Tu souris, passe ton crayon sur la feuille pour retoucher la courbe des yeux de la très charmante brune qui requiert ta compagnie. Elle pose, angélique, comme-ci elle était la plus belle des muses. T'as envie de nuancer, muse elle n'en a pas l'étoffe. Tout juste bonne à être dessinée mais ça fait partie du boulot et tu l'as surprenant bien accepté. On ne peut pas réaliser chef d'œuvre sur chef d'œuvre. Au final, t'en étais même arrivé à la conclusion qu'un chef d'œuvre n'était chef d'œuvre que parce qu'il était entouré de merdes sans âmes. Au final, cette demoiselle, aussi insipide soit elle, contribuait malgré elle à la réalisation de quelque chose de plus grand, plus beau. C'est pour cette raison, et uniquement pour cette raison, que tu lui souris.

— Je crois que nous touchons quelque chose.

Elle bat des cils, petite biche qui se veut innocente alors qu'elle est rentrée volontairement dans l'antre de la dépravation.

— Ah oui ? Montre, Jasmin, montre-moi.

Tu lui tournes ton carnet à dessin. Elle s'émerveille face à ce qui n'est qu'un croquis à l'échelle de ton art. La voir se réjouir de si peu t'inspire la douceur condescendante qu'on réserve aux imbéciles et aux simples d'esprit. Tu lui offres son portrait. Un geste pour elle puissant, pour toi insignifiant. Elle repartira dans l'idée d'être une princesse de conte de fée et elle reviendra te quémander pour que tu la dessines encore, lui faire croire que ton crayon n'existe que pour ces moments où tu la figes sur le papier. Tant mieux, ça rendra les Moore satisfait, ta place chez les AS plus légitime et surtout, surtout... Tu réprimes un sourire plus prononcé et c'est là que tu le captes du coin de l'œil. Tu reconnais sa démarche, devines d'ici son air renfrogné. Tu poses ton carnet. Passe une main sur la joue de ta cliente.

— Il me tarde que tu reviennes... La prochaine fois on pourra tester l'aquarelle.

Tu la quittes aux anges, ton carnet sous le coude, ton crayon coincé derrière ton oreille. Tu te glisses, félin à ses côtés, fait mine de prendre ta pause, pas de prétexter le hasard de votre rencontre.

— Je me disais bien que mon radar à Melchior avait sonné.

Tu lui décroches un sourire charmant. Pose ton carnet bien droit sur la table et réajuste méthodiquement tes manches.

— On vient inspecter, boss ?

Laisse glisser le mot sous ta langue. Il te semble qu'il a besoin de reconnaissance et de grandeur, Melchior.

Un sourire mutin étire tes lèvres, lueur rieuse dans le regard. Viens décrocher ton crayon de son perchoir pour le faire habillement tourner entre tes doigts. Tu aimes ce qui n'est pas accessible et Melchior n'est en rien accessible. L'art n'est grisant que quand il vous résiste, impose sa résistance. Un diamant n'est éclatant que parce qu'il est dûr à travailler. Tu t'adosses contre le fauteuil, hausses les épaules.

— Le tien ne t'a jamais informé que c'était le pire endroit pour ne pas avoir de compagnie ?

Tu dépasses les bornes, déjà, tu le sais. Un vouvoiement aurait été de rigueur mais tu peines à encore bien intégrer les bons réflexes hiérarchiques. Tu fronces légèrement les sourcils. Pierce. C'est ton nom. Mais tu ne l'aimes pas trop celui-là. Tu préfères de loin Jasmin. Pierce... Il y avait des fantômes qui portaient ce nom-là.

— Jasmin. Mon nom c'est Jasmin.

Qu'il est sérieux. Avec son visage renfrogné, tu te demandes s'il sait ce qu'est le sourire. L'image d'un Melchior nourrisson et affreusement, sérieux se dessine dans ton esprit. Un bébé au regard lasse au mieux, courroucer au pire. L'image te fait éclater de rire.

Tu balayes du regard la salle, laisses pendre ton bras contre le dossier de ton siège. Tu prends clairement tes aises, le crayon tourne toujours entre tes doigts.

— C'est ma première pause, boss.

Tu soupires, fait jouer un peu tes épaules comme pour te détendre.

— J'enchaîne depuis le début de la soirée non-stop, j'ai déjà ravi une dizaine de clients et clientes, j'en suis à mon ... Tu comptes sur tes doigts. Sixième portrait de la soirée. J'ai déjà plus que gagné ce soir.

