Jasmin a l'immaturité de comparer l'incomparable. Aussi de présumer que tu as la même sensibilité que lui. Il peut bien insulter ton travail... c'est parce que tu ramènes de l'argent dans les caisses que le Sunset peut mettre le budget et entretenir toutes les poules en or qui se pavane dans l'hosting club. Où croit-il se faire un salaire indécent pour s'acheter tous le luxe qu'il affiche pour séduire les pigeons de Venus Ville ?

— « Je n'apprécierai sans doute pas, mais... ce que je fais, je le fais bien. Et je ne ferai sûrement pas ma dramaqueen comme tu le fais depuis tout à l'heure. »

Le pacte qu'il scelle avec le diable sans s'en rendre compte t'arrache un ricanement sincère.

— « Tout ce que je veux ? Ne joue pas à ça avec moi Jasmin. Tu pourrais te retrouver à nager dans les égouts plus vite que tu le penses. »

Mais tu te prends à son jeu quand même. Tu râles beaucoup, souvent à coup de sarcasme et de mépris, mais tu te laisses tenter comme Adam face à ses Eve(s) - et Jasmin te promet du rêve. Il a intérêt à assurer.

Une fois arrivé dans le studio, tu observes et juges silencieusement l'organisation presque maladive que transmettent les expositions installées un peu partout dans la pièce.
Tu t'assois sur le siège qu'il désigne et joins tes mains, les bras sur tes cuisses écartées. Tu es un peu penché vers l'avant, le regard sévère et la mine sombre.

— « Je vois. Serait-ce un piège habile pour me faire revenir ? »

Tu n'es pas sûr d'être à l'aise. Certain même. L'idée qu'il puisse te rater est omniprésente dans ton esprit étriqué. Tu as peur de voir tes échecs sublimés.

— « Ne te rate pas. Si tu ne veux pas que je le jette au feu, tu sais ce qu'il te reste à faire. »

Il a l'air différent, Jasmin. Tu ne sais pas si tu te sens à l'aise avec ce changement brutal de comportement mais tu fais avec. Tu ne dois pas bouger, te fait illustre modèle pour ce qu'il essaie de te vendre comme merveille. Tu crains qu'il dépeigne tes fragilités, quand tu souhaiterais qu'il mette en avant ta force.

Impérial sur ton siège que tu as conquis comme un trône, l'artiste pose genoux à terre pour se saisir de tes mains. Tu es troublé, légèrement gêné (et ça se voit sur ton visage marqué) quand il te complimente. Tu tires ta main et fronces les sourcils.

— « Doucement le peintre. Je ne suis pas ta belle. »

Personne ne t'a jamais qualifié ainsi. On te craint ici, mais lui veut te tailler dans la toile. Tu te laisses bercer par les coups de crayon, alors qu'il fait s'écraser le fusain noir sur l'immaculé.

— « T'es putain de dérangé. »

La tête dans ta main, le bras sur l'accoudoir du siège, tu attends et le laisses faire, non sans chercher à capter son regard à des moments. C'est ça en fait, il est dérangeant.

Magnifique, belle, c'est la même chose pour toi. C'est un attribut qu'on associe à une femme dans tous les cas. Mais tu ne le contredis pas, manquerait plus qu'il te rate si tu rentres pas dans son délire d'artiste fou. Tu te contentes d'attendre, non sans l'observer avec intensité lorsqu'il débat sur votre insanité.

— « Ce n'est pas dur d'être moins taré que les Moore. C'est connu. »

Et pourtant... tu lui décèles une folie réservée - le genre de personnalité qui pourrait éclater à n'importe quel moment, souvent sous le joug d'une frustration trop longtemps ignorée.

— « Mais ne me fais pas croire que t'es juste un chic type qui n'a rien à se reprocher. »

Les yeux mi-clos, tu le détailles avec moins de pudeur. Il a des airs de gonzesses, c'est ça qui te met mal à l'aise tu crois.

— « Hm ? Déjà ? »

Tu ne comprends pas de quoi il s'agit.

— « Ce sont les traits c'est ça ? »

Tu grognes pour seule réponse à ses propos. Tu n'aimes pas les beaux parleurs, ils te font penser à Gale - ils te rappellent à quel point il était idiot de s'accrocher à ses rêves et de foncer jusqu'à les perdre. Jasmin est une tâche d'huile sur son propre tableau, il essaie désespérément de te convaincre mais celui qu'il cherche à impressionner au final c'est lui-même.

