C'est terminé. C'est presque un soulagement à ce stade. La mièvrerie qui se dégageait de sa pitié était à gerber. Tu le préfères vrai, authentique, soumis à ses émotions et surtout à sa colère. Tu soutiens le regard, lui offres un demi-rictus malfaisant, alors que tes yeux brillent d'une aura mauvaise. Il va te torturer. Il confirme ce que tu n'arrives même plus à redouter. Tu te moques ouvertement, en proie à des douleurs de plus en plus insupportables. Tu espères que les prochaines pourront te faire oublier celles qui te jouent déjà de toi.

— « Tu es... magistral... »

C'est murmuré du bout des lèvres. À force de traquer des Dieux ; tu ne sauras plus qui prier.

Ton corps s'immobilise. Tu n'as plus le contrôle des doigts que tu agitais jusqu'à maintenant. Pétrifié comme les victimes de Méduse. Tes yeux, eux, s'abaissent sans pour le surveiller détacher tes poignets. Tu ne comprends pas tout de suite. C'est en témoignant de la cruauté de ses traits que tu devines sa faculty.

— « C'est malin. C'est très m-malin... »

Tu déglutis. La voix qui chevrote. La sueur perle de ton front et plaque tes cheveux à tes tempes déjà trempée. Tu appréhendes, putain. Au fond, même le monstre a gardé un fragment humain. C'est cette partie là qui a peur, parce que le reste pourrait trembler d'excitation.

Tes mains se lèvent et ta respiration s'accélère. La peur de la douleur. L'émoi du sadisme. La peur de la douleur. L'émoi du sadisme. LA PEUR.

— « Hahahahaha... »

Le sourire s'étire. Tu contemples ta propre main s'emparer de ton doigt pour le retourner. LA PUTAIN DE DOULEUR. Tu pousses un hurlement déchirant. Et tu t'exécutes sur le deuxième. Tu cries encore, tu cries alors que ton visage semble jouir d'un plaisir inouï. La fatigue et l'emprise de la drogue te tire les larmes. Est-ce que tu pleures de bonheur ? NON. DE DOULEUR. Peut-être un peu des deux.

— « Si je pouvais je banderai maintenant. »

Et tes yeux qui appellent à l'aide.
Mais n'imploreront jamais la pitié.

T'as envie de hurler encore, Duke. Mais cette fois de frustration...
((parce que tu as compris que pour cette fois, c'est perdu.))
Tu as perdu.

C'est une torture efficace. En d'autres circonstances, elle aurait pu te donner des idées - mais tu es vidé. Tu n'as plus d'énergie. La substance qui brule ta peau, tes lèvres, tes rétines, ton SANG tout entier, a déjà atteint les moteurs cognitifs. Tu ne réfléchis plus correctement, libre de la pression qu'il exerce sur toi mais soumis à une douleur proprement insupportable.

Quand tu lèves tes yeux vers lui, le cadavre d'un sourire hilare aux lèvres tordues, tu l'admires comme la représentation d'un Dieu vivant. Il semble affublé d'un halo lumineux. A mesure que tes doigts se tordent de la main du créateur, tes cris se muent en litanie gracieuse.

Et Cosmo ?
Ton regard s'écarquille de nouveau, mais cette fois, tu baisses la tête pour affronter la vision d'horreur de ta main déstructurée et gonflée. Les larmes séchées collent tes cils et ont tracés des sillons sur tes joues rougies par l'effort.
La mention de Cosmo est à deux doigt de te faire vriller - ta main droite agrippe ton pouce, prêt à s'exécuter.

— « Cosmo Blum... »

Tu parles tout doucement, comme si toute volonté de vivre s'était échappé.

— « Cosmo Blum... l'a bien cherché... »

Tu commences seulement à considérer l'idée de lui cracher tous les noms qu'il voudra jusqu'à ce que ça s'arrête. Mais tu ne sais pas lesquels, tu n'en as qu'un en tête. Son visage s'impose parmi les autres. Cosmo Blum, Cosmo Blum, Cosmo Blum. Tout ça pour atteindre Ceres et satisfaire Swan. Tu n'as jamais été libre.

