Il n'y a rien de mieux qu'un bain quand il fait froid. L'eau est haute, la baignoire presque pleine, les bulles de savon faisant le reste. Livre dans les mains, ce n'est pas grave s'il prend un peu l'humidité. Tu as bien le droit de te détendre autant que tu le souhaites. Bon, peut-être pas ce soir puisque tu n'es pas seul chez toi. Mais tu as bon espoir que ton invité s'occupe tout seul le temps que tu te prélasses.

Tu n'as aucune idée du temps que tu as déjà passé dans l'eau. La peau de tes doigts n'est pas encore fripée, donc cela signifie que ça ne fait pas si longtemps, penses-tu. Sous tes doigts, les pages se tournent les unes après les autres. Ce n'est pas Alice cette fois-ci qui se débat pour son amour, mais Ingrid. La pauvre, tu la plains, car elle n'a pas eu une vie facile et tout vola en éclat au moment où elle se croyait la plus heureuse. Une histoire qui pue le drame à plein nez, à n'en pas douter.

À une pause de chapitre, tu relèves la tête vers la porte. Tu as cru entendre du bruit dans la pièce principale. T'as presque fini, juste cinq minutes. Ce n'est pas grand chose cinq minutes. Cale est un grand garçon. Et tu as même un WC séparé. Donc, il n'y a pas de problème. Tu espères quand même qu'il ne s'est pas mis à fouiner partout. Tu n'as rien de compromettant chez toi... mais tu n'as pas envie de retrouver ton appartement en pagaille.

Tu replonges dans ton livre, un peu comme le mois précédant. Sauf que cette fois, tu penses que tu es à l'abri de l'intrusion. C'est une pensée idyllique. Tu ne le sais pas encore. Mais bientôt tu regretteras de ne pas avoir fermé la porte à clé.

Car lorsque la porte s'ouvre, t'interrompant dans le milieu d'une phrase, tu fronces les sourcils.

- Cale !! Mais tu fous quoi là ?

S'il a faim, il peut commander. Ou cuisiner. Ou réchauffer un des plats dans le frigo. Pourquoi il débarque de la sorte, brisant ton intimité ??

Mais qu'est-ce qu'il raconte ? Tu le dévisages jusqu'à ce qu'il finisse sa phrase. Il est comme le mois passé, tout aussi intenable. Tu ne peux cependant pas t'empêcher de sourire en coin. Jouer sur les mots, dans cette situation, ça a quelque chose de très tentant.

- Ouais, je sais. T'as vu la chance que j'ai ?

Et tu te vantes, car autant en profiter.

Et là.
Il se déshabille.
Encore.
Tu le fixes, circonspect.

- Tu pourrais demander avant de t'inviter. C'est la moindre des politesses. Et je suis déjà en compagnie d'Ingrid.

Tu lui désignes le livre de poche que tu tiens dans la main, avec un doigt en son sein pour garder la page où tu avais arrêté ta lecture avec son intrusion dans ta pièce d'eau.
Il est intenable et tu soupires. Tu détournes légèrement le regard et te redresses un peu dans la baignoire, le temps qu'il se mette entièrement à nu.

- T'es vraiment sans gêne.

Au moins, ce sera une économie d'eau.

- T'as peur que je te reluque que tu me préviens de ta nudité ? Tu sais, j'ai l'habitude.

Tu l'écoutes et tu éclates de rire. Il le faisait exprès ou quoi ? D'un mouvement de jambe, tu sors ton pied de l'eau pour l'éclabousser.

- Hé ouais. Grandeur et profondeur. Du moi tout craché, pour rendre jaloux tout le monde.

Tu fronces un peu les sourcils. Maintenant qu'il est face à toi en tenue d'Adam camouflé par la mousse de ton bain, tu vois malgré tout très clairement quelque chose de nouveau sur sa peau, sur son pec', son épaule et... ça continue ? Tu déposes ton livre sur le petit meuble à côté pour qu'il soit safe. Tant pis pour ta page. Il y a plus important. Tu t'approches de lui, chevauchant ses jambes, et ta main touche le dessin sur sa peau.

- Tu t'es fais ça quand ? Et tu m'as rien dit ? Il va jusqu'où ?

Tes doigts courent sur sa peau pour remonter la trace de l'encre.

- En tout cas, elle est belle, ta baleine.

Autant préciser, ce serait mieux. Mais même en précisant, c'était bizarre comme situation.

Ingrid était tout aussi importe qu'Alice. Toutefois, tu ne dis rien. Il ne pourrait pas comprendre ton amour pour ces filles et leurs luttes.
Tu sais bien que ce n'est pas la première fois que tu vois Cale si peu vêtu. Et au fond de toi, tu ne sais pas si tu dois te considérer comme privilégié ou non. Est-ce une chance ou pas ? Est-ce qu'il a des attentes envers toi ?

- Oui, j'ai remarqué, tu sais. Est-ce que ça va devenir une habitude ? Si c'est l'effet que je te fais à chaque fois qu'on est tous les deux, il va falloir penser à toujours être accompagné.

Tu lèves les yeux au ciel... Au plafond... Quand il te suggère juste après de faire une porte ouverte. Alors là, jamais. C'est ta baignoire. Tu ne la partage pas. Sauf exception. Cale en est donc une, mais seulement parce qu'il s'est invité.

- Non, ça ne m'intéresse pas. Ils peuvent aller à la piscine.

C'est bien plus grand et parfois il y a même des bains bulles. Au moins, toi, tu as un bain mousse.

Et lorsque tu le chevauchais pour mieux voir son tatouage, il se décale un peu pour te montrer l'omoplate dont il te parlait. Tes yeux s'arrondissent. Elle est belle, c'est indéniable. Cale aime vraiment les baleines pour en avoir maintenant une dans la peau.

- Wow. Il l'a vraiment bien fait.

Tu fronces un peu les sourcils en écoutant son charabia qui ne faisait aucun sens à tes oreilles.

- Pourquoi tu me demandes de deviner si tu as oublié, sérieux ?

Tu pousses un soupir.

- Des pringles ? De quoi tu parles ? Il mange ce qu'il veut.

Bon, là, il te donne envie de manger des chips. Ah ben, bravo Cale, tu lui as donné envie de manger. En même temps, jouer dans l'eau donne faim au corps... Il pointe alors de son doigt quelque chose derrière toi. Tu te retournes alors, curieux.

- T'as vu qu...

Et tu t'arrêtes au milieu de ta question en sentant la mousse couler sur le sommet de ton crâne. Tu te retournes alors lentement vers Cale, le fusillant presque du regard. Ta précieuse chevelure.

- J'avais pas besoin de les laver...

Tu te recules pour le laisser respirer, si tu l'en empêchais, mais il n'a pas l'air d'être si perturbé par ta proximité, contrairement à toi qui est presque exaspéré maintenant. Tu te remets bien dans le fond, dans l'eau et la mousse.
Tu serais presque sur le point de bouder. Tu dénigres son compliment, le calculant à peine, et le regardes seulement quand il propose que vous vous savonnez tous les deux.

- Non. Tu peux le faire tout seul.

Tu te rends compte en le disant que t'es un peu froid. Tu fais la moue et cèdes un peu.

- Bon, si tu veux, et seulement si tu fais bien, tu me laves les cheveux pour te faire pardonner. Je pourrais potentiellement frotter le haut de ton dos.

Potentiellement.
Tu espères sincèrement qu'il ne gâchera pas plus ton moment baignade de la journée.