— Mais puisque je vous dis que c'est pas normal !

Tu te tiens le ventre et ça ne fait qu'attiser le malaise dans leur regard. Maman t'adresse un sourire indulgent, l'air te dire "allez, allez, arrête d'exagérer". Papa est plus sévère, lui, t'adresse à peine un regard. À quoi s'attendait-il ? Des retrouvailles en larmes ? Des rires émus ? Un remerciement sincère pour t'avoir envoyé dans cet antre des fous ? Il est déçu, ils le sont tous les deux. Parce que t'es pas revenu guérit comme espéré, mais inquiet, instable et tu fais tourner le même disque en boucle depuis des mois déjà. Tu ne te sens pas bien. T'es sûr que c'est pas normal. T'es sûr que c'est de la faute de Cecil.

Ça avait commencé par la fatigue, la faiblesse, puis le mal de ventre, la nausée, les vomissements. Une grippe, on t'avait dit, sauf que rien ne passe. Ils semblaient y croire au départ, mais après plusieurs mois à te plaindre ils n'y voient que la tentative d'un gosse paumer d'avoir de l'attention. Tu les détestes, eux et leur bon sens devenu muet. Le sourire de ta mère te révulse, le regard absent de ton père te fait serrer les poings. Tu secoues la tête, putain tu vas gerber mais cette fois de haine.

— Laissez tomber.

Tu ne leur diras pas tout le bien que tu penses d'eux, t'as trop peur qu'ils te renvoient. Tu fermes la porte, passe une main incertaine sur ton front. Putain, tu sais que t'es pas fou. C'est pas normal. C'est pas normal. C'est pas normal. Alors que t'avances dans le couloir tu captes, dans un coin, la présence de Cecil. Sa blondeur insupportable, son sourire angélique et malveillant.... Et tu sais que t'es pas fou. Tu sais que t'as rien inventé. T'as des sueurs froides, t'es pris d'un doute terrible qui te retourne l'estomac. Et si... Et si ? Putain. Tu vas gerber. Tu plaques ta main devant ta bouche, essayes de faire passer l'épisode nauséeux. Tu te tournes ensuite vers lui, t'approches avant de le saisir par le col.

— Qu'est-ce que tu me fais ?

T'aurais vraiment aimé être celui qui lui plonge la gueule dans le feu.

— C'est toi, hein ? C'est de ta faute, hein ?

T'as jamais eu l'air aussi effrayé.

Il t'imite avec son sourire rayonnant et t'en peux plus. C'est trop. T'empoignes son col, pas bien encore sûr de ce que tu vas choisir entre lui coller ton poing dans la tronche ou lui encastrer la tête dans le mur. Mais avant même d'avoir pu prendre une décision le voilà qu'il hurle. Tu le lâches, aussi surpris que paniquer à l'idée que vos parents débarquent.

— Mais qu'est-ce que tu fais ?! Tais-toi !

Tu l'agrippes par le poignet, plaque ta main contre sa bouche. Faut qu'il se taise putain, faut qu'il se taise ! Essaye de le traîner loin. Parce que t'as peur que les parents arrivent, parce que t'as peur qu'on te renvoie, parce que t'as peur de voir de nouveau comment ils lui cèdent le bon dieu sans concession.

— Tais-toi, tais-toi !

Ça pourrait être effrayant si ce n'était pas le résultat de tes propres peurs. Tu l'embarques en haut des escaliers, jusque dans ta chambre. Tant pis si c'est maladroit et qu'il se cogne, t'as pas la patience de le ménager en quoi que ce soit.

Tu le pousses dans ta chambre et ferme la porte. Titube un peu parce que t'agiter comme ça t'as fatigué mais qu'importe. Tu pointes un doigt accusateur vers lui.

— C'est quoi ton problème ? Pourquoi tu me fais ça ?

Un serpent. L'image te traverse la tête alors qu'il penche la sienne, alors que son sourire se peint sur ses lèvres et qu'il susurre des mots qui te font reculer, qui te déstabilise. Tu ne comprends pas, ça te rend fou, ça te retourne l'estomac. Qu'il se fasse passer pour la victime devant Blanche et le reste du public est quelque chose que tu comprends. Mais qu'il continue de jouer ce rôle en face de ta seule personne te terrifie.

— Arrête de raconter des conneries... C'est toi... C'est toi qui t'es jeté dans la cheminée !