— « COSMO L'A BIEN CHERCHÉ ! NOOON ! »

Tu sens ton pouce se retourner sous l'impulsion de ta main et pousse un autre hurlement, faisant monter de nouvelles larmes.

— « ARRÊTE PUTAIN ARRÊTE ! »

Les sanglots se confondent en rires.

— « Arrête... Hahaha... Arrête... Pitié arrête... »

Quand tu implores un tant soit peu de pitié - ce n'est pas à Caelus Moore que tu t'adresses, mais à toute cette injustice latente que tu perçois enfin, dans la douleur. L'exagération de toute ton identité, aussi grotesque parait-elle, a toujours été un moyen de garder le contrôle face à cette scandaleuse escroquerie. On t'a bien baisé, Duke. Mais la plus grande farce parmi les autres, c'est que tu t'es laissé faire sans même essayer.

Les neurones grillés, la morale aseptisée, t'es un cas perdu depuis longtemps. Et si tu ne recueilles pas de pitié, c'est aussi parce que tu n'en mérites plus aucune.

— « Ils ne parlent pas trop. »

Le souffle est erratique mais le regard demeure insolent. Derrière les larmes se cache une audace insultante. Tu veux le pousser à en finir rapidement. Tu veux gagner, Duke. Tu veux gagner pour que ton cadavre poussiéreux puisse lui rire au nez.

— « Si vous êtes... la maladie... nous sommes le vaccin... »

Là pour les éradiquer, au niveau cellulaire.

— « C'est tout ce que tu as dans le ventre... Votre Majesté ? »

Un rire t'étrangle, et la sueur coule à grosses gouttes lorsque les doigts s'élèvent et se font pince. Les larmes se mêlent au sang et à la crasse, tu tentes de reculer la tête à mesure que tes ongles s'approchent, menaçants.

— « Non... Fils de pute... NON ! »

Et la peur, à peine perceptible, te bâillonne et t'étouffe. Le hurlement se meurt au fond de ta gorge. En un battement de cil, le monde est devenu noir d'un côté. L'autre oeil fixe celui qui a été inoculé, visqueux et sordide.
Et pour la première fois depuis des années, tu n'as aucun mot sur le bout de la langue - tu n'as rien à redire.
Et plus une once de fierté pour oser te moquer.

C'est la fatigue qui t'étreint Duke. La douleur n'est même plus un problème à ce stade. Tu ne sens plus rien, flottant nu et anesthésié dans un néant chaotique et mental. Tu fixes de ton oeil valide et écarquillé la carcasse dégoulinante de celui que tu viens toi-même de t'arracher. Dans un autre contexte, tu te serais extasié face à une laideur aussi grandiose. Aujourd'hui tu déplores l'énergie déployée à te débattre dans le vide. C'est la consécration de ton échec.

ou je te le fais bouffer.
La prochaine menace tombe et tu relèves l'oeil vers lui, le fixant avec un détachement muet, désormais l'ombre de ta grandeur passée. Tu ne supporteras pas. Le pourrais-tu seulement ? Tu n'es plus mue par un désir de survie, désespéré par l'idée d'en finir. Qu'il t'achève une bonne fois pour toutes, tu as perdu.

Aucune réponse à tes lèvres scellées par l'angoisse, les doigts approchent ce qui sera ton futur repas. Dans ton âme atrophiée se battent en duel deux émotions distinctes. Abandon. Résistance. Abandon. Insolence. C'est l'abandon qui prend le dessus. Tu ne peux pas y échapper, Duke - avant d'avoir perdu c'est toi qui l'est (perdu).

— « Sacha... Kavinsky. »

Et encore un.

— « Magnus Werner. »

Et encore un.

— « Diana Aelun. »

Il n'y en a qu'un qui te brule les lèvres. Jasmin Pierce, Jasmin Pierce, Jasmin Pierce. Ce serait propre à ta personnalité que de détruire ce sale petit merdeux, quitte à bruler sa couverture. Tu n'en as rien à foutre. Mais après le dernier nom, ta gorge te brûle. Pris d'un haut le coeur, tu rejettes ce qui trainait encore dans ton estomac, déversant sur ton menton et au sol un dégueulis transparent, mélange de bile et de tequila.