Les jours semblent se ressembler et sont devenus insipides. Pourtant, il y a eu beaucoup d'événements chez les CC dont cette fameuse réunion avec Kokoro qui a rajouté tout un tas de choses aux conséquences de la capture de John avec les pertes et excès qui ont rétabli le caractère de chacun à quelque chose de plus stable.
Ce jour-là, j'ai à peine discuté avec tout le monde au bureau, me contentant seulement de garder un œil loyal sur Kokoro comme je l'ai toujours fait jusque-là.
Et ça aurait dû me suffire, pourtant, pour une raison quelconque que j'ignore encore, je ne me sens plus à ma place dernièrement, ou du moins, j'ai un sentiment étrange qui me parcourt l'échine et qui ne me quitte plus depuis plusieurs jours.

Ce n'est pas le fait que j'ai été balancé les dernières informations à Cosmo cinq jours après cet épisode ; je l'ai toujours fait et agi de manière discrète. Ce n'est pas non plus que je fréquente trop souvent Astar - bien que j'élargisse à peine mes visites entre le moment où j'ai des entrevues avec mon supérieur et mon temps libre que je passe pour le voir, lui.
Mais j'ai surtout l'impression que tout le monde commence à se poser soudainement des questions suspectes sur moi, comme s'ils devinaient ma relation interdite avec Astar ainsi que la fréquence de mes visites.
Et, là où ça m'explose complètement le cœur, c'est que son arrivée chez les BB ne coïncide pas avec ma mission ici, que je le sens à deux doigts de partir sans que je ne puisse rien y faire et que je me dise injustement que si je reviens plus tôt, alors sa vie chez nous aurait un sens et que ma présence pourrait affecter sa décision finale - c'est peut-être pour cette raison, aussi, que je viens beaucoup plus, pour le garder sur le droit chemin. Pour autant, je ne peux pas non plus abandonner tout le gang sous couvert de mes sentiments pour lui.

Une voix m'appelant me tire de ma rêverie ou plutôt, me sauve de mes foutues idées noires. J'espère que mon manque de réaction n'a pas durer longtemps : la honte.

- Kaith ? Je suis surpris, je m'attendais pas à le voir réveiller aussi tôt, mais malgré ma réticence à vouloir me tourner vers lui, sa bonne humeur m'aide à me dire que je me suis peut-être trompé au sujet de mon prétendu sentiment de mal-être concernant tout le monde. Je me fais seulement des idées car je me sens moi-même coupable de ne pas prendre assez de distance pour conserver mon rôle. Je vais bien, mais je - Impossible de refuser, je n'ai aucune justification valable à lui donner, là, tout de suite. Je panique un peu, suffisamment pour obtempérer sans préavis. Ouais, je suis libre. Je range fissa mon com dans ma poche avant et enclenche le premier mouvement pour amenuiser l'espace entre nous.

Je ne peux m'empêcher de jeter un regard de regret derrière mon épaule, constatant que l'éloignement spatial avec ma destination ne fait que rapprocher Astar dans ma tête. Ça reste discret, car je m'affaire à rester derrière Kaith afin de pouvoir le suivre.
Je dois reprendre contenance et me force à le faire, utilisant ma sensation étrange pour récupérer des informations et vérifier si tout va bien concernant notre relation. Après tout, si j'ai accepté aussi vite, c'est également par soulagement de me dire que tout ce que je pensais de négatif n'était que du vent.

- Je suis content que tu aies pensé à moi, ça faisait un long moment qu'on n'avait pas passé de temps ensemble toi et moi.

Si mes paroles ont l'air mélancoliques, j'essaye d'afficher une expression neutre.
Même si je ne suis qu'un espion, que je n'ai pas pour priorité de me lier avec les autres, les deux ans passés ici n'ont pu être que plus agréables et supportables mentalement qu'avec de vraies discussions qui ne se sont pas toujours résulté d'une trahison de ma part.

Je reste humain après tout.

