Je me fais les mollets en montant les escaliers de leur appartement. Ça va un petit moment que je ne les ai pas vu. Avec Moony on planche en ce moment sur un sujet d’art plastique pour son école. Puis y a mes cours aussi, même si beh… je préfère de loin squatter la salle de classe de ma soeur qu’écouter le prof parler équation. C’est aussi un peu pour ça que je suis venu, je l’avoue. Je sais que Luca s’y connaît plutôt bien en dessin. Et que Kaith, avec sa sensibilité, pourrait aussi filer quelques tuyaux.

Mais je ne suis pas un rat pour autant, alors quand je monte les escaliers, c’est avec les bras chargés d’un gâteau fait maison et de quelques trucs à grignoter. Histoire de les remercier de leur aide. Et aussi parce que j’ai envie de passer du temps avec eux - et faut le dire, ce gâteau à l’air extrêmement bon huhu need le partager - ok je suis un petit rat quand même.

J’arrive enfin sur la pallier et je toc, le smile aux lèvres, les yeux pétillants à l’idée de revoir mes deux potos d’école. J’entends que ça s’agite à l’intérieur, comme si on était pressé de m’ouvrir… alors que je débarque totalement à l’improviste. Peut-être qu’ils attendent un livreur ? Han, j’espère qu’ils ne seront pas déçus.  

Ah si j’avais su.

La porte s’ouvre.
Je m'apprête à tonner un “coucou” tonitruant.
Et mes yeux tombent sur un Luca en larmes.

Un Luca qui réclame Kaith.
Qui s’excuse.
Les yeux rougis.
Le teint bien trop pâle.

La surprise et l'inquiétude qui s’installent directement sur mon visage. Se gravent dans mes yeux. Pour finalement me prendre par le cœur.

▬ Luca ??!


Et je lâche tout. Le gâteau, les paquets de chips qui viennent choir à mes pieds.  
Aucune importance.

Je m’avance.
Et je le prends dans mes bras.

Je suis un peu plus grand que lui, sa tête m’arrive à hauteur d’épaules. Je pose ma paume à l’arrière de sa tête, un bras enroulé autour de sa taille. C’est un élan de protection et d’affection hurlante qui me prend soudain.

Mes yeux font le tour de l’appartement. Tout est plongé dans l’obscurité. Les plantes abandonnées - ça ne te ressemble pas, Luca.  Mon nez sent soudainement une odeur de propre - de trop propre.
Et surtout, lui, s’attendait à voir Kaith.

Je reste un instant à le tenir dans mes bras. Les yeux qui s'imbibent un peu. Non je ne sais pas ce qu’il se passe, mais voir l’un de mes plus proches amis dans cet état ne peut clairement pas me laisser indifférent.

Je dessers finalement mon étreinte. Pour le regarder, la pulpe du pouce venant récolter quelques larmes.
Mon cœur se serre.
Oh Luca….

Je prends une voix douce, non alarmée. Je pense qu’il n’a pas besoin que l’on lui crie dessus avec un air paniqué.

J’ai l’impression que tu vas te briser comme du verre Luca.

▬ Luca, qu’est-ce qui s’est passé ?


J’ai l’astuce de ne pas demander si ça va. Clairement non, ça ne va pas.

▬ Viens, viens t'asseoir, tu pourras me raconter.


Je ferme la porte derrière moi, ramasse mes paquets au sol avant d’enrouler un bras autour de ses épaules pour nous conduire au canapé. Je laisse la nourriture sur une petite table, vraiment, ça n’est pas le plus important.

Je prends place à côté de mon ami. Son état m’inquiète. Et je réitère ma question.

▬ Qu’est-ce qui s’est passé ?

Et où est Kaith ?

Luca,
toi qui d’ordinaire es si joyeux, si enclin à rire, si précautionneux dans ta manière de t’occuper de tes plantes, te voir trembler, les voir fanées, te sentir froid, tes yeux humides, noyés de chagrin et entendre tes sanglots me désempare.

