Les couleurs du jour cédaient lentement la place à celles du clair-obscur annonçant la fin de la journée. C'était ce moment où les rues devenaient lentement silencieuses, car tout un chacun retournait dans le confort de son chez soi. Les minutes s’égrenaient et rien ne se passait. Ton pied tape le sol dans un rythme qui était celui de l'attente. Car ce soir, tu as un rendez-vous. Tu en as rarement. Parfois tu aimerais en avoir plus, et surtout ceux qui ont un but romantique. Mais ce soir, ce n'était pas le romantisme. Bien au contraire. Tu te devais de donner des informations. Et ça, tu en avais à revendre depuis la dernière fois où tu l'avais vu. Vu qui ? Et bien celui qui t'avait fait devenir espion, t'enlevant une épine du pied, pour un mettre une autre à la place, mais légèrement plus supportable. Celui aussi qui entre temps était devenu ce chef cruel selon les rumeurs, puisque tu ne pouvais te déplacer pour voir les rassemblements de ses hommes. Il pouvait encore y avoir tant de mots et de phrases pour le décrire et tromper l'ennui.

Sauf qu'en ce moment, tu le maudissais de te faire poireauter. Tu prends ton com, regarde l'heure et soupire. C'était bien aujourd'hui, il n'y avait aucun doute. Tu hésites à lui envoyer un message, à annuler, à lui donner une autre date, à faire passer tout cela pour un rendez-vous de toilettage pour son chien. La prochaine fois, c'était clairement ce que tu ferais, tiens.

Enfin le voilà. Tu te redresses, comme si tu pouvais atténué la différence de taille entre vous deux. Puis, tu restes surpris en voyant le sourire sur ses lèvres mais également ses mots. Il te remercie. Quoi ? Tu hallucines ? Tu as de la fièvre ? Tu rêves d'un Edge sympathique et avenant ? Non. Tu sais que c'est bien réel, parce que ce serait bizarre de rêvé de lui. C'est simplement surprenant à voir et à entendre. Depuis combien de temps tu ne l'avais plus vu sourire de la sorte ?

- Un accident ? Rien de grave, j'espère ? Hm... T'as l'air un peu... différent ?

Mais bien vite, il en vient à la raison de votre présence ici. Tu pousses un soupir. Tu détestes ça. Mais plus vite c'est fait, mieux tu iras. Tu pourras rentrer et faire comme cette rencontre n'avait jamais eu lieu. Alors, tu déballes.

- J'ai des vieux trucs, mais des plus récents aussi. Je sais pas si t'en avais entendu parler, mais il y a une alliance carottes et bananes. Moins connue par contre, c'est le smoothie acidulée et la banane.

Ce qui est bien avec les noms de gangs sucrés, c'est que tu as l'impression de parler nourriture et pas de ce qui se passait dans la ville.

- Ils ont aussi appréhendé les deux gars qui s'en sont pris Solar. C'était assez propre. L'état de la cage dans laquelle ils ont été enfermé, un peu moins. Mais ils se sont échappés.

En y repensant, tu pousses un soupir. Ce moment t'avait bien perturbé et t'ennuyait encore.

- Je comprends d'ailleurs toujours pas comment. C'était ultra bizarre. Genre, j'étais là, mais j'ai pas bougé pour les arrêter sauf à la fin. ... Parce que oui, c'était quand j'étais de garde. Un des types a appeler son boss, mais y'avait personne d'autre dans la pièce. Ça ne ressemblait pas à leur faculty, donc j'en suis venu à la conclusion qu'une autre faculty était à l'oeuvre. Mais où, comment, je sais pas. Si tu veux plus d'info, demande à Corey d'accéder à nos archives, il devrait passer facilement, je pense. Y'a des chances qu'il se fasse pas voir avec ses traces informatiques, c'est son petit frère qui est notre hackeur.

Son petit-frère... Et le tien également. Tu balances ta propre famille, mais ce n'était pas non plus une grande information non plus, n'est-ce pas ?

- Bref, je m'étale. Le plus important, c'est qu'après ça, Frey et Cosmo se sont engueulés dans son atelier. C'était tendu. On les entendait sans être avec eux.

Tu fourres les mains dans les poches de ta veste. Vraiment, à ce moment-là, si ta couverture avait été grillée, tu étais sûr qu'elle te tuait tellement ça allait pas.

- J'ai rien d'autre d'important qui me vient à l'esprit... Sauf si tu veux savoir des trucs précis ?

T'aurais pu lui parler du rire de Cosmo ou de ses nouvelles créations en devenir, mais tu doutais fortement que cela l'intéresse impérativement.