Je constate que sa bonne humeur habituelle est toujours aussi contagieuse que je regretterais presque qu'elle n'arrive jamais à m'arracher un sourire.
Même si je ne pense pas être particulièrement quelqu'un de déprimé, on m'a une fois fait la remarque que mes sourires restaient rares. Ce n'est pas que je ne veux pas ne pas sourire, c'est que mon sourire ne parvient ni à être spontané, ni d'humeur à copier celui des autres. Quoi qu'il en soit, Kaith ne me fait aucune remarque et continue simplement à discuter avec moi que je lui paraisse maussade ou non.

- Oui. Mars est sens dessus dessous depuis quelque temps. J'ai l'impression que c'était seulement hier que nous avions plus de faculty. J'évite d'en dire trop, connaissant moi-même tout ce que ces conneries ont engendré, et même sans ça, j'ai la sensation que le staff ne nous laissera jamais respirer sur cette foutue planète rouge : y a vraiment des moments où j'aurais préféré naître sur Terre.
Reiko avait raison au sujet de l'organisation qui habite ici, ils ne lâcheront rien.

- Pas vraiment pour être honnête. Je n'ai jamais expérimenté la mort moi-même. Par contre, j'ai été bien trop souvent victime de celle de mes proches. Le taux de mortalité sur Mars est si élevé que des cas comme le mien reste considérablement rares. Cela dit, il me paraît plutôt mal venu de s'en vanter, étant donné que je reste relativement une potentielle cible jalousée et je ne voudrais pas que mes prétendus privilèges donnent des idées malintentionnées à mon encontre.  

Très vite, nous nous dirigeons vers ce qui s'apparente à une boutique qui propose une excellente carte de boissons ainsi que des plats régionaux rapides, autour d'un cadre zen.
Kaith a beau être un gars très joyeux et surtout actif, il n'a pas une patience exemplaire et je ne me surprends pas à le remettre de la sorte sur les rails.

- C'est normal qu'il y ait du monde. Tu m'as dit que ça venait d'ouvrir, les gens sont curieux, c'est tout. L'alternative "extérieure" ne me déplaît pas, le temps est plutôt enclin en ce moment et je préfère éviter les endroits trop bondés de toute manière. Ok, je vais chercher une place en t'attendant. Je te laisse choisir pour moi, j'aime de tout, sauf la mangue.

Je choisis un endroit sous l'ombre d'un arbre, légèrement en retrait et décide d'envoyer un message à Astar pour lui indiquer mon retard. Manquer à mes engagements me met mal à l'aise, surtout quand je me sais en train de m'amuser, mais ma couverture est encore importante et je préfère me dire que ce n'est que pour le bien de la mission plutôt que de me savoir en train de m'éclater.
C'est ridicule, car le fond de la chose est identique que je me dise une chose ou une autre, pour autant, me restreindre dans mon niveau de bonheur me permet d'alléger ma culpabilité.

- Je parie que c'est toi qui leur as dit d'écrire ça. Je sors mon premier sourire de la journée. C'est un détail infime, mais l'attention est touchante. Je saisis la boisson et trempe prudemment mes lèvres. Je me retrouve à réellement apprécier la saveur de la prune qui se marie avec un arôme atypique que je n'arrive pas à identifier même après plusieurs gorgées. Je reste interrogatif un moment, avant que Kaith relance la conversation, comme toujours, il me surprend avec sa perspicacité ; on dirait qu'il lit continuellement dans mon esprit. C'est vrai que cette histoire de perte/excès à secouer les esprits dernièrement. Le fait que les CC soient paranoïaques ce n'est pas nouveau, on s'y fait à la longue.

Peut-être une autre fois, j'aurais occulté mon sentiment persistant et serais passé à autre chose, mais je dois reconnaître que j'ai bien plus de mal à le faire, laissant mon envie de me confier prendre le dessus, abdiquant mon esprit rationnel un moment.
Alors que je parais presque troublé, je commence à dire des choses qui ne sont pas bien logiques.

- Pour tout te dire... j'ai du mal à rester objectif sur les CC dernièrement. Je ne sais pas si c'est à cause des tensions et de toute la merde sur Mars ou juste... moi, mais je ressens une espèce de... raideur dans leur comportement. Je suis clairement mal à l'aise que j'évite aussitôt le sujet alors que je suis celui qui viens tout juste de le lancer.
Ce n'est pas que j'ai du mal à admettre ce qui ne va pas, c'est que je veux faire attention à mes mots pour des raisons évidentes.

