit, encore plus de savoir qu'elle a pertinemment raison. Ça ne tiendrait qu'à toi, voilà longtemps que tu l'aurais arraché à son rôle d'espionne pour la placer dans un cocon nettement plus sécurisé. Tu pourrais ordonner à Cole de la relever de ses fonctions, de lui trouver autre chose. Peut-être pourrais-tu forcer les choses pour la nommer garde du corps. Tu pourrais l'avoir tout le temps, tous les jours, sous la main, t'assurer qu'elle ne risquait rien. Mais alors, elle te détesterait. Tu soupires, elle est parfois affreusement complexe.

— Sois prudente c'est tout ce que je te demande. Je veux pas avoir à te retrouver une balle entre les deux yeux.

Ta mâchoire se contracte brièvement. L'absence de contrôle qu'elle t'impose te tend plus que tu ne voudrais l'avouer. Mais ça fait partie de votre contrat. Tu ne peux pas lui imposer ta cage, alors au moins fais-tu tout pour qu'elle y revienne d'elle-même. La maison, c'est toi. Quiconque veut te voler cette place aura affaire à toi.

Tu te laisses bercer par la sensation de ses doigts dans tes cheveux. Tu connais Edge, du moins tu crois le connaître. Il est à l'image de sa faculty, expansif, meurtrier, terrible. Pour autant, tu as reconnu en lui un visage convaincant et légitime pour représenter les chili.

— Peut-être. À ce moment-là, je gérerai. C'est pour ça que je suis là, tu sais. Je contrebalance son côté girouette.

Tu te tournes un peu, inspires l'odeur familière de son shampoing. Les chili sont pour toi presque à l'image d'un enfant. Épuisants, gratifiants.

— Je rêve d'une organisation bien ficelée. Mais ils ne sont pas prêts, ni eux, ni nous. Ils ont besoin de se raccrocher à quelque chose de familier et Edge est ce qui incarne le mieux ce qu'est censé être un chili.

Alors tu protégeras et soutiendras son règne. Tu as toujours été franc sur ta loyauté. Votre partenariat est fructueux parce que vous exigez de l'autre ce qu'il y a de mieux.

— Ne t'en fais pas.

Tu es confiant, peut-être trop. Mais tu garderas la tête froide. Après tout si tu es le moins manipulateur du lot, tu as ça dans le sang. Cooper est, après tout, ton nom. Tu plisses légèrement les yeux, soupires contre sa main. Ils vous arrivent parfois de parler d'avenir. De l'après. En général, tu ne sais quoi répondre. Mais depuis ta discussion avec Indra tu t'es mis à penser. Voilà comment tu images l'après. Tu te tournes un peu plus pour lui faire face. Soit elle se moquera, soit elle sera attendrie.

— J'aurai une maison, le genre de baraque avec jardin qu'avaient mes darons. J'aurai une petite vie tranquille, pépère. Ma chienne, mes mômes, quelqu'un.

Tu finis par soupirer.

— Enfin ça c'est si on ne crève pas tous avant. Mais qui sait, un jour peut-être.

C'est trop con. Tu prends un air faussement détaché par épargner ta fierté.

— Et toi ?

Peut-être voudra-t-elle partir. Tu la comprendrais. Mars pue et ça c'est depuis le début. Soudain, tu hausses un sourcil. Tu te redresses sur un coude pour la dévisager.

— Quoi ? T'as peur qu'on me brise le cœur ?

Tu ris malgré toi, l'idée ne t'as jamais traversé l'esprit.

— Haha, merde Cici, t'es pas sérieuse.

Mais force est de constater qu'elle l'est peut-être. Alors tu soupires et te redresses.

— Y a une différence entre tirer son coup et aimer quelqu'un. Je peux pas avoir ce genre de relation, Cici et tu sais très bien pourquoi.

Cecil. Toujours. TOUJOURS CECIL.

— Mais si c'est ça qui te fait flipper, t'en fais pas. Je suis pas naïf et je sais que t'as besoin de pouvoir venir ici.

Naïf, avec elle, tu l'es tellement.

— Alors t'en fais pas, j'ai rencontré personne susceptible de squatter mon pieu sur du long terme.

Tu hausses les épaules.

— Par contre, j'ai peut-être enfin trouvé quelqu'un qui nous rapporterait gros. Tu dois la connaître. Burton, de chez les CC. Je ne l'ai pas encore approché mais sa faculty m’intéresse. J'espère juste qu'elle est pas chiante et douillette, c'est un coup sérieux que je compte jouer.

