Une rue pas loin de l'appartement de Cecil
Quelques jours après la mort de Ace

Soixante-douze heures.
Consignée entre sa chambre, la cuisine et la salle de bain. Son regard avait soigneusement évité tous les miroirs. Blanche s'était éteinte, et plus aucune lumière ne s'anima dans ses yeux. Elle avait répondu, machinalement, docile, à toutes les injonctions de Cecil. Concernant Ace, Pheme, le bébé, et sans plus aucune conviction pour ses machinations morbides, elle n'avait pas eu la force de développer davantage. Elle avait écouté ses sermons en hochant de la tête, avait donné les réponses qu'elle supposait attendues, et avait passé des heures, inerte, allongée à même le sol sur la moquette de sa chambre.

Lorsque Cecil lui eut rendu son téléphone et une hypothétique liberté, elle sortit sous la lumière du jour, habillée d'une simple robe blanche, et se sentait comme un fantôme - en sandales.

Quatorze appels manqués, et trop de messages. Elle ne s'attarda sur aucune de toutes les notifications et fit défiler ses contacts.

Elle avait besoin d'amour. Jewell ?
Elle avait besoin de protection. Nathanaël.

Elle appela.

Viens me chercher. S'il te plaît.

Et quelques minutes plus tard, Nathanaël était là.

Blanche pleurait - ou elle pensait pleurer, mais les larmes ne coulaient pas. Sa voix tremblait.

Tu as fait... vite. Je crois.

Elle frotta sa joue d'une main, la mine abattue, le regard implorant.

Je veux que tu m'emmènes loin. Très loin. Et que tu poses les questions quand on y sera. Je ne veux pas savoir où on va.

Elle se précipitait.

D'accord ? Dis que c'est bon et je monte.

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Quelques jours après la mort de Ace

Elle attrapa de ses deux mains en avant le casque qu'il lui tendait, et hocha la tête vaguement. Elle le posa sur sa tête, et grimpa à l'arrière de la moto de Nathanaël sans poser plus de questions, et à la proposition qu'il lui fit, Blanche n'eut aucune forme de pudeur.

De doigts habiles et silencieux, elle attrapa le com de Nathanaël ainsi que le sien qu'elle laissa tomber sur la route, veillant à ce qu'il ne remarque rien.

Chez toi.

Elle n'avait jamais été inquiète à l'idée de partager quelconque intimité ou à rentrer chez des inconnus. Elle en avait fait son métier ; s'était aventurée chez des gens bien plus dangereux qu'il ne le présageait.

Il lui avait sauvé la vie une fois (c'était l'histoire qu'elle se racontait), et se persuaderait qu'il ne lui ferait aucun mal ensuite.

Elle retira le casque.

J'ai jeté ton com. Et le mien. C'est pour ta sécurité. Je suis surveillée. Peut-être sous écoute, je ne sais pas. Je t'en rachèterai un, désolée.

Avec l'argent de son homme décédé, probablement.
Ah.

Elle leva la tête vers le bâtiment.

C'est ici que tu habites ?

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Quelques jours après la mort de Ace

Et raconte-moi tout.

Blanche qui était entrée tranquillement dans l'appartement se retourna alors, dans un mouvement lent et le faciès habillé de lueurs tendres, vers Nathanaël. C'était plus fort qu'elle : toute attention qui lui était accordée faisait naître en elle un genre d'amour obsessionnel pour celui qui la lui accordait. Elle devenait boulimique d'attention, boulimique du désir qu'on lui portait.

Alors s'accrochant à son regard, et tentant d'y trouver la moindre tendresse qui lui soit adressée, Blanche se targua d'un sourire presque timide.

Ne prends pas cet air dramatique, ce n'est pas si grave.

Elle baissa les yeux.
C'était encore plus grave.
Elle releva les yeux vers lui, et se racla la gorge.

Hm...

Elle hocha la tête, signe de résignation.

J'ai quitté mon travail. Je veux dire...

Avait-il compris, le jour où il l'avait sauvée, quel métier elle exerçait ? Elle souffla. Blanche n'avait pas l'habitude de se sentir honteuse ; elle avait un tel culot que rares étaient les moments où la gêne s'emparait d'elle. Mais devant Nathanaël, sous son regard attentif, elle n'était pas certaine de vouloir lui dire qu'elle avait été en proie à tous ces hommes - prostituée à qui le veut.

Je ne travaille plus au Sunset.

Elle secoua la tête, légèrement.

Ça doit faire deux... trois mois, peut-être ? J'ai vécu aux frais d'un homme qui a décidé de faire de moi sa chose. Et ça n'a pas plu à mes frères.

Elle frotta contre un de ses bras.

Il est mort.

Elle leva un regard intense sur Nathanaël, inquiète de sa réaction.

Et j'ai eu peur de mourir. J'ai peur que des gens meurent autour de moi. A cause de moi.