Je t’accueille, toi et tes larmes, toi et tes hoquets, toi et ta peine, dans mes bras. Je suis prêt à rester le temps qu’il faudra. Je veux simplement savoir ce qui te met dans cet état là. Voir si on peut arranger les choses. Une part de moi veut s’interposer entre toi et ta souffrance. Malheureusement, celle-là, je ne peux pas l’endosser pour toi.

Parler te fera du bien. Viens, allons nous asseoir.

Je t'accompagne jusqu’au canapé où tu te laisses tomber pour finalement te recroqueviller, un coussin entre les bras.

Ton regard est vide.
D’aussi loin que je me souvienne, c’est la première fois que je te vois dans cet état là. Je n’ai pas de diplôme en matière de consolation. Je suis seulement l'aîné d’une fratrie et j’ai appris, un peu, à être à l'écoute et à me mettre à la place des autres.
Je crois que tu as besoin de parler, et de pleurer.
Je te laisserais tout le temps qu’il faut pour que tu puisses t'exprimer.
Je ne vais nulle part.

Je dégage une mèche de tes cheveux blond barrant ton front quand ta voix se fait toute fragile. Comme un souffle qui parvient enfin à sortir.

Il est parti.

Et tes pleurs reprennent.
Ton chagrin.
Tes sanglots.
Ton dépérissement
L’appartement plongé dans le noir.

Il est parti.
Kaith.

Et je ne comprends pas pourquoi. Je vous connais depuis longtemps. J’étais persuadé que tout allait bien entre vous. Peut-être est-ce une dispute ? Un malentendu ?

Mais tu reprends, ta voix saccadée de soubresauts.
Je ne te lâche pas du regard.
Je t’écoute.

Du sang ?
Mes yeux qui s'agrandissent. Je ne suis pas sûr de comprendre.
Il lui est arrivé quelque chose ? Blessé ? Ou… pire ?

Pourquoi il a fait ça ?

Alors non, c’est quelque chose que lui a fait.

Tu m’adresses la question et c’est le cœur peiné, le regard attristé, que je secoue doucement la tête.
Je n’ai pas encore toutes les pièces du puzzle.
Mais tu me les tends, une à une.

Le choc qui se dépeint sur mon visage.

Il m’a poignardé.

Quoi ?
Il a fait….  quoi ?

Impossible.
Kaith n’aurait jamais fait ça. Est-ce une métaphore pour parler d’une rupture ?
Je ne suis pas sûr de comprendre.

Tu me brises en me suppliant de le faire revenir.
Mon cœur lâche et je viens te prendre à nouveau dans mes bras. Ta tête calée dans mon cou, mes mains qui caressent doucement tes cheveux.
Je sais que tu vas pleurer.
Et tu en as besoin


▬ Pleure Luca…


Je resserre mon étreinte.
Mes yeux s’embrument à chacun de tes hoquets, et je finis par craquer moi aussi. Par pleurer moi aussi. Silencieusement.  
Doucement mon corps qui vacille pour te bercer, te consoler.
Je veux que tu te libères Luca.
Crie si tu as besoin.
Hurle si tu as besoin.
Agrippe toi si tu as besoin.

Je ne sais pas ce que ça fait, une rupture. Je n’ai pas eu la chance d’être amoureux. Mais je sais que si je perdais Moony, ou un membre de ma famille, mon monde s’écroulerait. Je n’en connais pas encore la douleur, alors que tu toi, tu la vis en ce moment même.

Un moment qui s’écoule, mais peu importe le temps, avant que mes lèvres déposent un baiser au sommet de ta tête. Je réduis ma prise, m’écarte un instant pour voir ton visage. N’aies pas honte Luca. Je ne suis personne pour juger. Et c’est bien la dernière des choses que je ferai.
Je prends ton visage en coupe, essuie à nouveau tes larmes des pouces pour venir t’embrasser le front.

Je tourne un bref moment la tête, les yeux partant chercher entre les larmes, de quoi les essuyer. J’esquisse un bref sourire rassurant en te regardant de nouveau, puis me lève pour prendre un verre que je remplis d’eau, puis le rouleau de mouchoirs. J’en déchire une page pour te la tendre, le verre déjà posé sur la petite table, à côté du gâteau. Je me rassoit à tes côtés.

