À lui. Voilà ce qu'il demande. Mais t'as peur de pas comprendre. Dans la bouche de n'importe quel client, ce serait simple d'analyse, mais dans celle de Melchior, les mots se font souvent perfides et traîtres. Tu ne réponds pas la première fois. Tu profites de sa soif de toi pour esquiver la question, diriger sa curiosité et son attention autre part à coup de gémissement et de caresse du bassin. Coincé sous lui, tu profites de cette position que tu sais à ton avantage pour déployer tous les trésors lubriques qui font la spécificité de ton métier. Du regard, jusqu'au souffle étudié. Des joues rosies par l'excitation jusqu'à la langue insolente que tu passes sur ta lèvre mordillée. Mais Melchior réclame une réponse. Seulement si tu lui dis oui, tu te doutes que ta muse ira creuser son terrier ailleurs. Tu le trouves égoïste de te vous pousser ainsi dans le gouffre. Alors tu souris, esquive, tourne légèrement la tête pour dévoiler la courbure de ta nuque.

— Dois-je comprendre que tu ne veux plus me voir travailler autre-part qu'ici ?

Tu désignes la chambre du menton. Tu bouges un peu les hanches, soupir du contact princier entre vos bassins.

— Ou alors souhaites-tu que je continue, mais que l'authenticité de mon plaisir ne soit que pour toi ?

Quel enfant capricieux, gourmand, ambitieux. Ah. Dans quel monde cette brute de Duke pense-t-il pouvoir rivaliser ? Tu souris, tu bouges les doigts pour chatouiller ses paumes.

— Qu'est-ce qu'être ta propriété m'apporterait, Melchior ?

Tu souffles te cambre un peu pour lui arracher un soupir.

— Être à toi, c'est large. Précise. Susurre. Je veux t'entendre.

C'est à se demander qui donne vraiment les ordres.

Le plus impertinent de vous deux, c'est toi. Quand il introduit son pouce, tu prends un malin plaisir à le caresser de ta langue, à la sucer dans l'espoir de lui faire miroiter des pensées encore plus obscènes. Tu ne le quittes pas des yeux, jamais. Mais Melchior est gourmand. Insatisfait, il vient griffer l'intérieur de ta bouche, enfoncer son doigt dans ta gorge. Tu grimaces, un léger goût de sang entre les dents. Des gargouillis de mauvais augures qui s'emparent de ta gorge. Tu as les larmes aux yeux sous le rejet de son doigt, les réflexes nauséeux de ton corps. Quand il termine sa petite torture, tu prends le temps de déglutir. Tu le regardes, mélange d'envie et de provocation.

— Mais si je te donne pille ce que tu attends, tu te lasseras.

Tu sembles le connaître aussi bien que toi-même. Tu souris, tu sais que ça va l'énerver.

— Or, je ne veux pas que tu te lasses.

Il replonge à l'assaut de tes lèvres et tu étouffes un gémissement suppliant. Sous ses baisers tu te fait chien en manque de caresse, sous ses promesses obscènes te sent monter l'excitation. Fantasmes pervers de le voir te faire subir tout ce qu'il te décrit. Tu presses hâtivement ton bassin contre le sien. Quémande avec folie plus, toujours plus.

Il te redresse, tu accroches brièvement ses lèvres avant de te faire retourner. Tu soupires, t'accroches au bout du canapé alors que ton dos se fait ravager de baisers. Tu as chaud. Tu veux le sentir. Tu veux qu'il soit tout à toi autant qu'il veut que tu sois tout à lui.

— Melchior...

Tu te redresses, doucement, viens presque t'asseoir sur lui, plaquer tes fesses contre son entrejambe. Tu glisses une main à sa nuque, ton dos collé contre son torse.

— Si je porte tes bijoux, je te ferai aussi porter les miens.

Tu te saisis d'une de ses mains, viens sucer, tentateur, ses doigts, chanter des gémissements ravissants. Tu lui fais toucher tes lèvres, alors que doucement tu viens faire sauter la boucle de ta ceinture. Tu renverses la tête en arrière pour l'observer.

— Tu ne trouveras rien de mieux que moi.

Tu souffles, glisse la main que tu as pris en otage vers ton pantalon, glisse une des tiennes pour faire de même. Dans tes yeux un éclat sans pareille.

— Tu me plais... Comme je te plais.  

Dire que tu ne prends aucun plaisir dans ton travail serait de l'ordre du mensonge. Mais les jouissances des clients sont fades, les tiennes embellis par des couches d'acting et de faux-semblants. Si ce n'est pas désagréable, ce n'est, en revanche, pas satisfaisant, pas libérateur, pas marquant. Mais entre les mains de Melchior tu crois toucher du bout de toi cette authenticité et cet abandon pour lesquels ils payent tous. Tu souffles, les gémissements étouffés contre sa paume, le dos pressé contre son torse. Tu chantes sous ses caresses, te tords sous sa chaleur. Tu veux plus. Tellement plus. Tu veux le toucher, toi aussi. Tu veux lui donner cette authenticité qu'il ne trouvera nulle part ailleurs si ce n'est avec toi. Mais tu comprends au contrôle qu'il exerce que ce ne sera pas ce soir. Tu n'aimes pas l'idée de totalement t'abandonner, t'as peur de le voir partir, de voir en lui ce genre d'homme qui n'apporte de l'importance à un jouer que lorsqu'il n'a pas été utilisé. S'il doit te rejeter, tu voudrais lui avoir arraché l'adorable pudeur dont il peut faire preuve. Mais il est doué. Trop doué. Tant pis, tu t'abandonnes. De toute façon, ce n'est pas comme-ci tu comptais le lâcher.