Etait-ce vrai ?
Elle ne savait plus très bien, Blanche, comment interpréter ses propres angoisses, ses propres sensations. Elle s'était tant persuadée que c'était ce qu'elle voulait qu'elle ne se sentait plus légitime d'en avoir peur.

Il va revenir à la vie. Et il était très en colère contre moi. Et mes frères sont très en colère contre moi. Et contre lui. Et tout le monde se déteste tellement. Je voulais juste...

Elle marqua un temps de pause, honteuse.

Je voulais juste me sentir aimée.

Elle arqua un demi-sourire.

Je suis désolée. Je t'embarque là-dedans alors que tu n'as rien demandé parce que je ne savais pas vers qui me tourner et... J'avais besoin de toi. J'ai besoin de toi.

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Quelques jours après la mort de Ace

Elle avait hoché la tête, buvant chacune de ses paroles, hypnotisée par la seule idée de n'être responsable de rien. Elle se berçait de la voix de Nathanaël, un sourire presque invisible flottant sur son visage. Elle voulait croire qu'elle n'y était pour rien, et elle voulait qu'il la croit aussi blanche que son nom le présumait. Alors elle se rassurait en se disant que ce n'était pas elle qui plaidait sa cause, mais lui-même. Elle ferma les yeux un instant.

Ce n'est pas ma faute...

Murmurait pour ensuite s'habiller d'un sourire plus tendre, relevant ses paupières pour adresser à Nathanaël un regard plein d'amours.

Entendu. Je reste autant que je veux.

Elle regarda autour d'elle, quelques lueurs de tristesse au fond de ses yeux absents. Et lorsqu'elle retourna son attention sur son hôte, elle avait perdu son sourire qui brillait quelques secondes avant.

Je ne suis pas tout à fait honnête avec toi, Nathanaël. Et j'ai besoin de corriger ça.

Elle inspira profondément.

D'une certaine manière, j'ai voulu que ça arrive.

Elle laissa son regard s'abandonner ailleurs.

Tu dis que c'est normal de vouloir se sentir aimée, mais qu'en est-il si rien ne me satisfait jamais assez ?

Elle s'approcha d'un pas, pour engloutir la distance qui les séparait.

Est-ce que c'est eux qui ne m'aiment pas de la bonne manière, ou est-ce que mes exigences sont mauvaises ?

Elle glissa, l'air de rien, ses doigts contre la paume de la main de Nathanaël, comme pour l'inviter au contact. A l'intimité.

Est-ce que c'est mal de vouloir être aimée... à ce point-là ? Je ne dis pas qu'ils m'aiment pas. Je sais qu'ils m'aiment. Mais comment m'aiment-ils ?

Ils l'aimaient par la violence, la menace, la torsion irrémédiable de ce qu'était Blanche pour convenir à ce qu'ils attendaient d'elle. Alors comment aimaient-ils Blanche, comment lui disaient-ils ? Jamais de la bonne manière.

Le regard de Blanche se leva une dernière fois vers Nathanaël, et un silence prit place pendant de longues secondes, avant que sa voix ne s'élève tendrement, comme une caresse.

Et toi, comment m'aimes-tu ?

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Hypnotisée, elle resta suspendue à son regard, à des mots abandonnés au silence ensuite. Et lorsqu'il se recula du contact trop promptement instauré, le visage de Blanche sembla suivre le mouvement vers lui, comme une demande qu'il ne s'éloigne pas davantage. Elle serra dans ses fins doigts sa prise sur sa main, et resta de longues secondes interdite.

Est-ce que tu me trouves belle ?

Elle papillonna de ses paupières lourdes, et sentit ses moyens la quitter, ses jambes se dérober sous elle. Comme si un vertige la prenait d'avoir soudain posé la question de manière aussi claire, sans plus aucun détour.

Blanche venait chercher les aveux qu'elle voulait recevoir, tordait sa propre perception pour se persuader qu'elle était aimée. Comme elle faisait toujours, comme elle s'arrangeait toujours pour ressentir ce qu'elle voulait ressentir - quand bien-même ce n'était pas réel.

Mais était-ce si irréel, cette fois ?
Elle voulait croire qu'il ne s'agissait d'aucune de ses machinations habituelles. Elle voulait croire qu'il l'aimait, pas parce qu'elle le forçait, mais parce qu'il avait perçu quelque chose en elle.

Est-ce que c'est pour ça que tu fais tout ça ?

Parce que je suis jolie.
Parce que telle une succube je t'emprisonne.

Blanche ne doutait pas du charme de son apparence ; doutait un peu plus de la beauté de son âme.
Elle ne priait plus depuis trop longtemps déjà.

Elle secoua la tête.

Ne réponds pas.

Et lui adressa un sourire.

Cela me va.

Elle ne lâcha pas sa main, cependant.

Tu as dit que j'étais en sécurité. Et je te crois. Mais ne me laisse pas dormir seule ce soir.