Tu fais signe à un collègue pour qu'on t'apporte un verre et tourne ton regard vers Melchior.

— Alors je peux bien perdre un peu d'argent.

Sous-entendu, est-ce que je peux vous offrir quelque chose ?

Pour la première fois, y a du mépris dans ton regard. Qu'on te prenne de haut, toi, Jasmin, ne t'atteint pas. Qu'on prenne de haut ton art, en revanche, l'essence même de ton existence... C'est que c'est la seule chose qu'il te reste. Plus de mère à rendre fière, plus de sœur à protéger. Juste ton crayon, tes toiles, tes œuvres. Ce qu'elles aimaient, ce qu'elles aimeraient encore si elles étaient encore là.

— C'est bien plus que les trois-quart des Host dans cette pièce. J'ai pas besoin d'aller jusqu'à agiter mon cul pour faire claquer une bouteille de champagne aux clients.

Non, t'as pas besoin de t'abaisser à ça parce que t'as bien plus. Quelque chose d'inestimable. Quelque chose que tu pensais qu'il comprendrait.... N'était-il pas un Moore ? N'était-il pas l'essence des AS ? Les AS n'étaient-ils pas cette toile anarchique et belle ? Te serais-tu trompé de cible ? Aurais-tu vu du potentiel là où il n'y en avait pas ? Tu fronces les sourcils, contrarié, incertain. Non. T'as pas pu te tromper. Impossible. Tu le sais, tu le sens. C'est dans tes os, dans toutes les fibres de ton corps tu es là où tu dois être. Et lui... Tu ne t'es pas trompé non plus. Tu as décidé que tu ne pouvais pas te tromper. S'il ne vient pas à toi tu viendras à lui, tu lui feras avouer, tu lui feras reconnaître. Parce que tu n'as pas pu te tromper.

— J'étais parti pour juste de discuter mais je crois la conversation a pris à autre tournant...

Tu maintiens son regard avec défi. L'éclat d'un intérêt nouveau dans le regard, d'une nouvelle obsession. Tu ne recules pas quand il se penche, finit par sourire, insolent.

— Tes faveurs, boss, je n'ai pas besoin de les chercher.

Ton crayon s'arrête de tourner. Tu laisses passer quelques secondes, exactement comme il l'a fait.

— Mes actes parleront pour moi, tu finiras par me les donner parce que tu n'auras pas d'autre choix.

Parce que tu es le meilleur, parce qu'il n'y a que toi pour rendre cet endroit, cet homme, ce groupe d'une beauté sans pareille. Ton verre arrive, tu le prends, trinques dans le vide vers lui avant de boire une gorgée. Tu t'enfonces un peu plus dans ton siège, à aucun moment ton regard ne l'a quitté. Ça se voit, ça se sent, tu as pour lui un intérêt nouveau. Un intérêt que tu partages pour peu de monde.

— Je te parie que je peux gagner ton respect et ça sans roucouler comme ils le font tous ici, juste en étant moi.

Sourire provocant, l'excitation te gagne comme à chaque fois qu'un nouveau challenge se présente à toi. Parce qu'il faut croire que tu aimes la gagne, Jasmin.

— Mes portraits sont exceptionnels, mais je sais faire plein d'autres choses aussi. Un buste à ton effigie, peut-être ? Ça rendrait drôlement bien dans ton bureau. Les aînés importants ont toujours des bustes ou des portraits immenses...

Il ignore tes propositions pour imposer ses propres convictions. Tu ne peux pas dire que tu approuves, ni que tu désapprouves. T'aimes pas l'échec, Jasmin. Peut-importe la passion et la beauté de l'aventure, si le résultat n'est pas perfection alors il ne vaut rien. Mais résumer une œuvre à sons seul résultat final ne te satisfait pas non plus. Car ce serait aisé de détruire ce petit gang, en vérité. Quelques accidents, quelques manipulations. La maison est pleine de fissures malgré ses tentures de luxes et son mobilier de qualité. Mais ce ne serait pas drôle, ni satisfaisant. Ce serait un boulot bâclé et ça n'ira pas te satisfaire, jamais. Tu secoues la tête, viens passer ton bras derrière ton siège, nettement plus à l'aise que lui. Ton regard se fait plus sérieux (vide), quand tu fixes tes chaussures. Une impression inédite depuis le début de la conversation.

— Je ne suis pas d'accord.

Tu ne prends pas la peine de le regarder. D'un coup c'est comme-ci c'était pour toi que tu parlais.

— Y a que les imbéciles qui se satisfont d'un résultat positif avec un boulot bâclé.