▬ … Luca, est-ce qu’il a vraiment… t’as vraiment….


poignardé.
Mais le mot ne sort pas.

J’ai encore du mal à le réaliser. Un doute encore sur la métaphore mais, ici, une mort n’est pas définitive, alors…

▬ … je suis désolé Luca..


Il me faut encore quelques détails et ça me tue de devoir te les demander.
Je ne sais pas quoi ressentir à l'égard de Kaith.

J’attrape le verre pour le placer dans tes mains.

▬ Tiens, bois un peu. Ça te fera du bien. Avec toutes ces larmes, tu vas finir par te dessécher si on ne fait rien.


Un regard voilé d’humour, un peu.

▬ …. c’était quand, Luca ?...


Que je sache depuis combien de temps tu n’as pas mangé non plus.
Pardon de remuer le couteau dans la plaie…
et la joueuse s’excuse pour cet humour stupide.

Le pamplemousse et la carotte ?

Mes yeux qui se font ronds l’espace d’un instant.
mdr
…….
…
Vraiment ?
Oh je. Je testerai un jour. Je t’inviterai Luca, et on le fera ensemble, avec Moony. Peut-être qu’avec toi pour surveiller, on évitera le coup de chaud qui lui donne cet aspect de pneu. Je suis sûr qu’on passera un bon moment, et que ça te changera les idées. Ça te permettra de respirer.

Tu hésites, tes yeux passant de l’une à l’autre de mes propositions. Tant que tu essaies de manger, tout me va. Tant que tu reprends des forces, tout me va.

Mais mon visage se fend malgré tout d’un sourire quand tu choisis le gâteau.

▬ Parfaiiit !!

Je couine presque.
Et j’espère sincèrement qu’il ne sera pas mauvais. Ni qu’il aura un goût de barbecue raté. Je le repose sur la petite table et me penche dessus pour retirer le bord amovible du moule.

Puis c’est comme si un air froid, glacé, me frôlait quand je t’entends buter sur un mot.
Oh.. Luca…

Arrêté dans mon geste, je n’ai pas le temps de me redresser pour observer ton état, que tu es déjà debout, et te précipite dans la cuisine. Appuyé sur le plan de travail, je te laisse cet instant de solitude.
Ma gorge se serre, je me mords la joue, le regard attristé qui reste un instant sur ta place laissée vide.

Qu’est-ce que je dois faire ?
Retrouver Kaith ? T’aider à le retrouver ? Partir seul ?
Est-ce qu’il faut que je te protège de Kaith ?  
Le dénoncer ?
…
Je sais pas.
Mais il faut que j’agisse. Et je suis persuadé que tu n’en resteras pas là toi non plus, Luca. Pour l’heure, je vais faire de toi ma priorité. M’assurer que tu te nourrisses, que tu ne suives pas le même chemin que tes plantes.
Pour ça, je sais exactem-

!!!

▬ Luca ?!

Je bondis au fracas des assiettes éclatées au sol et me précipite dans la cuisine.

Incapable de décrire le mélange de ce que je ressens quand je te vois, accroupis, à ramasser les éclats de porcelaines. Le calque est si facile à transposer qu’il me serre le coeur, m’embrume les yeux. Et je devine aux tressautements de tes épaules que tes joues sont encore marquées de larmes. Je m’avance dans ton dos pour y déposer une main.

▬ Luca…


Tes doigts tremblent, et le tranchant d’un débris te prend en traître.
Je fléchis les genoux pour arriver à ta hauteur et pose l’une de mes mains sur la tienne pour t’arrêter.

▬ Laisse, je vais le faire.

Un regard glissé au tien pour te dire que tu n’as pas le choix.

▬ Tu devrais le passer sous l’eau.

Petit signe vers la coupure tant dis que je commence à rassembler les morceaux d’assiettes. Tu dis avoir songé à faire du thé et je ne peux m'empêcher de rire. Un peu pour détendre.

▬ Haha, non, toi tu touches plus à rien.

Je me redresse, la paume remplit de porcelaine que je pars jeter dans le bac adéquat.