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Quelques jours après la mort de Ace

Tu es quelqu'un de bien.

Les mots résonnent étrangement en Blanche, qui n'y croit pas un seul instant. Elle voudrait penser comme lui, elle voulait accéder à ce qu'il semblait voir en elle, comme lui qui avait l'air certain de ce qu'il pouvait voir à travers elle.

De sa pureté dont il était le seul persuadé.

Alors un rire, doux, se déclara à ses lèvres. Un peu absurde, un peu surprise.

Quelqu'un de bien...

Elle le suivit tranquillement, docile. Le regard s'abandonna au lit qu'il lui présentait, et son sourire s'accentua.

Je meurs de faim !

Elle lâcha soudainement la main de Nathanaël, et se dirigea vers sa cuisine, surveillant qu'il la suive.

Tu sais, avant de travailler au Sunset, je ne travaillais pas plus qu'aujourd'hui. Mon frère m'a toujours entretenue. Alors j'ai toujours fait ce qu'il me disait de faire. La prostitution... c'était son idée.

Elle se retourna vers Nathanaël.

Et celui qui m'a sortie de là... Cet homme dont je t'ai parlé. Au final, il m'a sauvée de tout ça, pas vrai ?

Elle lui adressa un sourire.
Au final, Blanche n'avait jamais rien fait par elle-même. Elle devait toujours être sauvée, ou qu'on lui dise quoi faire ; elle s'exécutait, subissait.
Mais était-ce le cas ?
Ou avait-elle tout orchestré ?

Blanche ne savait plus très bien quelle était sa responsabilité.
Était-elle la victime des abus moraux de son frère, au point de ne plus discerner qu'il était responsable d'une bonne partie de ses insécurités ?

Et aujourd'hui, c'est toi qui me sauves de lui.

Mais quand cessera-t-elle d'être sous l'emprise d'un homme puis d'un autre ? Elle posa ses deux mains sur le torse de Nathanaël.

Mais tu n'es pas comme eux, pas vrai ? Tu ne m'empêcherais pas de partir, si je voulais partir... Tu ne me retiendrais pas... ?

Parce qu'il était respectueux.
Tout ça.
Blanche n'en voulait pas.

Et si je voulais que tu m'en empêches ? Et si je voulais que tu me retiennes ? Si je voulais que tu me gardes jalousement près de toi ? Est-ce que tu le ferais ?

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Quelques jours après la mort de Ace

Elle papillonna des yeux.
La main de Nathanaël à l'arrière de sa tête, ses doigts entremêlés à sa chevelure relâchée.

Rassurée ?

Elle ferma ses paupières.
Sentit à l'intérieur d'elle toutes les nuances de tendresses qui se débattaient. De la plus chaleureuse à la plus discrète, et elle releva les yeux vers Nathanaël, lentement.
Et sous ses longs cils maquillés, elle fit peser un silence.

C'était un murmure qui s'échappait ensuite de ses lèvres.

Attrape-moi plus fort.

Elle fit remonter la main de Nathanaël à sa nuque, se rapprocha de lui pour qu'il ne reste aucune distance entre eux, le souffle mêlé au sien.

Et ne me laisse jamais partir.

Elle leva ses deux mains à son visage, et se leva sur la pointe de ses pieds pour conquérir ses lèvres, les embrasser du bout des siennes, dans un mouvement d'abord timide, puis tendre.

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Quelques jours après la mort de Ace

Au fond de sa poitrine et grimpant depuis le creux de ses hanches, une chaleur gagna l'intérieur, fit remonter à ses joues des couleurs roses. Le regard pris par une fièvre tendre s'amusa des mots qu'il prononçait finalement, et un rire doux s'épuisa à ses lèvres.

La voix qui s'échappa d'elle n'était plus qu'un murmure, qui se glissait entre eux, dans leur intimité naissante.

Non...

Elle avait faim d'autre chose ; un appétit insatiable d'être aimée davantage. De sentir son désir creuser des sillons par l'intermédiaire de ses ongles contre sa peau.

Alors reprenant leur étreinte, et repartant à la conquête de ses lèvres, Blanche initia un mouvement vers la chambre, sans arrêter leur échange. Le faisant entrer à reculons, et ne se souciant pas de la porte qui resterait ouverte, elle fit grimper ses doigts sous son haut.

Dévalait avec tendresse la peau de son dos.

Elle recula d'un pas, très court, et releva un regard plein de chaleur vers lui. Elle se débarrassa dans un mouvement rapide de son haut à elle, dévoilant une peau laiteuse et douce et un soutien-gorge de dentelles noires.

Elle le regarda quelques secondes, avant de revenir vers lui, retourner à ses lèvres, retourner à son étreinte.

Retourner à son besoin jamais satisfait d'être enserrée et que jamais on ne la laisse s'échapper. Toujours debout, sur la pointe des pieds, le lit juste à côté.