Tu relèves la tête, ton sourire insupportable qui reprend sa juste place.

— Et t'es pas un imbécile, boss.

Audacieux, stupides aussi. Tu ne doutes pas que dans sa tête les deux qualificatifs sont à égalité te concernant. Tu portes ton verre à tes lèvres, souffles du nez. Ah, cette chère Astrée. Ainsi donc elle n'avait pas perdue de temps pour confier ses craintes.

— Ta sœur ne m'aime pas parce qu'elle n'a pas le monopole de l'accès à ma tête.

Un fait. Tu balances ça comme-ci il n'y avait rien de plus normal.

— Et toi tu ne m'aimes pas parce que je suis une incohérence sur patte.

Extravertie, pourtant si psycho-rigide. Qui parle beaucoup, mais ne donne accès à rien. Qui sème son bazar et ses couleurs mais hurle de frustration quand on dérange de ne serait-ce que d'un millimètre son espace.

— Alors plutôt que de me juger de loin comme Astrée le fait, pourquoi ne pas essayer de vraiment découvrir si je suis une fraude ou non ?

Tu lui adresses un sourire sarcastique.

— Tu as tout à y gagner et moi j'ai tout à perdre. Mais, j'aime bien ta compagnie. Tu m'as toujours semblé être le plus intéressant de la fratrie.

Tu fixes le plafond, idiot. Viens attraper une mèche de tes cheveux au-dessus de ton front et la triturer entre tes doigts comme un enfant dissipé. Tu réfléchis en réalité, tu savoures, en vérité. Comment du coin de l’œil, il s’avachit sur son trône. Tu réprimes un sourire, fais la moue à la place.

— Hm, c'est pas tant pour cacher des trucs que me protéger des autres.

Tu fixes un peu plus le plafond.

— Me faire planter ou démembrer ne me fait pas flipper plus que ça, mais je n'aime pas l'idée que certains puissent juste avec leur tête me faire du mal... Je suppose que ça fait de moi quelqu'un de très douillet psychiquement.

Tu lui souris, arrêtes de triturer ta mèche pour le regarder comme-ci tu venais de balancer une bonne vanne. Il semble se détendre, au fond de toi ça fait gronder la jubilation. T'as malheureusement rien à lui offrir, à Melchior. Te viens l'idée de mentir, de lui dire qu'il aura gagné ta loyauté. Mais c'est des conneries, ça Jasmin. Tu n'es loyal qu'envers ce qui a du potentiel à être sublimé entre tes mains. Et, quelque part, non, tu n'as pas envie d'être loyal. Ça fait peur. Ça fait mal. T'as encore le visage fatigué de ta mère qui te hante le soir. Alors te viens à l'esprit que tu n'as qu'à lui dire qu'il y gagnera ce qu'il voudra. T'ouvres la bouche, quand soudain des cris retentissent au loin. Le début d'une bagarre.

Tu hausses un sourcil, tournes la tête, sifflé impressionnée. Et bah, il en faut, du cran pour se bagarrer en plein service. Le trio de combattant se déplace furieusement dans la salle à coup de grognements et de coups-de-poing. Ça vient se percuter contre la table, tout renverser dans un bruit de fin du monde. Ça vient gâcher ton moment privilégié avec Melchior. Tu fronces les sourcils, soudain fâché.

— Tss.

Tu te lèves, réajustes, comme toujours, ta tenue. Tu t'approches des trois silhouettes, sévère. Quand soudain ton regard dérive sur ton cahier qui jonche le sol. Dans la rixe, ton bien s'est retrouvé projeté au sol, souillé par l'alcool et les miettes de bouffes. Il est déchiré, abîmé en b o r d e l.

Tu t’accroupis silencieusement, prends ton carnet avec autant de délicatesse et de douceur que quand on porte un enfant. Tu le fixes quelques secondes alors que ton visage se déforme peu à peu. Ton esprit vrille peu à peu. Ton sanctuaire. Ton ordre. Ton environnement. Saccagé. Détruit. E n c o r e.

Ton poing s'abat en pleine face contre le nez d'un des attaquants. Craquement sonore et douloureux qui hante la pièce alors que musique a été coupé et que les regards se sont tournés vers vous.

— .... Comment vous osez foutre le bordel, faut vous remettre les idées en place.

Second poing qui s'abat profondément dans le ventre du second, toux horrible qui le prend.

— En plein service, au milieu des clients... Devant votre patron...

Le troisième tu viens lui saisir le crâne pour l’assommer contre le sol.