Ta mâchoire se tord légèrement. Elle marque un point. Tu crèves de jalousie face au bonheur des autres. Qu'Indra se soit trouver une meuf a été une petite trahison en soit. Peut-être le veux-tu vraiment, ce luxe. La baraque, les mômes, le gars, la fille. Ouais, tu le veux sûrement. Mais entre vouloir et pouvoir y a un monde.

— J'ai personne.

Tu réponds, buté, les sourcils froncés.

— Vas-y, soit plus heureuse surtout.

Tu te renfrognes. Tu t'approches d'elle pour la surplomber. On pourrait croire que tu vas la prendre dans tes bras, le visage braqué dans sa direction on pourrait même croire que tu t'apprêtes à faire autre chose. Mais au dernier moment tu relèves la tête, te penches pour choper ton verre d'eau et le descendre d'une traite. T'as horreur quand elle met le doigt sur ce qui fâche.

— Tss.

Tu contemples ton verre vide avant de le reposer sur la table de nuit. En silence tu écoutes ses observations sur Wanda Burton. Tu hoches sérieusement, la tête, ce qu'elle te révèle est de bonne augure.

— Bien, avec ce que je lui réserve j'espère bien qu'elle pleure pas.

Tu tournes la tête vers elle, hausses les épaules.

— J'ai pas de temps à perdre. J'ai fait surveiller ses mouvements, je connais ses rituels. Je vais l'attendre devant son resto préféré et je vais l'aborder, tout simplement.

T'es conscient que ce genre de job devrait revenir à un membre sous le commandement d'Indra. Tu es second, tu as autre chose à faire que d'approcher des minettes au beau milieu de l'après-midi pour des sombres affaires. Tu sais qu'elle pense pareil, Circée. Alors tu précises.

— Elle est importante. Je ne peux pas laisser ce job à qui que ce soit.

Tu veux maîtriser chaque aspect, chaque nuance, chaque seconde des négociations.

— Je vais la convaincre, l'entraîner, la faire combattre. Et si c'est vraiment le diamant brut que tu me décris, Cici, je la recruterai. J'aime pas partager ma thune, tu le sais.

Tu fronces les sourcils, viens saisir son menton pour lui relever le visage. Tu balances, brute.

— Quoi ? Tu penses que le plan n'est pas bon ?

La conversation prend une tournure nouvelle. Tu n'aimes pas ça. Dans les mots de ta meilleure amie, dans son ton, y a comme du reproche, du poison, de l'acide. Tu fronces les sourcils, soudain mal à l'aise. En proie à un fond de colère qui remonte dangereusement le long de tes nerfs.

Maintenant que tu y penses, toi et elle, c'est une histoire qui commence à dater. Et tu crois comprendre qu'il n'y avait jamais eu d'équivalent à votre relation. T'avais noyé avec Circée une possessivité maladive, un besoin de garde insatiable. Mais Blanche était revenue et de nouvelles responsabilités t'incombait. Ton attention n'était plus la même. Peut-être... Peut-être Circée se sent elle délaissée ?

L'idée te paraît stupide, injuste. Soudain, tu te sens prince bafoué. Ne le voit-elle pas ? Comment tu t'inquiètes ? Comment tu lui consacres une énergie et des pensées incessante quand tout ton esprit devrait être tourné vers le sort de Blanche ? Vers le gang ? Tu secoues la tête. Le plan la fait chier. Au moins, sa franchise à le mérite de te soulager. Ses menaces en revanche...

— T'es mauvaise quand tu t'y mets.

Tu souffles du nez, partagé entre l'admiration pour son impertinence et le manque de patience. Tu fronces les sourcils.

— Tu veux passer du temps avec Cole ?

L'idée t'énerve à l'excès, parce que t'as le sentiment qu'elle ne la propose que pour te punir. Le truc, c'est que tu ne peux pas lui dire non. Cole est censé être son référant direct. Celui qui la vole ici c'est toi, pas lui. Tu relèves son menton davantage. Tout transparaît sur ton visage.

— Ce sera alors du temps en moins avec moi.

Tu te fais plus sévère, tu lâches son menton, la toise de haut.

— J'aime pas ce qu'il se passe actuellement, Cici. Si t'as un truc à dire, dis-le.

Tu te lèves du lit, choppes ton verre pour le rapporter à la cuisine. Tu viens te caler dans l'encadrement de la porte. Tu n'aimes pas ça. Tu la regardes, l'éclat jaloux et mauvais dans le regard. Tu penses à Cole, tu penses aux risques qu'elle prend. Est-ce qu'elle va t'imposer son absence pour te punir de faire ton job ? Tu ne comprends pas le problème. Tu ne comprends pas la frustration que ça suscite.

— C'est quoi le problème ? Mon plan ? Burton ? Toi ? Moi ?

Ça t'agite tu veux une clope.
Elles sont loin.

— Dis-moi le fond de ta pensée.