Tu dois prendre la tête des PIC - Pheme avait exigé et tu avais courbé l'échine, acceptant de porter le poids du pouvoir sur tes épaules. Et tu le portais bien ! Passer du second au premier plan avait fait fleurir tes plus sombres ambitions. Malheureusement pour toi et pour les Cooper, cela avait aussi attiré l'attention sur ta petite sœur. Cartel ou non, si les ennemis s'amusaient à faire un lien entre toi et la délicieuse Echo, ils trouveraient également ton point faible, avec celui-ci une faille pour s'attaquer aux PIC.

C'est donc le cœur lourd de devoir annoncer à ta sœur qu'il faudra la faire surveiller que tu arrives au hosting club.  Derrière le salon principal ou les clients peuvent boire et offrir des coups à leurs hotes favoris, sont dissimulées par des rideaux de velours des chambres insonorisées où les prostitués peuvent proposer leurs services. Si l'ambiance mixte t'a toujours écoeuré, tu ne peux qu'admirer, silencieux et respectueux, la beauté des corps qui défilent sous tes yeux. La majorité sont des femmes (dont aucune n'égale la prestance et la qualité de Blanche) mais quelques garçons à moitié dénudés déambulent entre les tables.

Après inspection des lieux, tu constates qu'elle n'est pas là - sûrement occupée, sa journée de travail n'est pas terminée. Tu fais la gueule Cecil, enfonces tes ongles dans la paume de ta main. Ton garde du corps t'escorte jusqu'à une table un peu plus en retrait (réservée aux élites). Tu commandes un verre d'alcool, fait demander Echo ; de la part de qui ? Personne.
Elle comprendra.

Le bruit t'agresse, les odeurs te donnent la nausée. Tu déposes sobrement ta joue contre la paume de ta main, le coude sur la nappe rouge. Ton regard azuré cherche et se rince pudiquement sur les poitrines plantureuses qui s'agitent au rythme des rires forcés. Les joues légèrement rosées, tu baisses le menton sur ton verre. Isolé par tes gardes, tu leur fais signe d'aller surveiller la porte pour respirer un peu, l'anxiété d'être toi-même épié te rend acide.

— « Hm… »

Une des hôtesses tente sa chance, propose ses services - tu balaies d'un geste la main un refus qu'elle comprend directement. Elle tourne les talons, attirant l'attention d'un spécimen que tu aurais préféré éviter. Samael Moore t'a remarqué, tu t'armes de ton sourire le plus mauvais.

Oh... La tranquillité de la solitude vite écourtée, bafouée par la présence de l'énergumène. Tes paupières tombent lentement sur lui, tes yeux saphirs le toisent avec mépris. Tu laisses échapper un soupire las, gardes pour toi toutes les réflexions acerbes que tu pourrais lui livrer. Non, tu préfères lui offrir l'indifférence cruelle que méritent chaque garçon ici avare de ton attention.

— « Et toi tu es... ? Pardonne-moi, j'ai du mal à retenir les prénoms. Et les visages. »

Samael Moore.
Tu ne l'as pas oublié, depuis la première fois où tu es venu jusqu'à la dernière. Toujours là, comme une tâche d'huile qui a coulé sur le tableau, comme un parasite qui ronge tes sens. Là où on ne l'attend surtout pas, Samael Moore est l'allumette de ton essence.

— « Surtout ceux qui n'ont rien de marquant. »

Tu tournes la tête, désintéressé, et croises le regard mitigé de ton garde du corps, debout à côté de l'entrée.
Tu fronces les sourcils et te redresses sur ta chaise, le dos droit et les épaules hautes. Tu caresses le haut de ton verre de deux doigts, obnubilé par le sifflement que provoque le frottement du cristal.

— « Sais-tu quand Echo aura terminé son affaire ? »

Tu ne veux pas qu'il pense (tu ne veux pas !) que tu es là pour lui.
Ça ne sera jamais le cas.

Alec. Ce nom t'est étranger. Il ne s'appelle pas Alec mais Samael. Pourquoi est-ce qu'il te donne un faux prénom ? Tu plisses les yeux, peu impressionné par ses sourires et ses tentatives d'attirer ton attention. Tu restes froid dans ta posture, légèrement distant malgré le fait qu'il ait déjà envahi ton espace. La proximité ne te gêne plus, elle t'agace.

— « Alec. C'est ton nom de scène ? »

Tu ne prends pas la peine d'enrober ton mépris autour d'une gentillesse déplacée. Tu n'as qu'une idée en tête : que Blanche termine sa journée pour que vous puissiez rentrer. Tu as des choses à lui dire, des papiers à signer, tu n'es pas là pour ça.