▬ Mais…

Flexion des genoux qui me prend une respiration - j’ai besoin de sport yakoi ? - et je rassemble les derniers bout de porcelaine.

▬ Je veux bien que tu me guides.

Je me remet debout, jette les débris.

▬ Dis moi comment on fait du bon thé.

Ou sont les tasses, les cuillères, la théière, combien de temps on infuse.
Laisses moi te vider la tête, ne serait-ce,
qu’un peu.

C’est dans ces moments-là où j’en veux à mon pouvoir d’avoir des limites.

Luca, si je pouvais capter toute ta détresse interne, pour te permettre de sourire, de respirer. Je le ferai sans attendre. Sans être sollicité. Malheureusement, c’est hors de ma portée. Alors, le meilleur moyen que je trouve, pour t’offrir une bulle d'air, c’est de détourner ton attention. Si tu savais l’affection que j’ai pour toi. La peine que j’ai pour toi. Impossible de te laisser seul. De t’abandonner.

Je te vois essuyer tes larmes et je ravale les miennes, fronce le nez pour en dégager les picotements.

Le sol est désormais débarrassé des gros morceaux. Il faudra quand même passer un coup de balai ou d’engin qui aspire - ce truc effraie Moony alors le mot est banni - histoire d’éviter les blessures, même infimes, on sait jamais.

Je t’invite à me guider, pour faire du thé. Et normalement, tout devrait bien se passer, au pire, je nettoierai mes bêtises.
Chauffer l’eau dans la bouilloire, ok. Je m’exécute en remplissant le réservoir avant de le poser sur son socle et j’actionne le bouton qui émet une lumière jaune, orangée.

Puis le meuble. J’y découvre pas mal de vaisselle. Mes yeux défilent sur les tasses avant d’en sélectionner deux, couleur sable, rien de criard, plutôt quelque chose de doux. La théière, je prends la verte grenouille et je ne peux m’empêcher de pouffer de rire.

▬ Elle est rigolote celle-là.

Allez hop, sur le plan de travail !

Un regard un peu interrogatif quand je te vois approcher puis pointer du doigt un sachet. Un sourire qui fondu d’attendrissement quand je comprends que tu m'écoutes, que tu prends au pied de la lettre ce que je t’ai dis. Ne plus toucher à rien. J’en envie de te faire un câlin mais je redoute que tu t’effondres à nouveau. Tu es comme un morceau de miroir fragile, que la moindre vibration peut faire exploser. Je le vois, c’est comme un fil sur lequel je marche pour t’atteindre, sauf que le fil, je veux en faire un ruban. Une étole. Une nappe et pourquoi pas le plus grand plaid du monde ?
Je veux pas te brusquer.

J’écoute tes explications et tes conseils mais avant, je me permet de sentir le thé et d’approuver.
Je m'exécute, sourcils froncés pour marquer la concentration, c’est bien connu.

▬ Comme ça ?

Je verse les feuilles dans le bidule à grillage que j’ai trouvé dans la théière grenouille. Ton stop m’arrête net. Juste deux, trois miettes qui tombent à côté. Puis je continue en versant l’eau chaude dessus.

▬ Et hop ! A infuser !

Cinq minutes.
Très content du travail d’équipe, je me mets à nettoyer la surface de la cuisine quand ta question m’interrompt.

Je lève les yeux surpris vers toi.

Tu te renfermes.

Je secoue la tête.


▬ Pas du tout. Ça ne m’ennuie pas. Et je….

Je me mord la joue, comme pour chercher les bons mots.

▬ …je… pense qu’on devrait s’occuper de tes plantes !

arg. pas du tout ce que je voulais dire.
Mais une fois lancé, jpeux pas reculer. Alors je t’attrape une main, te conduis devant l’une d'elle, fanée.

▬ Tu penses qu’avec tes connaissances tu pourrais l’aider ?

Je me décale, te laisse en tête à tête avec elle. Mes yeux qui se rivent au plafond. Puis qui se baissent sur mes pompes. Allez, du courage !