— Et ça vient niquer les affaires des autres en jouant les gros bras.... Qu'est-ce qui va pas dans vos crânes, hein ?

Tu les fixes. Ah. Aaaaaah. T'as la même envie, le même besoin que devant papa, papy et mamie. Le besoin de nettoyer, le besoin d'occire. Tu as envie de repeindre leurs gueules en rouge, d'en faire une œuvre abstraite. C'est si dur de résister. Mais tu sens les yeux de Melchior sur toi et tu te rappelles où vous êtes. Tu te mords la lèvre, fermes les yeux, desserrent les poings.

— Mesdames et messieurs, pardonnez l'attitude de ces trois gaillards, on va régler le problème de ce pas. Ludwig, Alphonse, vous voulez bien me filer un coup de main ?

Tu adresses un sourire à tes collègues te tourne vers Melchior.

— Ils ont foutu un sacré bazar dit donc ! Que veux-tu que je fasse ? Je les amène à côté et on règle ça ? On les vire tout simplement ? Ah, il faudrait nettoyer tout ça ahlalala.

T'évite tout contact avec ton carnet. Sa simple vu te file un haut-le-cœur. Il suffit de t'observer pour remarquer qu'en le croisant du regard la colère semble prendre le dessus de nouveau.

Qu'est-ce que c'est ?

Tu écarquilles les yeux, bouffée de panique soudain. Tu as horreur qu'on touche tes affaires, horreur qu'on regarde sans que tu ne l'autorise horreur qu'on juge. Et ça te terrifie, qu'il puisse juger. Pas qu'il découvre ses traits crayonnés sur les feuilles, pas qu'il découvre les différents angles où tu as capté son visage, pas qu'il découvre les portraits féminins qui reviennent (ta mère, ta sœur), juste qu'il voit. Une entrée violente de ton intimité. Malaises. Tu deviens blanc comme un linge.

— S'il te plaît ne touch-

Il lance le carnet, ton regard ne capte que les flammes aux loin et tu imagines déjà ton carnet brûler, se consumer, ses feuilles disparaître sous tes yeux, petit à petit, dévoré par le feu. Il ne risque pas de tomber aussi loin, pourtant toutes pensées rationnelles te quitte. Tu le pousse plus violemment que tu ne le devrais, te jettes à terre. Dans ton élan, c'est toi qui frôles la chaleur meurtrière des flammes, ça fait roussir dangereusement la manche de ton costume mais tu t'en fiche. Tu étreins ton bien contre ta poitrine. Il est sale, gâché, inutile désormais. Mais c'est à toi, à toi, à T O I. C'est tout ce qu'il te reste.

— Et toi t'as pas autre chose à foutre de tes journées que de jeter les affaires des autres ?

L'espace d'un instant tu le regarde comme-ci il n'était plus Melchior, comme s'il n'était personne. T'as l'air fâché, blessé aussi. Tu te relèves, ton carnet toujours contre toi. Ça ne dure l'espace que d'une seconde. Tu fermes les yeux. Comme avec les autres tu tempères ta colère. Non. Pas lui. Pas avec lui. Tu ne dois pas. C'est que tu te montres trop conciliant avec tes muses, Jasmin.

— ... Désolée. C'est important pour moi.

Tu soupires, relèves les yeux vers lui.

— Pourtant, c'est ses mêmes gribouillages qui font tourner ta boutique.

Tu t'avances de quelques pas vers lui. Penche la tête.

— Tu n'aimes pas tes portraits ?

Pourtant, c'est ici qu'il vient poser son cul le plus souvent. L'ironie t'écorche la gueule, seulement t'as promis d'être son ami. C'était le but. C'était ce que tu voulais. Melchior était différent des autres Moore. Tu en étais sûr, tu ne pouvais pas te tromper.

Ton art est grossier.

Tu écarquilles les yeux. Ah. Non. Tu ne dois pas. Il n'a pas le droit. Il n'a pas le droit de baisser dans ton estime comme ça.

— Je suis... Déçu.

Tu lui en veux. Tu es furieux. Comment il peut décevoir tes attentes ? Comment il peut assez point chuter de son piédestal ? Il était censé être spécial. C'est parce qu'il était spécial que tu voulais le comprendre, l'apprendre. Non. Non. Non. Il n'a pas le droit. Tu as tellement besoin de ça. Il n'a pas le droit. Tu ne lui laisserais pas ce droit.

— Mon art est grossier, tu dis ?