Les questions tombent alors, à ton plus grand dam. Un mélange de frustration et de colère nait en toi, parce que tu ne peux répondre correctement à certaines, puisque tu en ignores les réponses. Tu pousses un soupir et remets une mèche, que le vent avait bousculé, à sa place. Tu apprécies néanmoins le fait qu'il te donne ses propres hypothèses quant-à la présence d'une tierce personne qui aurait pu agir sur toi sans que tu t'en rendes compte, te plongeant dans l'état t'attende que tu avais vécu.

- Je ne connais pas non plus leur identité. C'est apparemment une information trop sensible pour qu'on nous la communique. S'il te la faut vraiment, je verrai ce que je peux faire. Mais je peux au moins te les décrire.

Alors rapidement, tu lui donnes la description de Callum et Duke, ajoutant ce qu'il t'avait semblé percevoir de leur faculty respective : une grande résistance au coup, telle un roc qu'on ne peut pas briser et la capacité d'obliger quelqu'un à faire quelque chose, comme tu avais pu voir Duke en action sur Arès.

Et lorsqu'il est question de tes frères, tu serres les poings. Tu regardes dans chaque côté de la ruelle où vous vous trouver, t'assurant que personne n'arrive. Puis tu quittes ta position pour te mettre devant ton chef, puisque c'est ce qu'il est réellement, même si parfois, à cause de l'éloignement, tu tends à l'oublier. Tu venais presque de vendre ton petit frère, lui que tu souhaites plus que tout protéger de ce monde, tout en lui laissant la liberté de respirer. Si seulement Melo n'avait rejoint aucun gang...
Ta voix se fait plus basse, mais également teintée d'une certaine douceur, lorsque tu t'exprimes.

- Oui, c'est bel et bien ce que j'insinue. Et c'est également le mien. Ce n'est qu'un gamin entrainé dans une guerre qui ne le regarde pas. Alors s'il y a moyen de l'épargner au maximum, j'en serai très reconnaissant.

Tu te sens soudainement hypocrite, tu détournes les yeux et viens te poser à côté de Edge, dos contre le mur. Tu demandes à ce qu'on ne touche pas à ton petit frère alors que tu proposes toi-même d'utiliser le lien qui vous unit, toi et tes frères.

Tu veux vites passer à autre chose. Tu fouilles tes poches dans l'espoir d'avoir une feuille, en vain.

- Si tu as de quoi écrire et noter, je peux te le faire en même temps. Sinon, je te la ferai parvenir une autre fois. Et s'il te plait, brûle-la quand tu auras fait ce que tu veux. Je ne veux pas qu'on reconnaisse mon écriture si jamais elle venait à être subtilisée... Et ne t'en fais pas, si jamais tu reçois un message ou un appel de ma part sur ton com, c'est que je n'aurai pas eu d'autres choix.

Le maitre mot de ta fonction maudite était la prudence. Tu voulais laisser le moins de preuve possible de ta traitrise vis-à-vis des Banana Breads, même si, en définitive, tu ne faisais que ton devoir en assumant un choix passé.

- Les faculty donc... Je suppose que tu connais évidement celle de Cosmo, donc je le passe. Frey, c'est la lumière. Arès Blum semble pouvoir tétaniser quelqu'un par le toucher ? Khaïne Valden peut apaiser les autres. Olympe De Duval a un pouvoir de soin. Cale Carrington enlève la douleur. Emil Valden peut maudire une personne. Hestia Gallagher fait une sorte de bouclier protecteur. Cassiopée Gallagher utilise le feu. Je n'ai pas pu observer celles des autres.

Tu te donnes dedans, comme un rappel si il le savait ou bien une marque que tu n'avais rien à lui cacher s'il l'ignorait. C'est bien plus pour ce second point, puisque tu utilises peu ta faculty, de même que tu n'en parles pas beaucoup non plus. Tu t'es senti obligé de donner celle de ton père, puisqu'il était gradé. Cela te bouffe intérieurement de l'avoir fait. Au moins, ta mère et ton frère avait été épargné de cette liste.

Tu lèves les yeux au ciel, la culpabilité t'emportant déjà dans son sillage. Cela fait si longtemps que tu es avec les jaunes que tu penses parfois faire partie des leurs. C'est peut-être un espoir secret que tu nourris. C'est peut-être pour cette raison que tu t'attaches à ta discrétion, à ne pas te faire choper, pour rester plus longtemps en leur compagnie peut-être trop douce. Et totalement contraire à ce que tu recherchais au départ.

- Pour Frey et Cosmo... C'était surtout à cause de l'évasion. Elle les a traité de "Carpettes". Cosmo insistait sur la "famille". Je crois qu'il essayait d'excuser l'échec, par le fait qu'il n'y avait pas de perte... Alors que ça c'est joué à un rien près.

Tu passes ta main sur ta gorge, te rappelle l'éclat de la lame prête à te planter.

