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Une fois le téléphone rangé dans son sac et une robe enfilée rapidement, Blanche s'était mue en dehors de sa chambre sur la pointe des pieds, ses chaussures dans une main, veillant à ne pas réveiller son frère qui dormait. Dans le plus grand silence, et refermant la porte avec prudence, elle s'esquiva à sa nuit, descendit tranquillement dans l'ascenseur en enfilant ses escarpins.

Lorsqu'elle fut sortie, la voiture de Samael ne mit pas longtemps avant de se déclarer. Un sourire gravit ses lèvres, et elle s'invita immédiatement à l'intérieur, n'attendant ni qu'il sorte, ni qu'on lui ouvre la portière.

Tu ne me déçois jamais, Samael. Je ne dois jamais t'attendre très longtemps.

Elle lui adressa son attention toute entière, le regard épousant son visage et ne le quittant pas, comme hypnotisée, comme elle faisait chaque fois. Elle avait compris, à cause de sa trop envahissante empathie, que c'était ainsi que Samael aimait être aimé. Tout entier, et sans manquer une miette.

Il n'y a pas de bar près d'ici, mais ton chauffeur peut nous amener à quelques rues plus loin, je connais une adresse.

Elle pencha la tête sur son épaule.

Avoue que je t'ai manqué.

Un large sourire au bord des lèvres, taquin. Elle se rattrapa bien vite, ne lui laissant pas le temps de s'insurger, avant que sa voix ne se lève à nouveau, plus douce cette fois.

Parce que toi tu m'as manqué.

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Lovée dans le fond de son siège, penchant la tête légèrement pour mieux accueillir Samael au-dessus d'elle, elle fit grimper sa main près de la sienne, ses ongles dessinant des formes invisibles sur ses doigts. Un rire l'habilla doucement.

Personne n'est aussi intéressant que toi, Samael.

Elle leva un peu les yeux vers lui, sans pour autant le voir, toujours niché au-dessus de sa tête. La proposition qu'il lui faisait l'avait réellement interpellée.

Hm.

Elle hésita, sincèrement, quelques secondes.

Pas tout de suite.

Mais elle n'écarta pas la possibilité de faire appel à ses services, maintenant qu'il les avait mis à sa disposition.

J'ai encore besoin de lui pour le moment. Il ne s'agit pas uniquement d'argent.

Elle se pencha rapidement en avant, indiqua du doigt une rue au chauffeur, précipitamment, comme une enfant, s'extirpant soudainement du contact avec Samael, avant de se retourner vers lui, un sourire aux lèvres.

Et puis ce sera plus rigolo s'il est en vie.

Elle fit retourner sa main sur la sienne, habitée d'un enthousiasme certain, comme si pour la première fois elle pouvait partager son excitation par rapport à toute cette situation.

Si tu avais vu la tête de Cecil la première fois qu'il l'a rencontré.

Un soupçon d'aveu au bord des lèvres.

Tu sais que je me battrais pour toi, Samael, pas vrai ? Je tuerais pour toi. La première peste insipide qui se permettrait de prendre ma place à tes yeux, je lui exploserais la cervelle à quatre reprises, pour être sûre qu'elle erre à jamais.

Elle passa une main sur sa joue, un sourire dément déformant son visage pourtant radieux. Elle n'avait pas besoin de sa faculty pour pouvoir ressentir ce qu'il ressentait, car elle était la même.

Et j'ai soif qu'on tue pour moi de la même manière. Les voir se battre, se disputer, se regarder de la manière dont ils se regardent...

Elle n'ajouta rien, certaine qu'il avait compris. Elle fit signe au chauffeur de s'arrêter, et s'extirpa de la voiture, en s'exclamant.

Tiens, on est arrivés, c'est là !

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Elle virevolta comme une princesse, un rire aux lèvres, candide, et elle se lova contre lui, le bras accroché au sien. A les voir d'un œil anonyme, ils avaient toujours eu l'air d'un couple, complice, proches, tactiles - mais ils l'étaient justement car aucune pensée de ce genre ne les traversaient, que tous ces gestes ne témoignaient d'aucun sentiment romantique. Blanche avait tant pris l'habitude de mimer ces gestes qu'ils étaient devenus automatiques, et pouvoir s'y retrouver avec quelqu'un qui ne le prenait pas pour des signes lui faisait le plus grand bien - l'autorisait à exister avec ses travers, quels qu'ils soient, car Samael avait les mêmes.

