Un café de la Butter Avenue
Fin février

La voix de Duke lui arracha un frisson qui courut le long de sa colonne vertébrale. L'image de son cadavre la hantait, comme s'il s'agissait de lui, comme s'il avait remplacé l'autre, et toutes les nuits à errer dans le noir, l'angoisse parfois éclairée par des lampadaires froids. Toutes les nuits à se rappeler qu'elle les avait laissés partir, et qu'elle avait trahi les siens, qu'elle avait trahi Solar. Trop de cadavres et seulement deux mains, qui tremblaient d'être de sang peintes.

La main de Cosmo sur son bras la ramena à elle, et une émotion l'étrangla, en voyant son visage se décomposer, ses muscles l'abandonner, son regard s'effacer. Avec le dos de sa main libre, elle essuya vulgairement le sang qui passait sur ses lèvres, et resta interdite quelques secondes, les informations fusant du côté de Cosmo puis de Duke.

Elle leva les yeux vers la fiole qu'il agitait dans sa main. Ses iris s'illuminèrent, mais elle abandonna l'idée bien vite quand elle sentit ses forces la quitter. Quand bien-même elle serait parvenue à se téléporter pour attraper la fiole, Duke était alerte et Ceres était affaiblie. Elle ne serait pas parvenue à la lui arracher. Et il avait raison quant à l'état de Cosmo. Un regard lui suffit à comprendre qu'une téléportation l'achèverait. Elle devait répondre, vite.

Très bien.

Adressa un regard à son ami (le croyait-elle encore), qui lui signifiait en silence qu'elle était désolée, avant de reposer son attention sur Duke.

Qu'est-ce que tu veux ? Une requête claire, précise, et à laquelle je sois en mesure de répondre.

La voix ferme, autoritaire. Elle le voyait venir, avec ses idées farfelues, à lui demander la lune et pourquoi pas la Terre.

J'y répondrai. A condition d'être certaine qu'il ne craigne plus rien après avoir ingéré… ça. Quoi que ce soit. Parle.

Un café de la Butter Avenue
Fin février

COSMO !

Sa voix claqua dans l'air lorsque Cosmo se jeta sur la table, se jeta sur Duke et le traversa de sa main. Son cœur se serra, sa gorge nouée, et elle resta en suspends, nourrissant l'espoir naïf que cela suffise à faire perdre pieds à son adversaire. Mais passée la stupéfaction, il s'en était tiré en bousculant à peine quelques chaises, et le poison commençait à engourdir le corps du second - de plus en plus, à mesure qu'il s'agitait d'ailleurs.

Ceres s'était approchée de lui, leva une main à son visage, inquiète. Elle avait enfin osé un contact, après des semaines à lui adresser à peine la parole. Son autre main s'était posée sur son bras. "Est-ce que tout va bien" était une question stupide à en témoigner par son état - il avait déjà repoussé les limites bien au-delà de la condition humaine, et le vœu la faisait souffrir. Elle espérait que les autres ne tarderaient pas trop à arriver.

Est-ce qu'il y a une autre solution ?

Mais déjà Duke reprenait la parole, et elle se sentit sous pression. La tête lui tournait, elle devenait sourde à tout le reste. Il n'y avait que la voix de Duke qui l'oppressait.

Je vais compter jusqu'à trois.

Un murmure traversa ses lèvres.

Cosmo.

Elle serra les mâchoires.

Un...

Elle avait toujours trop compté sur les autres. Sur son ex-mari, sur Solar, sur Cosmo. Elle attendait qu'ils la sauvent, systématiquement, attendait qu'ils lui donnent des réponses, qu'ils lui disent quoi faire. Et si cette attitude lui avait valu de tous les perdre, elle refusait de perdre Cosmo par manque de courage, ou par indécision.

Deux...

Désolée. murmuré près de lui.

Je sais que tu n'approuveras pas mon choix.

Sa voix cria.

STOP !

Elle se retourna brusquement vers Duke, leva ses deux mains en signe d'abdication.

Très bien. Je viens.

Elle avança vers lui, lentement, lui tendit une main, attendait qu'il s'en saisisse.

Dépose la fiole sur la table.

Elle attendit qu'il s'exécute, et ses yeux s'illuminèrent. Elle adressa un regard à Cosmo, et s'assura que Duke ne voit pas son autre main, plongée dans sa poche.

Et avant qu'ils ne disparaissent dans ses éternelles particules de lumières, Ceres jeta les clés de son appartement par terre.

Éventuellement, il trouverait des réponses là-bas.
Dans les milliers de carnets griffonnés, toutes les informations récoltées par Ceres en bazar, empilées dans une chasse aux trésors dans le bureau de son ex-mari qu'elle n'avait jamais eu le cœur de vider.

Ceres et Duke, quant à eux, avaient disparu.
La fiole sur la table, les clés au sol, Cosmo solitaire - au grand regret de Ceres.