▬ Luca… euh.. vraiment ça ne m'embête pas. J’ai pas envie de te laisser seul, mais… si t’en as besoin, je peux m’en aller. Quand tu veux. Ou rester pour la nuit. Ça ne me gêne pas. Par contre, je pars à une condition, mais ça, tu le sauras à ce moment-là !

Ca me rassurait de rester et, pardon Luca, mais je suis capable de rester derrière la porte d’entrée, assis sur les escaliers. Le temps que mon inquiétude s’estompe. Et je reviendrai demain, sans doute. Ou après-demain. Tu m’auras un peu dans les pattes tant que ça n’ira pas, Luca.

▬ Ha ! Le thé doit-être prêt, non ?

Et je voltige jusqu’à la théière.

Je crois que je ne veux pas de réponse tout de suite. Je te laisse le temps d’y réfléchir, me laisse le temps de me faire à l’idée que peut-être, d’ici 5min, je serai dehors. C’est pourquoi je repars m’intéresser à la théière, te suivant d’un œil en coin quand tu t’approche pour remplir un arrosoir.

Tes plantes ont besoin d’eau au moins autant que toi, tu as besoin de soutien et de te nourrir. J’y veillerai. Quand Moony est malade et refuse de manger - malade dans sa tête - j’interviens toujours. Ici la situation est différente. Et même si je peux te prendre dans mes bras comme je le fais avec elle, je doute que faire l’avion pour t’inciter à manger soit une bonne idée. Heureusement, le gâteau semble avoir un succès utile puisque tu suggères de le goûter.

▬ Ouii !!

Je hoche la tête, ouvre la théière pendant que tu repars t’occuper de tes plantes. Ce n’est pas encore la fin pour elles, et ce n’est pas la tienne non plus, même si ça parait difficile à croire. Tu te relèveras.

J’attrape le bidule grillagé, place ma main en dessous pour l’emmener vers l’évier. Les gouttes brûlantes s’écrasent sur ma paume mais je n’en ressens qu’une douleur modérée. Comme si mon corps avait connu pire, il me dit “ça, c’est rien.”

Par hygiène et par convenance, je passe mes mains sous l’eau froide du robinet, les savonne avant de remplir les tasses. Je me permets de tirer un plateau pour les poser dessus ainsi que deux assiettes et un couteau à bout rond, histoire de ne pas trop attirer ton attention dessus. Tu te tournes vers moi, m’indique de rejoindre le salon. J'acquiesce, m’empare du plateau pour le transporter jusqu’à la petite table et l’y déposer. Je m'installe sur le canapé quand mon prénom franchit tes lèvres.

▬ Hm ?

Je lève la tête vers toi, encore debout vers la cuisine.

Et je t’écoute. T’écoute me répondre. J’admets avoir retenu un instant ma respiration. Tu veux être seul. C’est normal. Mais pas sain. Et tu le perçois toi aussi. Je me doute que tu ne vas pas lancer une partie de jeu vidéo à mon départ, ni te faire un karaoké en solitaire. Je pense plutôt que tu vas de nouveau serrer cet oreiller dans tes bras pour l’imbiber de tes larmes. Et tu vas t’oublier, un peu. Beaucoup ? Je ne sais pas à quel niveau. Mais je reviendrai te relever, t’épauler, préparer du thé maintenant que je sais mieux le réaliser.

Mes yeux qui s'agrandissent finalement quand tu acceptes ma présence, au moins pour encore un peu de temps. Mon cœur qui se met à battre plus quand tu parles de Moony et de notre gâteau-test. Un instant, je pense à rentrer chez moi pour revenir avec elle. Mais ça signifierait te laisser. A moins que tu ne vienne avec moi ? Sinon, je peux toujours t’emprunter le téléphone pour joindre mes parents et prévenir que je ne rentrerai pas ce soir. Mmmmh… On a vraiment besoin de se pré-occupé de ça maintenant ? Nan, nan, l'important, c'est toi.

▬ Ne t’inquiète pas pour ça, tu n'abuses pas. Et Moony comprendra si je lui explique que j’étais avec un ami qui ne se sentait pas très bien.