... Pas une femme.

Elle répéta, autoritaire, pour assumer qu'il n'avait même pas le droit de revenir sur sa parole. Ce n'était pas qu'elle approuvait - c'est qu'elle n'aurait pas accepté les termes autrement.

Hm. Il ne peut pas être "un peu" spécial. Il doit être l'exceptionnel. Magnifique et parfait ou rien du tout. Un genre d'idéal, parce qu'on ne peut rien exiger de moins pour quelqu'un comme toi.

Ils s'installèrent à une table à deux, et elle regarda la carte des cocktails, avant de la refermer dans un bruit claquant, la déposant avec énergie sur la table. Rares étaient ces moments où elle pouvait exploser de toute l'électricité qui la parcourait en permanence, et en ça, Samael lui avait vraiment manqué.

De toutes façons, personne que je n'aurai pas approuvé. Et si mariage il doit y avoir, je suis ton témoin. O-bli-gé.

Elle posa les coudes sur la table, avança son visage vers lui, posé sur ses mains en cœur.

A qui penses-tu donc, Samael ? Ton cœur est tout agité. Il y a déjà quelqu'un et tu ne m'en as pas parlé. Inadmissible ! Et après c'est moi qui te fais des secrets ? L'hôpital qui se fout de la charité.

Avec un intense sourire, et un regard plein de complicité.

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Les secondes s'écoulèrent en respectant un silence mortuaire. Un frisson parcourut son dos le long de sa colonne vertébrale et un vertige grimpa jusqu'à ses tempes. Le prénom de son frère en écho contre les parois de son crâne ne cessait de lui faire perdre pieds.

C'était forcément lui ; il n'y avait que lui ; toujours que lui.
Blanche n'avait jamais été ouverte à partager son frère - aucun des deux d'ailleurs.
Ni Cecil, ni Romeo, ni Samael qu'elle pouvait considérer à hauteur d'un jumeau. Ils se savaient.

Mais à le considérer comme sa famille, elle eut un instant d'écœurement à l'idée de les voir roucouler ensemble. Un instant à se rappeler quelles sensations l'avaient elle-même habitées à l'égard de Cecil, quelques jours auparavant.

A cette pensée, immédiatement, Blanche devint livide.

C'est bien.

Et froide.
Fébrile.

Si elle se serait, jadis, permis d'étaler sa jalousie et ses insécurités, le sentiment de ce soir-là l'empêcha toute forme de possessivité envers Cecil. Voulant se persuader que ça n'était pas elle ; qu'elle n'était pas amoureuse de lui ; qu'elle n'avait pas de désir pour son frère.

Mais Cecil n'est pas homosexuel.

Dénuée de toute forme d'émotions, déconnectée de toute empathie, isolée à l'intérieur d'elle-même, mortifiée par le seul souvenir de ces sensations malsaines.

Elle ne regardait plus Samael, le regard mort, absent.

A mon grand regret.

Et un rire nerveux se déclara à ses lèvres, voulant se décarcasser de cet état dans lequel elle avait plongé, voulant se débarrasser du souvenir - de cette nuit maudite qu'elle préférait oublier.

Tu imagines ? Tu aurais pu vraiment être mon frère.

Elle ponctua sa phrase d'un rire crispé, prétendant que ça ne lui faisait rien ; ou qu'en tous cas elle l'aurait accepté aussi facilement ; évitait soigneusement d'avoir l'air de vouloir son frère rien que pour elle - là où elle l'aurait fait sans honte et sans gêne auparavant.

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Quand bien-même elle s'était isolée à l'intérieur d'elle-même, aucune empathie n'était nécessaire pour comprendre les lacérations qui avaient soudainement tranché l'ego de son alter. Ainsi appelée par la nécessité évidente de corriger le tir, Blanche releva son regard sur lui, inquiète d'avoir fait des dégâts à la seule personne à qui elle ne souhaitait jamais en faire.

