Tu écarquilles légèrement les yeux, remercies la pénombre de masquer les émotions qui se trahissent sur ton visage. Quelque part, tu le soupçonnais. Possessifs vous l'étiez l'un envers l'autre depuis très longtemps. Et ça te plaisait. Le besoin de s'approprier, de posséder, d'avoir à soi quelque chose, quelqu'un, qu'on n'aurait pas à partager avec un frère détraqué ou un ami encombrant. Tu avais besoin d'exclusivité, de te faire roi et empereur de quelque chose, même si cette chose n'était pas le monde. Circée était cette chose. Mais l'entendre verbaliser ce qui n'était que tacite jusque-là, t'effraie. Verbaliser, c'est vous mettre en face de vos contradictions, de l'étrange de votre lien. Tant d'énergie à fuir et jouer aux aveugles qu'elle ruine. Tu crois que tu lui en veux. Tu as la témérité du héros, mais pas son courage, Romeo.

Tu ne réponds pas, gardes le silence. Voudrait te faire aveugle et sourd à ce qu'elle raconte. Tu ne veux pas prendre de décision, pas rendre officiel ce qui n'était que suggéré. Tu as entretenu ce flou par pur égoïsme, par pur besoin de la retenir sans jamais avoir à lui offrir une place en particulier. Tu penses à Cecil et ça t'effraie. Elle te met le flingue sur la tempe. Tu as envie de cracher qu'elle ne peut pas comprendre. Peut-être que si. Tu ne sais pas. Putain, pourquoi dire tout ça, Cici ? La porte de sortie qu'elle t'offre, t'a envie de la prendre, de t'engouffrer dedans sans demander ton reste. Tu veux la voir se coucher et ne plus dire un mot. Tu veux te voir fermer les yeux et, demain matin, reprendre la routine là où elle s'était arrêtée. Tu pourrais. C'est sincèrement ce que tu considères pendant d'interminables secondes. Mais tu la penses assez revancharde pour aller voir Cole, assez bafouée dans sa fierté pour accepter de se punir si ça peut te punir aussi. T'as la tension dans la gorge, tu serres la mâchoire. Merde.

— Je ne te remplace pas.

Tu t'approches, viens t'asseoir à côté d'elle dans un soupir. Tu n'es pas très doué avec les mots, encore moins quand il s'agit de sentiment. Indra a dit "que tu pourrais t'autoriser à connaître ça". Tu souffles du nez. Non. Tu ne peux pas. Cecil... Cecil va te la prendre sinon. Comme il a pris Blanche, la maison, les parents, tout.

— Tu n'es pas remplaçable, rentres toi ça dans le crâne.

Tu ne sais pas quel geste esquisser. Ce serait plus simple de juste vouloir agripper ses hanches et gémir au creux de son oreille. Tu aimes ce genre de relation parce qu'elles sont simples, quand bien même une forme de tendresse s'y mêle. Il n'y a qu'un plaisir brut à assouvir. Mais Circée, ça ne pourra jamais être ça. C'est pour ça que tu lui en veux. Au fond d'elle, elle le sait. Tu secoues la tête, porte une de tes paumes à ton front.

— Tu fais chier, vraiment.

Tu te tournes la tête. Tu l'observes une seconde, poursuis.

— Faut que je te fasse une déclaration d'amour, que je te demande en mariage peut-être ? Tu sais très bien qu'on peut pas faire ça.

Tu fronces les sourcils, mal à l'aise.

— Si Cecil te trouve...

Tu secoues la tête, une nouvelle fois.

— Je ne veux pas qu'il te trouve.

Remettre en question la loyauté des autres ne te pose aucun problème, en revanche qu'on remette en cause la tienne t'agace. Tu fronces les sourcils, secoues la tête, buté. Pour qui te prend-elle ? T'as une confiance aveugle dans ta propre loyauté. Si aveugle que tu ne comprends pas qu'on puisse en douter.

— Ne décide pas pour moi ce que je suis ou non-capable de faire.

Tu la regardes. Soupire. Finalement les mots ne viennent pas aussi naturellement que tu l’espérais.

— Elle ne me détournera pas de toi.

Tu accueilles son baiser, ferme brièvement les yeux. Tu pourrais relever. Tu pourrais lui faire remarquer. Tu pourrais vous interroger sur la portée de vos gestes et de vos mots, sur le tendancieux et le flou. Et pourtant tu n'en fais rien. Tu gardes la bouche obstinément close. Vous l'avez très bien dit vous-même, vous ne pouvez pas. Nettement plus simple de fuir ce dont on ne parle pas.

Tu poses tes mains sur tes genoux.

— Très bien.

Tu tournes la tête vers elle.

— Reste prudente et ne fait rien d'inconsidéré, Cici. J'ai besoin de toi.

Cruellement sincère.

— Beaucoup de choses vont bouger, j'ai besoin que tu restes intouchable.

Tu glisses une main à sa joue, fronces les sourcils.

— D'ailleurs, je veux des doubles rapports. Ne te contente pas juste de Cole, je veux que tu viennes tout me raconter, je ne veux pas de paroles rapportées.

Tu hoches la tête. Des doubles rapports, oui. Quand bien même ce n'est pas utile, quand bien même c'est du travail en plus. Mais tous les prétextes sont bons pour qu'elle te revienne, qu'elle te parle, qu'elle soit là. Tu ne culpabiliseras pas de cet égoïsme. Le temps qu'elle passe avec toi est un temps où tu peux t'assurer qu'il ne lui arrivera rien. Tu fronces légèrement les sourcils quand elle réclame avec subtilité la vérité. Tu pourrais lui dire. Seulement tu ne peux pas. Te mettre à nu devant elle ne te pose aucun problème. Mais le travail, les CG. Ton sens du devoir est bien trop exacerbé.

— Bientôt. Tu sauras bientôt.

En même temps que tout le monde. Tu ne peux pas lui accorder plus de faveurs. Ta large paume à sa joue, tes doigts viennent se perdre dans ses cheveux.

— Mais tout ira bien. Fait moi confiance.

Elle réclame le sommeil et tu ne peux qu'approuver. Tu lui es reconnaissant de réclamer ta proximité, ça aurait coûté à ta fierté de lui demander de rester. Sans plus de mot tu la tires vers toi pour vous allonger. Tu passes la couette sur vous, te cales dans un soupir contre l'oreiller. Dans la pénombre de la chambre, tu observes l'éclat de ses yeux, les nuances argent du reflet de ses cheveux. Malgré toi, tu sens de nouveau la sensation de ses lèvres à la commissure de ta bouche. Tu le sais, que si tu l'embrassais, elle ne te repousserait pas. Tu considères l'idée une seconde. Tu fermes les yeux, fais appel au sommeil. Tu es courageux, mais jamais avec elle.