- Bref, un désaccord entre une chef et son second concernant le gang et comment ils doivent le mener, entre recherche de force et unité.

À ta demande qui aurait pu être vue comme impertinente, la réponse de Edge ne te satisfait pas entièrement. Pourtant, elle laisse entrevoir à tes yeux la possibilité que rien ne pourrait être fait au dernier de ta famille. Car c'est toi son pion. Il ne te traverse pas l'esprit qu'il pourrait malgré tout parlé de tout en chacun, de n'importe quel individu peuplant cette planète. Tu penses également qu'il n'y a qu'à le protéger, que ta famille en est capable, que les banana en lesquels ton père croit, que tout cela additionné pourrait être suffisant.
Tendre naïveté.

Tu n'es pas resté plus longtemps sur le sujet, d'autres informations plus capitale devaient être livrées. Tu es presque surpris que ton chef véritable te remercie. Tu lui lances un regard, presque interrogateur.
L'interrogation demeure quand il fait allusion à un certain Cory. Et soudain, l'illumination. Tu souris, comprenant à qui il fait allusion, te disant qu'il t'avait fait comprendre qu'il avait bonne mémoire. Cela ne semblait pas être le cas à 100%.

- Corey, tu veux dire ?

Tu marques une pause brève, histoire d'effacer ce sourire de ton visage.

- Je peux essayer. Mais il ne sait pas pour moi. Néanmoins, il reste une bonne possibilité.

Corey n'irait pas tout balancer. Il ne te mettrait pas dans une situation embarrassante et surtout dangereuse. N'est-ce pas ? Tu croyais en ton frère adoptif. Il ne dirait rien s'il comprenait le double jeu qui est le tien.

Et soudain, tu te figes. Tu as l'impression d'avoir été percé à jour. Ne pas s'attacher... Savait-il combien cela était compliqué ? Tu le fixes, tu dérives ton regard, tu soupires.

- Sais-tu à quel point c'est compliqué ?

Si tu dois lui revenir par malheur, tu sais par avance que tout à changer, que rien n'est pareil. Tes connaissances du passé au sein des CG sont-ils toujours là ? Et si oui, comment te recevraient-ils ? Quelle sera ta place ? Quelle sera ton utilité ? Car tu perdrais tout en revenant. Alors que là, non seulement tu étais auprès de ta famille de sang, mais également d'une autre accueillante. C'était là que s'était fait tes liens actuels, ceux dont tu te rendaient compte qu'il pouvait t'être douloureux de perdre. Le tout était de ne pas se faire prendre, de rester parfait, infiltré si profondément que tu en devenais indétectable. Un parasite devenant symbiote.

Sauf que les mots employés te perturbent. Si Edge assure qu'il ne trompe pas, en revanche, il sous-entendrait le contraire concernant les faux tiens.

- Il y a quelque chose que tu sais sur eux que je ne sais pas ?

Il te répond, de manière quelque peu énigmatique. Cependant, tu comprends que ses liens avec Frey et Cosmo lui permettent d'avoir des informations personnelles sur eux que tu n'as pas. Tu aurais pu ensuite le contredire, lui dire que non, ce n'était pas des faibles sous les ordres des chefs des Banana Breads, mais sa douce menace arrêta les mots dans ta gorge. Un léger frisson parcourut ton échine tandis que tu te raidissais un peu. Est-ce que penser comme tu le faisais était une sorte de trahison ? Est-ce qu'il lisait tes pensées pour te sortir ça maintenant ? Est-ce que vouloir protéger ta famille du mieux que tu pouvais était trahir ?
Tu fermais les yeux une seconde avant de les ouvrir, un sourire légèrement amer sur le visage. Car même si tu le voulais, tu ne le pourrais pas, le trahir.

- Je l'aurai fait il y a longtemps si j'avais voulu tenter. Tu n'as rien à rien craindre de moi.

Et tu étais sincère. Partagé, mais sincère.
Il finit par te parler de Seven alors qu'il entame sa marche vers son antre. Tu fronces les sourcils. Tu cautionnais mal l'abandon d'animaux.... même si là, ce n'en était pas vraiment, mais plutôt une aide pour ce chien. Tu reculais d'un pas puis deux tout en balançant les mots qui se heurtaient dans ta tête.

- En échange, prends soin de Corey autant que faire se peu.

Et avant qu'il ne soit trop loin, tu le hèles une dernière fois, les mains en porte voix pour l'onomatopée.

- Hé ! Tu devrais sourire plus souvent, ça te va mieux que d'être couvert de sang.

Vraiment, Emil, sentir que ton chef légitime était différent de ce qu'il était d'habitude, ça te déliait peut-être un peu trop la langue. Tu lui fis un dernier signe s'il te regardait avant de prendre une route différente.