Tu rouvres les yeux sous les assauts du soleil. La lumière perce la vitre, perce la quiétude de ton sommeil. Tu fronces les sourcils voit le blanc des draps dans un premier temps. Tu étires en silence ton corps nu, Melchior allongé à tes côtés, encore dans le sommeil. Tu prends le temps de l'observer, accroches avec une certaine fascination son visage endormi avant de te lever. Tu passes un peignoir marqué de son odeur et avance vers la petite cuisine. Tu considères la vaisselle salle, encore quelque peu endormie. Ton mets l'eau à la plus faible pression possible pour lui épargner le bruit. Tu nettoies assiettes et couverts que tu places sur l’égouttoir puis viens fouiller les placards en quête de café et d'une tasse. Le breuvage prêt, tu en bois une gorgée, grimace sous l'amertume mais n'y rajoute pas de sucre. Ce n'est pas pour toi. Tu t'approches du lit, t'assois à son bord, à côté de Melchior. Tu vois sous ses paupières ses yeux déjà s'agiter.

— Je t'ai préparé une tasse.

Tu la poses sous un petit dessus de verre sur la table de nuit à côté de lui.

— Noir, sans sucre.

Tu présumes que c'est ce qu'il aime.

Tu croises les jambes, penches doucement la tête.

— Tu t'es occupé de moi hier soir.

Ton ventre gronde d'envie rien qu'à cette pensée.

— Mais tu ne m'as pas laissé m'occuper de toi.

Simple constat. Tu caresses du bout des doigts la courbure de son épaule.

— J'aimerais essayer, la prochaine fois.

Qu'il ose te dire qu'il n'y aura pas de prochaines fois.

Il quitte le lit avec cette distance et ce sérieux que tu avais anticipé. Typique. Ton regard dérive sur la tasse de café laissée à l'abandon. Sans mot dire, tu passes tes mains autour pour la saisir et en boire une gorgée. Tu grimaces sous l'amertume du breuvage, le café mériterait bien trois... Non, cinq sucres en plus pour être buvable.

— Hm, ne me fait pas croire que tu préfères les plaisirs solitaires.

Tu souris, te lèves la tasse à la main. Tu passes une main dans tes cheveux pour les restructurer un peu. Dans le reflet de la fenêtre tu observes la courbe de ses fesses, la forme de son dos et de ses épaules. Il y a un plaisir coupable à le contempler par des moyens détournés.

— Je me sens bien mieux ce matin. Mais tu as raison, il faut que je passe me changer avant de commencer.

Tu étouffes un bâillement. L'idée de redescendre pour vivre une unième journée à satisfaire des gens insipides te déprime. Mais tu dois tenir ton rôle. Et, maintenant que tu y repenses, il s'est passé beaucoup de choses hier soir. Tu as vu Duke. Tu lui as soufflé de t'aider à tuer Astrée. Merde. Dans quel plan foireux tu t'es embarqué ? Il va falloir que tu prépares le terrain, que tu te protèges. Enfin, ce ne sera peut-être pas un si mauvais plan. Astrée morte, tu auras légitimité à souffler quelque peu. Et puis... peut-être pourras-tu en tirer avantage. Melchior... Peut-être pourras-tu le rendre plus beau et puissant (dépendant), encore. Tu étires un sourire, porte encore le café à tes lèvres.

— C'est vraiment amer.

Tu t'avances vers la cuisine où la vaisselle a été faite. Tu poses la tasse devant Melchior, te hisses sur la pointe des pieds pour en saisir une autre et te servir une tasse dans laquelle tu ajoutes une dose inquiétante de sucre.

— Tant qu'on y est, est-ce que tu as des consignes pour moi ?

Tu t'adosses contre le plan de travail, une main négligemment posée autour de ta taille.

— Je dois voir Madame Mathilda aujourd'hui, chez elle.

Tu bois ton café.

— J'ai réussi à me faire passer pour un petit peintre amateur, comme tu me l'as demandé. Je vais commencer son portrait. Est-ce que tu veux que je l'interroge tout de suite sur le réseau de prostitution clandestin qu'elle fréquente ou non ?

Glisse avec une fausse subtilité.

— Je pourrais te faire un rapport détaillé ce soir ?

Ici, ou en bas. Quand il y a du public, la discrétion veut que tu t'affales sur lui pour lui susurrer à l'oreille tes trouvailles.