L'insulte roule sur ta langue et tu t'avances. Il peut de regarder de haut, mais tu le regardes avec un mépris certain. Pas toi, Melchior, pas toi.

— Et que connais-tu de l'art ? Hormis tes fantasmes ? Je crois qu'à trop poser ton cul sur les sièges du sunset tu t'es oublié. Je te pensais différent... Intéressant...

Si près, maintenant. Il suffirait que tu tendes le doigt pour le toucher. Tu l'observes une seconde, point d'effet tentateur dans la façon dont tu brises toutes les règles de bienséance. C'est qu'il a réussi te faire te montrer tel que tu es vraiment. Obsessionnel. Mauvais perdant. Non, tu ne t'étais pas trompé. Melchior est ta muse, l'un des rares élus. Il n'en a juste pas encore conscience. Il ne s'en rend pas encore compte. Le pauvre. Il va lui apprendre. Tu souris.

— Mais il est encore temps de tout rattraper.

Tu le toises, déterminé. Obsession, obsession, obsession. Il n'y a que lui dans tes yeux et tu crois qu'il aimera ça. Parce que t'es intimement persuadé que Melchior est le vilain petit canard qui aime se faire voir.

— Mon art est grossier. J'aurai beau te dire le contraire tu n'iras pas me croire. Alors je vais te donner tort autrement. Je vais te prouver que mon art n'est pas grossier.

En ce moment il n'y a que lui, que lui, que lui, que lui.

— Ordonne que ma soirée de travail est fini et je te montrerais. Je vais te faire un portrait comme tu n'en a jamais vu.

Il a l'air excédé, pour autant, ça ne t'apaise en rien. Quelque part, peut-être juste reconnaissant qu'il ne te frappe pas, même si ça non plus, t'es pas bien sûr que ça t'importe. Il se pince l'arête du nez, dit que tu en fais des caisses. Très certainement, seulement c'est lui, c'est de sa faute. Il n'avait pas car te dire des horreurs il n'avait pas car te décevoir. Il paye ses manques et t'as aucune culpabilité pour ça.

— C'est comme-ci j’insultai ton travail, Melchior. Je pense que tu n'apprécierais pas beaucoup non plus.

Tu croises les bras contre ton torse et il cède. Tu hausses un sourcil, l'air de dire "vraiment ?". Tu aurais parié sur le fait qu'il t'envoie bouler, qu'il te jette comme un malpropre. Tu t'attendais à devoir ramper pour lui arracher le droit de lui prouver ses torts. Enfin, tu n'iras pas t'en plaindre, c'est que tu avais du travail toi aussi et trop peu d'heures à gâcher dans la quête de son attention.

— Si je ne t'arrache pas un compliment tu pourras bien m'ordonner tout ce que tu veux que je le ferai avec un grand sourire et un "merci monsieur".

Tu lui désignes du menton la sortie.

— Alors ne perdons pas de temps.

Tu lui tends le bras, un sourire insolent aux lèvres.

— Si monsieur veut bien me suivre, c'est par ici.

Tu vous conduit dans des couloirs qu'il doit bien connaître. Tu as pris ta chambre au QG pour des raisons de praticité d'une part, de crédibilité d'une autre. Tous qualifieraient de stupide un espion qui à son pied-à-terre en plein territoire ennemi. Trop de risque. Trop de regards tourné vers soi. Pourtant, cette piaule que tu payais une fortune faisait partie intégrante de ta parfaite couverture. Tu enfonces tes clés dans la porte, laisser Melchior entrée le premier avec toute la galanterie dont tu es capable. Une fois la porte fermée tu allumes la lumière, retires ta veste pour la déposer le plus soigneusement du monde sur le porte manteau. Ta chambre est un véritable cabinet de curiosité, d'une organisation sans pareille. Partout s'entasse ton art aussi diversifié qu'unique. Des toiles, des sculpture, des dessins. Tu lui désignes la pièce.

— Ça n'a probablement pas la gueule d'un musée terrien mais je t'en prie, découvre, observe. Je vais chercher mon matériel.

Tu vas fouiller dans le coin de la pièce, sortir une toile vierge que tu montes d'un geste expert. Tu n'es pas charmeur comme en bas. Tu es concentré, passionné. Tu reviens vers lui, pose la toile.

— Pose-moi toutes les contraintes que tu veux, toutes les questions que tu veux aussi. On n'en aura pas fini pour ce soir, je préfère te prévenir.

Tu le regardes, un sourire qui n'augure rien de bon.

— Il va donc falloir qu'on se revoit en tête-à-tête encore un peu.