Sa faculty s'active sans que tu ne le remarques, trop occupé à jeter des regards sous-entendus à ton garde du corps. Il devine à ton insistance que tu perds patience.
Mais quand Samael te parle, il est accueilli différemment. Tu ressens une légère chaleur au niveau de la poitrine. Tu te détends un peu plus, les yeux maintenant posés sur lui (et seulement lui). Ce n'est plus un monstre de foire mais une bête curieuse.

— « Quoi ? »

Tu n'es pas sûr d'avoir bien compris.

— « Ai-je bien entendu ? »

Tu secoues la tête et inspires profondément. Ta main se glisse sous la table, tapotes nerveusement ta cuisse.

— « Dans le monde idéal où ça ne me dérangerait pas de te laisser m'approcher à moins d'un mètre de distance, je préfèrerais profiter de tes services à domicile, ou dans un endroit moins étouffant. »

Tu étires un sourire en coin, obsédé par l'idée fixe de lui rendre ses coups.
A chaque fois qu'il tentera;
tu l'écraseras.

— « Mais tu ne dois pas faire ça, si ? »

Tu dois bien constater qu'il est plus malin que ce tu pensais de lui. Il te répond sans prendre le temps d'y réfléchir - sa répartie piquante lui semble naturelle et fluide. Tu restes de marbre, d'abord heurté par le fait d'avoir été aussi grossièrement piégé, puis esquisses un sourire glacial.

— « Tu n'as pas une tête à t'appeler Alec. C'est tout. »

S'il veut jouer au plus con, tu préfères rester le plus intelligent des deux. Tu relèves le menton pour le regarder de haut, le toises d'un air sévère. Tu n'apprécies pas du tout la manière dont il parle de ta soeur. Si tu les sais amis, sa proximité avec un individu aussi bête et grossier fait naitre des envies de violence.

— « Je ne veux pas me taper ma soeur. »

Tes traits lentement se déforment dans une grimace crispée. Tu ne détourneras pas les yeux le premier - continues de le juger. Tu déglutis sous l'emprise de sa faculty, les épaules remontées. Tes doigts viennent jouer sur la table, tes ongles s'accrochant à la nappe.

— « Oui, c'est ce que je constate. Tu n'as pas l'air d'être du genre à obéir sagement n'est-ce pas ? C'est un défaut non négligeable, sûrement une tare d'enfance. Un manque à combler peut-être. »

Tu enfonces un peu plus tes griffes dans le bois de la table, elles-mêmes traversant la dentelle. Inspires, expires. Merde.

— « Tu peux venir chez moi. »

Soupire.

— « Mais je ne te garantis pas de pouvoir repartir. »

Sourire.

Tu ne réponds pas au petit jeu qu'il essaie de lancer. Son prénom n'a pas d'importance, car lui n'en a aucune. Tu ne cilles pas, de prime abord confiant, et tu continues d'adopter un comportement poli et vaguement ouvert. Ton regard vif se pose sur des corps étrangers, et tu rends des sourires mutins à des visages familiers. Tu sais comment agir Cecil, et si cette pute vient réclamer ton attention, alors il se devra d'essayer encore plus fort pour la mériter.

Puis s'insinue en toi un sentiment étrange et écoeurant. L'envie furieuse de le regarder - tu luttes. Fermes les yeux pendant quelques secondes pour ne plus l'avoir dans ton champ de vision. Mais c'est trop dur, alors tapant du poing sur la table, tu les rouvres. Le manque de contrôle te stresse et t'agace, tu te mords la lèvre pour détourner ton attention de la ligne parfaite de sa mâchoire. Tu es obligé de couper court à la conversation.

— « Tu m'as fait quelque chose. »

Mais tu refuses que l'échange s'arrête brutalement sur une défaite. Tu reprends le sujet de la conversation comme si de rien n'était. Esquissant un vague sourire forcé.
Est- ce que c’est une menace ?

— « Pas une menace, non. La vérité. »

Si ce déchet humain pose un seul de ses pieds malodorants chez toi, il peut être certain que tu ne laisseras pas repartir. Tu es très doué pour faire disparaitre les autres.

— « Qui te pleurera, si tu te volatilises ? »

Tu te permets même d'en rire, comme un innocent.

— « Et comment reviendrais-tu, coulé sous le béton ? »

Ça, c'est une menace.