J’évite les mots un peu tabou ; mal, malade, dans le besoin, triste, brisé… Moony est intelligente et douce… Et elle a déjà 11 ans et demi. Bon sang que le temps passe vite. Elle ne m’en voudra pas si je m’absente plus longtemps. En revanche, mes parents vont un peu criser si je ne les préviens pas haha. Mais bon, on n'en est pas encore là.

Je découpe deux parts en prenant soin d’y aller doucement. Je grimace quand j’entends les morceaux cramés de la croûte craquer. J’espère qu’il n’aura pas un goût de barbecue raté. L’intérieur à l’air moelleux, le contour… beaucoup moins.
Un rire m’échappe.

▬ Monsieur le juré, si vous voulez bien prendre place.

Je dépose un triangle dans chaque assiette et les place dans le plateau en attendant que tu viennes t’installer.

▬ C’est pas pour amadouer, mais pensez à la jeune cuisinière qui se cache derrière.

A celle qui m’a regardé avec des yeux de juge impitoyable quand j’suis arrivé avec mes pamplemousses.

Il faut que tu manges Luca. Que tu penses à autre chose. Je sais, c’est encore trop frais pour te faciliter la tâche mais, je ne peux pas te laisser te noyer dans ton chagrin. Ni te laisser finir avec la peau sur les os. Ton visage est déjà si fatigué. Tes yeux rouges et gonflés, cernés par les marques du désespoir. C’est dur de te voir dans cet état et ne pas pouvoir t’aider plus.

Tes mains qui attrapent l’assiette en tremblant légèrement. Je me doute que manger est la dernière des sensations que tu peux avoir. Le nœud formé dans ta gorge et dans ton estomac doivent être un frein indubitable à l’acte de déglutir. Pourtant, j’insiste. Au moins un peu. Ce n’est pas tant ce que tu penses de ce gâteau à moitié cramé qui m’importe vraiment. Je veux juste te redonner des couleurs.

Je prends soin de ne pas te fixer, pour te mettre zéro pression, prends le temps qu’il te faut pour croquer dans le moelleux et croustillant, moi, je vais admirer encore une fois ce service à thé. Je t’entends prendre l’inspiration qu’il faut pour rendre ton verdict au bout d’un certain moment.

Je hausse les sourcils et viens à mon tour croquer dans le gâteau pour vérifier tes dires. Ça parait logique ; retirer les contours cramés pour n’en conserver que le moelleux resté intact. Ton compliment me tire un sourire bref, car je te vois déjà reposer l’assiette, les yeux embrumés.

Oh non.
Non, non, non…
Je voulais tout sauf raviver la douleur de la plaie.
Raviver la peine.

Mais,
c’est encore trop frais.
Et je crois que ton attention a été suffisamment détournée. Difficile de t’en demander plus. Comme le fil d’Ariane, l’ombre de Kaith qui serpente derrière toi, tu cèdes, te retournes.

Ton corps se voûte naturellement.

Viens là…

Dans un seul mouvement, je pose mon assiette, me rapproche de toi. Je t’enveloppe de mes bras et t’attire à moi. Ton être tout contre le mien. Mon menton sur ton crâne, ta tête contre mes clavicules. J’ai les doigts qui te caressent quelques mèches blondes. Je te berce à nouveau en me pinçant les lèvres pour retenir mes propres perles salées. J’ai mal pour toi.

▬ Ca va aller Luca…

J’embrasse tes cheveux, te laisse à nouveau libérer ton chagrin.

▬ Je sais… je sais que c'est dur…

Enfin non, je ne sais pas, je ne l'ai jamais vécu. Mais je le devine. Le vois à travers toi.

Kaith.
J'irai le voir, le retrouver, le confronter.
Je pense... je ne sais pas si c'est bon de t'en parler. Je ne veux ni t'inquiéter, ni te donner de faux espoirs.

▬ Tu vas te relever Luca… tu verras, avec le temps tu t'en remettra. On dirait pas comme ça, mais ça va aller.

J'ai pris un ton un peu plus léger sur la fin de ma phrase. Volontairement. Pas pour me moquer, plutôt pour dédramatiser un peu.

▬ Tes amis sont là.

Lui, c'est qu'un crétin.