- C'est marrant qu'on en vienne souvent à parler de ce qui cloche dans le gang sans que ce ne soit un sujet trop important. J'ai parfois l'impression que tu lis dans mes pensées Kaith, même ma boisson, tu as tapé juste ; avoue que c'est ta faculty.

Je n'ai pas autant de matière pour être considéré comme quelqu'un de marrant, mais ma tentative part plus dans l'attention de rendre la conversation plus légère que de celle de m'aligner à son énergie. Je dirais même, que, d'une manière générale, mon calme agit plus sur lui que son excitation ne semble le faire sur moi.

Ce n'est pas une mauvaise chose. Je me fatiguerais plutôt vite si c'était le cas, déjà que j'ai du mal à gérer lorsqu'il déborde de trop.

- De quelle planète viens-tu, sérieusement ?

C'est une petite blague en l'air qui prend forme dans un sourire tordu.
Bon, ok, je dois admettre qu'il a au moins de le mérite de faire sortir le farceur qui sommeil en moi.

La façon dont il se défend avec ce large sourire qui le caractérise me laisse deviner que ces mots sont à l'inverse de l'exactitude des faits, et que de toute manière, il ne cherchait même pas à me tromper avec un mensonge.

Lorsqu'il me dévoile avec un air naturel qu'il a déjà expérimenté la mort, je brûle d'envie de l'interroger à ce sujet - cela dit, ma retenue constitutionnelle m'en empêche, plaçant ma curiosité morbide en second plan, ce qui n'est pas plus mal. Pourtant, je n'ai pas l'impression que ce sujet soit tabou dans son cas vu l'aisance avec laquelle il me le confie.  

J'arrête ma réflexion quand on en vient au nom inscrit sur le carton de ma boisson, je suis plutôt long à la détente, mais je finis par me laisser prendre au jeu.  

- Ahahahah, c'est presque ça. Même si je ris, j'ai toujours tendance à avoir un rire assez bas et bref, comme si je me forçais à le faire. C'est peut-être un peu vrai, alors que la situation est réellement amusante. C'est juste que j'ai si peu l'habitude de me lâcher... à croire qu'il est probablement l'un, parmi une poignée d'autres, avec qui j'ai eu bon contact ici. Sram ? C'est dans une fiction ou dans une quelconque œuvre ou bien, tu as assemblé des lettres complètement au hasard ?

Je sirote une autre gorgée de ma boisson en touillant la surface de l'eau qui ondule au passage de la tige en plastique. C'est drôle de voir comment cette simple action amplifie les cercles qui grossissent au fur et à mesure pour rejoindre les bords du verre déformant légèrement mon reflet.

- Oh ? Ah ouais ? Je feins la surprise et j'espère que mon expression n'est pas trop exagérée. D'une manière générale, j'ai du mal à jouer la comédie, et pourtant, en dépit de mon incapacité à garder un visage totalement neutre, je suis quand même celui que Cosmo a choisi pour effectuer cette mission.

Mon cœur bat la chamade, j'ai l'impression que Kaith peut même l'entendre de là où il se trouve. J'essaye de me ressaisir, me persuadant qu'il y a aucune raison pour que je m'inquiète autant.
Après tout, le fait d'envoyer des espions sur chaque territoire mafieux ne doit pas un être événement particulier, le concept n'est absolument pas novateur.  
Je regarde autour de moi pour ne pas à avoir à confronter le sien, remuant d'autant plus ma boisson avec une nervosité que je cherche à cacher.
Le stress me rendrait presque coopératif à répondre sans confessions à ses questions, cependant, ce n'est pas ma réponse émotionnelle immédiate, bien au contraire.

- Qu'est-ce que tu essayes de me faire dire, Kaith ? Je joue dans son jeu, plus méfiant de ce qu'il est susceptible de savoir sur moi que désireux de me défendre à ce qui n'a pas encore été dit. Lâchement, je me sers de ça pour le contredire et m'en sortir indemne. Vraiment, Kaith, si tu crois que je suis un espion, tu te trompes de cible.

Seulement après avoir encaissé ma colère, elle-même découlant d'un sentiment oppressant ma poitrine, je parviens à me détendre après un long soupir. Paresseusement, j'étends l'une de mes jambes afin de paraître le plus relaxé possible.