Avec Samael, il n'avait jamais été question de manipulations ou de larmes de crocodile. Les pensées brutes transformées en mots sans jamais subir aucune transformation - c'était pour ainsi dire le seul avec lequel elle ne travestissait pas ses travers, ne les embellissait jamais. Et même aux yeux de Samael, ce qui la hantait était inavouable.

Elle serra les mâchoires et secoua la tête.

Je me suis braquée, mais ce n'est pas ce que tu crois.

Elle soupira, et ses yeux prirent la fuite vers le bas, ses mains s'agitant sous la table, près de ses cuisses nerveuses.

Je suis sincère, Samael. S'il y a une seule personne que j'accepterais aux côtés de Cecil, ce serait toi. Ce n'est... pas ça le problème.

Elle semblait se refermer sur elle-même à mesure qu'elle parlait, et un rire sarcastique déforma son visage.

Si j'avais voulu te faire une crise de jalousie, j'en aurais faite une. Je n'aurais pas fait semblant. Et tu le sais.

Elle soupira.
Elle aurait aimé que ça soit aussi simple que ça. Qu'elle soit seulement jalouse, ou inquiète. Qu'elle impose ses règles comme elle le faisait toujours, et qu'il les accepte. Qu'elle fasse sa loi. Mais Blanche n'osait plus interférer, n'osait pas être elle-même parce que "elle-même" avait été trop déplacée.

Je t'ai dit. Il s'est passé quelque chose de... bizarre. L'autre soir.

Elle n'osa toujours pas regarder Samael en face.

Je t'en prie ne dis pas à Cecil que je te l'ai dit. Et ne répète ça à personne.

Son regard était infiniment triste, et dégoûté. Tout son corps criait à la fuite. Mais elle lui devait ça ; à Samael ; elle lui devait de lui dire, sinon elle le perdrait - le blesserait encore.

Je suis rentrée tard. Ca a escaladé, un peu bêtement, il était énervé. Il est toujours énervé ces derniers temps...

Elle se mordit la lèvre. Et si c'était de la faute de Samael, s'il perdait patience avec elle ?

Et...

Elle s'arrêta, à deux doigts de lui avouer pour ce soir-là. Mais finalement, elle se ravisa. Elle fronça les sourcils, et releva les yeux vers Samael.

... Depuis... quelques temps.

Semblait aligner ses pensées entre elles.

Samael. Je crois que tu m'as déjà remplacée.

Elle comprenait pourquoi Cecil n'avait plus de patience pour elle.
S'il la dévouait à Samael.

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... Quoi ?

Un rire nerveux, caustique s'échappa d'elle. Incrédule, la tête secouée légèrement, elle ne voulut croire un seul instant à la fable absurde qu'il inventait pour la rassurer. Car ça ne pouvait être que ça, pas vrai ?

Sauf qu'elle ne lui avait rien avoué, et il avait compris de quoi elle parlait. Elle ne lui avait rien dit, ou qu'à moitié, et il n'aurait pas pu deviner si il n'avait pas été là pour voir ce qu'il s'était passé.

Cecil... ?

Qu'avait-il fait à son frère si parfait, à son image impeccable, à sa gentillesse, à sa patience ? Cecil était devenu aigri, était devenu méchant, était devenu susceptible. Où était passé son frère si charmant, si pur ? Il en peignait un tableau violent, et malsain, qu'elle ne voulait pas voir.

Un vertige la prit.

Samael, comment veux-tu que je ne m'énerve pas ?

Elle déposa ses deux poignets sur la table, les mains refermées, les muscles raidis, tendus. Elle ferma les yeux, inspira un grand coup.

Reprenons depuis le début.

Elle ouvrit les yeux.

L'attirance sexuelle que j'ai ressentie pour mon frère et qui m'a rendue malade pendant des jours, qui m'a empêchée de dormir et de lui parler normalement... venait en fait de toi, caché dans la penderie, et tu as attendu aujourd'hui pour me le dire... Et toi tu as prétendu être fâché contre moi de ne pas t'avoir parlé, alors que tu savais l'enfer que je vivais ?

Elle frappa un coup sec sur la table pour l'empêcher de riposter.