— « Tu n'as aucune idée de ce que tu es vraiment en fait hein... »

T'as toujours eu pour seul talent social d'analyser les autres. Pas pour les comprendre, ah non ! Mais pour déceler leurs peurs et leurs doutes, les utilisant ensuite contre eux pour mieux les écraser et les dominer. Voilà ce que tu es toi.

— « Doucement.. »

Il tourne la toile pour te montrer l'architecture. Tu fronces les sourcils, peu enclin à te projeter sur un résultat final. Tu plisses les yeux et approches ton visage vers l'avant pour mieux le détailler.

Et puis... Jasmin pète un cable. Il s'approche de toi, pense que te regarder aussi intensément lui donne l'autorisation pour te toucher. Sa main sur ta joue, tu ne réagis pas tout de suite. Tu l'avais laissé faire l'histoire de quelques secondes pour l'écouter, sidéré, avant de choper son poignet pour le tirer vers toi. Vos souffles qui se mêlent, tu grondes entre tes lèvres.

— « Qu'est-ce que tu crois faire fils de pute ? »

Tu tords son poignet et le jettes au sol, non sans le lâcher pour autant. Tu appuies ta semelle sur son dos tout en maintenant son bras étiré. T'es furieux Melchior.

— « Garde tes distances. Agites tes airs de chatte en chaleur avec quelqu'un d'autre. »

Tu saurais pas dire pourquoi ça te dégoute autant.
T'as peur qu'il montre à tous ce que tu refuses de voir - tes troubles latents.

Le calme qu'il s'impose face à ta violence te heurte de plein fouet. Tu prends ça pour de l'arrogance, parce que tu serais incapable de rester maitre de toi même dans une situation pareille - si les rôles étaient inversés, tu aurais déjà sacrifié ton bras dans l'unique but de te dégager. Mais est-ce qu'il en est seulement capable, de s'abandonner complètement pour gagner, pour écraser, pour avoir raison et porter ses convictions au sommet de sa toute puissance ? Tu n'es pas prêt de voir qu'il l'a déjà fait.

— « Je pourrais te demander la même chose. »

Tu serres un peu plus ta prise quand il te demande de te lâcher. S'il veut recouvrer la liberté, il n'a qu'à te la prendre de force. Tu ricanes quand il parle du grand patron.

— « Caelus peut bien avoir la main mise sur tout le monde, il nous laisse nos propres jouets. »

Et le terme est volontairement humiliant. Tu te figes lorsqu'il ose encore ouvrir sa grande gueule. Tu sens ton nez se froncer, ta cicatrice te fait mal. Tu n'as pas peur putain ! T'es tellement en colère. Et à force de l'exprimer de la pire des manières, tu te laisses aller. Tu la laisse se diffuser dans ta force quand tu serres encore plus.

— « Tu veux voir de la peur ? »

Brusquement, tu bascules son poignet dans le sens inverse de son articulation, lui casses dans un craquement qui sonne aussi injuste que l'absence de procès.

— « Elle va de paire avec la souffrance. »

Il pleure comme un animal blessé, se tords pour mieux se recroqueviller. Tu voulais voir de la souffrance et tu vois de la faiblesse. Dans ses yeux courroucés par le vice, tu devines du mépris - et ce sentiment te heurte avec violence. Tu l'as souillé par ego, et les mots qu'il te vomit avec défiance font trembler les murailles érigées par ta fierté. Tu te sens con, con et inhumain.
C'est pourtant dans cette bêtise que tu l'es profondément ((humain)).

— « Différent de qui ? »

Tu répètes en criant, maintenant son poignet cassé entre tes grands doigts marqués.

— « DIFFÉRENT DE QUI ? »

Il ne veut pas être un jouet, tu es devenu la brute sans intérêt. Tu ne sais pas pourquoi ça t'énerve autant Melchior, d'avoir perdu de ta superbe dans son esprit cloisonné. Tu n'as aucune idée de ce qu'il pense, aucune idée de ce qui se cache derrière la haine qu'il te projette.

— « Je ne suis pas différent des hommes. C'est toi qui a placé des attentes, restes avec ta déception. »

Tu le lâches et recules. Récupères ton manteau pour le garder sous le bras. De haut, tu le toises et l'enjambes.

— « Tu finiras ce tableau. Et s'il ne me convient pas je te casserai l'autre poignet. »

Dessine-moi comme la pire des créatures ou comme le meilleur des hommes.
Et tu claques la porte derrière toi, lui laissant méditer la plus douce des menaces que tu pouvais lui faire. Vous vous reverrez.