Tu recules et tu n'en prends conscience que lorsque ton dos tape contre la porte. Tu le pointes du doigt, t'as la voix qui tremble. Pas que tu te sentes en danger (si si si si si si si si si si si si si si si si si si) mais qu'il n'assume pas sa propre folie t'atteint profondément. Parce qu'il n'a pas le droit, Cecil. Il n'a pas le droit de te retirer ça. Alors tu articules, soudain ta gorge se fait sèche.

— J'ai rien fait ! J'ai rien fait du tout ! C'est toi qui.... C'est toi ! Ils m'ont envoyé chez les fous à cause de toi !

Par peur ou par accès de folie tu fais un pas en avant.

— Toi assumes ! Pourquoi t'assume pas, hein ? Pourquoi t'assume pas devant moi ?!

Tu le détestes. Tu le détestes. Tu t'es convaincu toutes ces années que ta place dans ton lit d’hôpital aurait dû lui revenir. T'as besoin de le détester. T'as besoin qu'il te donne une raison de le détester. Parce que c'était lui le méchant hein ? T'aurais pas.... T'aurais pas tout inventé, n'est-ce pas ?

— C'est toi.... Et je suis sûr que tu recommences.

Tu t'étais souvent fait la réflexion que ton frère était fou. Tu t'étais souvent dit qu'il était le genre de gosse né avec une graine en moins, trop parfait pour exister, trop faux pour être vrai. Dans ton imaginaire déjà gangrené par des références trop violentes pour ton âge, t'avais souvent vu Cecil dans le parfait rôle du tueur en série. Cette image, tu l'avais gravée au fer le soir où il s'était jeté de lui-même dans les flammes. Tu l'avais gravée chaque minute passée dans cet infernal hôpital. Pourtant, à le voir si sûr de lui, à le voir jouer de toute sa palette d'acteur t'en vient à douter de tes propres certitudes.

Tu repasses les images de ce fameux soir, lui, son corps qui se jette dans la cheminée. T'étais même pas assez proche de lui pour le pousser. Tu t'es approché après, paniqué. Ou alors était-ce avant ? T'es sûr de ne pas l'avoir touché, mais est-ce que tu lui avais fait peur et qu'il avait trébuché ? Est-ce que t'aurais utilisé ta faculty sans t'en rendre compte ? Tu poses une main incertaine sur ton crâne. Ton regard jongle, furieux et perdu d'un bout à l'autre de la pièce. Il ment. Il joue avec toi. T'as pas pu... Non, t'as pas pu...

— T'APPROCHE PAS !

Son pas te fait bondir de nouveau contre la porte. Tu te plaque contre elle, effrayé, les émotions à fleur de peau, la violence au bord des lèvres. Tu secoues la tête comme pour te remettre les idées en place.

— Arrête de vouloir m’embrouiller ! Je ne t'ai pas poussé ce soir-là, je t'ai même pas touché putain ! Tu t'es jeté dans le feu et t'as dit que c'était de ma faute, j'ai rien inventé, JE NE SUIS PAS FOU !

Ça ne peut pas être toi. Le débit de parole est rapide, fluctuant entre la panique et la colère. L'agitation fait son œuvre, ton crâne pulse douloureusement sous un début de migraine. Tu sens la nausée te reprendre. Finalement, le seul docteur que t'as vu avait peut-être raison, tu dois te reposer, quand tu t'agites c'est pire encore. Tu braques ton regard sur lui, tends les mains en avant comme pour l'empêcher de s'approcher plus encore. Dans la panique, pourtant, ta faculty le fait brusquement se rapprocher. Tu cries, panique, le pousse avant de bondir à l'autre bout de la pièce, te réfugier sur ton lit comme une bête acculée.

— Me touche pas, me touche pas, me touche pas, me touche pas.

Comment tu veux que tes parents te croient ?

— Je suis malade depuis que je suis rentré. C'est pas normal. Je suis sûr que c'est toi. Je suis sûr que tu me veux du mal. T'es un grand malade. C'est forcément toi. C'est forcément toi, ok ?

— Pa-Paranoïa ?

Tu comprends pas. Tu comprends pas vraiment pas. Il agit comme-ci il n'avait rien à se reprocher, comme-ci c'était TOI qui était malade, TOI qui avait un problème. Il pose ton diagnostique avec une facilité qui te rappel les médecins de l'hôpital. Comme-ci il exposait des faits, comme-ci c'était évident. Et ça te terrifie. Sincèrement, ça te terrifie.