Tu fronces les sourcils, décontenancé. Ses mots ne font pas sens, ne rentrent dans aucune logique. Tu le crois tout simplement bête et la compagnie des simples d'esprit t'exaspèrent. Oui, ça doit être ça. Le pauvre est juste stupide, et si la famille Moore t'intéressait tu aurais peut-être pu les plaindre de devoir encaisser l'attitude d'un frère aussi décevant.
Pourtant tu rentres dans son jeu et pris dans les rouages de l'orgueil, ne peux t'empêcher de lui répondre avec entrain.

— « Je réalise seulement que tu me fais perdre mon temps. Hors de ma vue maintenant. »

Tu n'es pas conscient Cecil, que ton zèle à son égard ne fait qu'alimenter ses travers.
Il continue à pousser. Encore et encore. Merde.

Tu m'aimes trop ?
Tu vas m'épouser ?
Tu me pleurerais ?
Echo, elle, me pleurerait.

C'est la goutte de trop, tu débordes d'émotions submergées de colère et de jalousie maladives. Cette fois tu cognes ton poing sur la table pour exprimer ce trop-plein qui t'étrangle.

— « Ma soeur n'a cure d'un individu aussi plat et vide que toi ! »

Tu sais qu'elle est comme toi, qu'elle maitrise l'art de faire semblant pour survivre.
Tu te calmes, tu dois en faire autant. Glisses une main sur ton visage, effleures ta peau brulée. Tu as l'air d'accuser le coup, un peu fatigué - en réalité la paranoïa n'a cessé de te gangrener depuis que tu es entré.

— « Tout bien réfléchi... »

Te débarrasser de lui est un risque que tu serais prêt à prendre.

— « Tu aimes l'interdit non ? J'ai peut-être une mission pour toi. »

Sourire.

— « Et tu serais prêt à aller contre ta propre famille ? »

Le tacticien est mis en défaut ce soir. Tu as du mal à appréhender ses réactions, toujours en déroute quand d'habitude tu joues avec un coup d'avance. Samael est un gouffre sans fond de bêtises. Tu n'arrives pas à comprendre par quel subterfuge il arrive à te captiver. C'est sa faculty, forcément sa faculty. Tu n'as pas fait attention à la couleur de ses yeux mais tu mets de l'importance dans ses mots. Il se trahit dans son excès de confiance.

Et c'est comme cela que tu comptes le piéger. Il ne voit pas plus loin que le bout de son nez.

— « Une récompense hein... »

Tes yeux cherchent à s'ancrer dans les siens. Tu essaies de deviner ce qu'un garçon comme lui pourrait bien chercher. La première solution parait la plus logique.

— « J'ai de l'argent, si tu le souhaites. Je peux t'en procurer en échange de loyaux services. Tu n'aurais plus besoin de travailler. »

As-tu seulement ce que je veux ?

— « C'est quoi, ce que tu veux ? »

En temps normal tu n'aurais jamais demandé.

Il est déçu. Tu restes de marbre, l'encéphale à peine secoué face à son abandon. Tu dois bien te heurter à la seule vérité qui a encore du sens entre vous : tu t'es trompé, et ça te touche plus que de raison. Ça t'inonde de frustrations irrationnelles et envahissantes. Tu ne détournes pas le regard pour autant, habitué à ne plier que quand c'est nécessaire, face aux puissants. Samael n'a du roi qu'une couronne de plastique.

— « Donc tu vas me dire que tu exerces ce métier par passion ? »

C'est encore pire que ce que tu pensais.
Si tu aurais pu accueillir (à bien des égards) une histoire sordide et un sacrifice tragique - c'est le dégout qui voile tes yeux à présents. A trop se frotter il risquerait de t'éclabousser et de te salir. Tu te permets donc un léger mouvement de recul pour réimposer une distance entre vous.

— « Je ne veux pas jouer. »

Pourtant la curiosité te dévore les tripes. Tu veux savoir pourquoi comment, tu veux connaitre toutes les raisons, tu veux qu'il t'en donne une si ce n'est à foison.
Secoues la tête légèrement quand lui te pose la question. La conversation prend une tournure de confidences.

— « Tu ne pourras jamais me donner ce que je souhaite. »

Le pouvoir, tu l'as déjà.
La sécurité, la mort tragique de tout tes ennemis te l'accordera.
La loyauté de Blanche, tu la réassureras.
La suprématie des PIC...

Tu y travailles.

— « Me crois-tu assez naïf pour confier mes secrets au petit frère raté des Moore, famille du capitaine des Acid Smoothie ? »

Tu te lèves brusquement.

— « Contente-toi du peu d'ambition qui t'anime et fais au moins ton travail correctement. »