MIEUX ENCORE.

Elle fit claquer sa langue contre son palais.

Cela fait des semaines que Cecil est odieux et impatient avec moi, qu'il est systématiquement préoccupé et n'a plus de temps ou d'espace à m'accorder, je me suis démenée pendant des semaines pour arranger ça et j'apprends que... c'est de ta faute ? Puis tu prétends ne pas me remplacer, tu prétends te rapprocher de lui pour me récupérer moi ? Alors explique-moi, Samael, pourquoi à la fin de ton histoire c'est vous deux qui avez tout et moi qui n'ai plus rien ?

Déchirure immédiate lorsque les mots furent prononcés ; le sentiment lancinant qu'elle avait perdu à la fois son frère et à la fois son alter.

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T'es le centre de tout.

Blanche aurait aimé le croire. Mais Blanche n'était que le centre de son propre monde, et le centre d'aucun autre. Elle le savait, car si elle s'était crue immuable (irremplaçable), récemment ils s'évertuaient tous à lui prouver le contraire. Qu'elle soit là ou qu'elle ne soit pas là, ils vivaient très bien sans elle.

D'ailleurs, Samael lui-même, avait passé longtemps sans ses nouvelles, et n'avait pas cherché à en avoir.

Pourtant, c'est moi qui suis revenue vers toi. Tu n'as pas cherché à me revoir. Tu n'as pas cherché à savoir.

Elle baissa les yeux. Elle n'était plus dans le reproche, plus dans aucune forme de colère. Elle était triste, tout simplement.

Je ne sais plus, Samael. Je ne sais plus comment remplir le vide qui m'obstrue. Tout le temps.

Elle secoua la tête, et esquissa un demi-sourire.

Désolée. Je ne devrais pas te faire payer ça. Mais je suis jalouse. Et je sais que Cecil ne s'occupe plus de moi. Il est obsédé par quelqu'un d'autre. Que ce soit de toi me rend impuissante. J'aurais tué n'importe qui d'autre qui se serait mis entre lui et moi. Mais toi ?

Si ça avait été quelqu'un d'autre, elle se serait réfugiée auprès de Samael. Mais si ce quelqu'un d'autre était Samael, chez qui se réfugierait-elle ?
Elle avait Ace, mais ce n'était pas pareil.
Elle avait Romeo, mais c'était trop récent, trop fébrile encore.

Je ne peux rien faire.

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Le contact de Samael, ses bras qui se refermèrent sur elle, la rendirent un peu plus isolée à l'intérieur d'elle-même. Elle se referma, un peu froide, un peu morte, éteinte à travers son étreinte désespérée. Le baiser qu'il déposa sur son front n'y fit rien, Blanche s'était assassinée, un petit peu, au fond ; pour moins ressentir, moins se laisser ensevelir par les souffrances qui ne lui appartenaient pas.

Je-

Elle baissa la tête, interdite, et ravala sa salive, douloureusement. Elle releva le regard vers lui, comme pour trouver des réponses sur son visage qui l'implorait, mais Blanche s'était coupée de tout, et ne voulait plus rien entendre.

Je dois y réfléchir.

Il lui avait volé son frère.

Ce n'était pas les jolis discours ou des excuses larmoyantes qui allaient le lui ramener. Cecil ne l'aimait plus. Et c'était de sa faute.

Je n'ai pas de réponse à te donner aujourd'hui.

Elle était dévastée, solitaire où eux deux s'étaient retrouvés. Elle avait à faire face à un isolement forcé et il essayait encore de lui faire croire que ce n'était pas vrai. Qu'il l'aimait, qu'il la voulait dans sa vie, ... Après avoir prouvé le contraire.

Désolée, Samael. Là, je suis blessée. Et je ne crois pas qu'il y ai quelque chose à faire.

Elle secoua la tête.
Elle n'attendait rien de lui. Rien de Cecil non plus.

Après la colère, elle était simplement triste. Et il n'y avait que le temps pour l'aider.

Je vais rentrer.

Elle n'était plus animée d'aucune de ses étincelles habituelles ; l'incendie de joie ou de colère ; tout s'était tari, éteint.

Pardon de t'avoir fait perdre ton temps.