- Je peux comprendre que tu aies peur qu'un de tes camarades en soit un, je ne voudrais pas apprendre moi-même que toi, tu le sois. Je pense qu'il faut rester vigilant sans tomber dans la paranoïa et qu'on peut au moins faire confiance à nos dirigeants. Ça m'arrache la gueule de prononcer ces mots, mais ils sont autant nécessaires que véridiques. Encore une fois, je me prouve qu'il m'est aisé de lui donner des conseils que je n'applique pas pour moi-même, comme si j'essayais de m'autopersuader en le convainquant. Je ne pense pas que ce soit le but d'un espion que de quitter son gang d'origine pour celui qui l'a espionné, mais ça arrive probablement.

C'est une hypothèse comme une autre après tout et je me sers des spéculations -que je déteste d'ordinaire- pour m'offrir un support afin d'éluder sa question.

- Après, admettons, si ça arrivait : ledit espion ne devrait pas être découvert dans le gang qu'il espionne pour pouvoir rejoindre les rangs sans histoire et ça n'arriverait pas parce que son gang d'origine, par vengeance, et pour l'empêcher de se faire une place, sabotera sa réputation ; les autres sauront qu'il a menti et se retourneront contre lui, et fin du game. Je crois que j'en ai trop dit... Cette projection ressemble beaucoup trop à mon état d'esprit, c'est pourquoi je me sens obligé de rajouter pour me justifier. Ce genre de job, ce n'est pas pour les sentimentaux Kaith, et on sait tous les deux que toi comme moi, on est de cette tempe.

Même si j'ai dit toutes ses choses, je commence à me sentir inquiet à son sujet. S'il ne me soupçonne vraiment pas et que notre conversation n'est que le fruit du hasard, je m'en voudrais que mes agissements le peine. À force d'avoir sympathisé depuis si longtemps avec les uns et les autres, j'ai fini par me prendre au jeu malgré moi.
Soudain, bien que ça me surprenne à peine, vu à quel point je sais désormais que Kaith est plus prompt à se confier dans des moments comme celui-là, j'en viens à stresser qu'il puisse quitter les CC, pour dire à quel point l'illusion de mes propres mensonges est puissante.
À vrai dire, je le vois mal ailleurs plutôt qu'ici, mais tout comme il ne connaît rien de moi et de ce que je fous réellement ici, j'imagine que je ne connais pas grand-chose de sa vie non plus, ni de ses agissements cachés s'il devait vraiment en avoir.

- Qu'est-ce que tu veux dire par "ils n'avancent pas" ? Il est vrai que les CC's sont loin d'être une famille comme la dynamique omniprésente qu'on trouve chez les BB's par exemple, mais un gang reste un gang. On est une unité ; on fonctionne ensemble. Sans harmonie, il n'y a plus de gang, et même ces vautours chez les PIC savent faire marcher la cohésion de groupe pour parvenir à leurs fins. On a, nous aussi, une motivation et tout comme elle est différente des autres gangs de Mars, la seule chose qu'on a tous en commun à Venus Ville, c'est qu'on est uni par nos idées. Si moi-même, je n'approuve pas l'essence même des CC's, je reste cohérent sur ma manière de penser. Je suis attristé de savoir que tu te sens en prison chez nous. Il y a une citation qui dit que l'herbe n'est pas plus verte ailleurs, elle le devient seulement là où tu l'entretiens. Je veux bien t'écouter sans représailles, cela dit, si tu décides de t'en aller, j'aurais de la peine qu'on se retrouve sur le champ de bataille.

Comme ça a à bien failli m'arriver avec Reiko, comme ça m'arrivera très certainement avec River et j'en passe. Nouer des relations est devenu dangereux sur Mars ; mais, nouer des relations est aussi essentiel pour le moral et pour évoluer au sein d'un groupe.
On ne survit pas seul si on a tout un gang au cul.

- D'ailleurs, j'y pense. On n'a pas nécessairement quelqu'un d'autre infiltré chez nous, mais est-ce que tu crois que nous, on aurait envoyé quelqu'un de chez nous, ailleurs ?