Tu te retrouves coincé dans ton propre lit, ton regard dérive sur les flacons posés sur ta couette et la nausée te prend. T'as la gorge sèche à voir les pilules, à les entendre cogner contre le plastique du flacon. Tu fais exprès de n'être plus sous surveillance pour moins en prendre. La façon dont tu sens ton cœur s'accélérer et l'envie de tordre l'estomac quand tu les vois te met trop mal à l'aise. T'aimes pas cette dépendance, cette notion de besoin. Ça ne te rend que plus légitime dans le rôle du malade et tu détestes ça. Tu secoues la tête.

— Je les prendrais pas.

Tu pousses un flacon du pied qui roule sur le sol. T'es tout en tension quand tu le regardes.

— Je prendrai rien, Cecil.

T'es tout tremblant et ton front luit des quelques goutte de sueur qui y perlent. T'as vraiment l'air malade, seulement tu sais pas à ce stade si c'est le mal habituel ou la peur qui te détériore de l'intérieur. Peut-être un peu des deux.

— Tu me détestes, tu me veux du mal, avoues le.

T'essayes de le défier. Sa présence de tend à un point tel que tu considères un moment de le repousser jusqu'à ce qu'il vole par le fenêtre. Avec un peu de chance il se brisera le cou et alors tu guériras. Parce que c'est lui, n'est-ce pas ?

— Pourquoi t'es comme ça ?

Tu t'acharnes à obtenir des réponses quand il jouit de te laisser dans l'ignorance.

— Pourquoi ?

Le pire, Romeo, c'est qu'il fait tellement bien son job que tu pourrais presque le croire innocent.

Il s'entête, cette façon dont il persiste dans ses mensonges te rend fou. Mais sont-ce seulement des mensonges ? Pourquoi ne dit-il pas la vérité ? Pourquoi ne te regarde-t-il pas triomphalement en te révélant son plan ? C'est pourtant ce qu'ils font tous, non ? Trop portés par le plaisir de soumettre et de détruire l'autre, ils cèdent à la jubilation de tout expliquer, de voir la terreur dans les yeux de leur victime face à leur machiavélisme. Mais pas Cecil. Cecil te dit que tu es malade, il te met en face d'arguments logiques. Cecil n'est pas pris d'un fou rire, Cecil ne se comporte pas comme le méchant qui jouit face à la réussite de son plan. Il a peut-être raison, c'est peut-être toi. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non.

— Je suis malade parce que tu trafics un truc. C'est à cause de toi j'en suis sûr !

Il se met à quatre pattes sur ton lit et cette vision de soulève le cœur. Tu pourrais vomir, l'image de lui, féline, te retourne l'estomac. Il a autant l'air d'un chat qui se pavane pour se faire caresser que d'un tigre sur le point d'attaquer. Tu ne supportes pas cette ambivalence, comment ton frère peut-être à la fois le visage de la douceur et le poison. Tu te plaques dans un coin, profondément mal à l'aise. T'as le cœur qui bat, la peur sans doute. Tu déglutis, ton corps tout en tension.

— Casse-toi.

Soufflé, par que t'es terrifié. Il te terrifie. C'est un démon, tu le sais, ça se voit, tu ne vois que ça. Pourtant t'es figé, incapable de le repousser. Mais quand il saisit ta mâchoire quand ses doigts damnés touche ta peau c'est trop. Tes yeux s'écarquillent, fous, terrorisés. Tu cries et avec lui ta faculty éjecte Cecil violemment à l'autre bout de la pièce.

— J'AI DIT CASSE TOI !

Tu te roules en boule sur ton lit, agrippes ta tête. Un violent spasme te fait gémir. T'as peur. T'as peur. T'as peur. T'as peur. T'es pas fou. T'es pas fou. T'es pas fou. C'est pas possible. C'est pas possible. C'est pas possible. La respiration sifflante.

— Casse-toi casse-toi casse-toi casse-toi casse-toi CASSE-TOI.

Et le pire c'est que dans ta panique tu réalises que si Cecil est le monstre que tu crois, tu viens de lui donner du pouvoir. Tu réalises, que t'as beau être plus fort que lui, lui sera toujours le plus puissant.

Et ça, c'est peut-être ce qui te terrorise le plus.

T'as paniqué. Son simple contact a été telle une décharge, un brusque renvoi en arrière. Sous ses doigts tu as revu le lit sanglé, tu as revu la piqûre brusque du médecin en blanc, tu as revu les flacons de pilules et le gobelet en carton, t'a revu les murs blancs, t'as revu tes parents qui détournent le regard quand tu rentres dans l'ambulance et Blanche... Et t'as paniqué. Tu l'as envoyé loin, soudain lucide quant au fait que plus Cecil est loin de toi, plus tu es en sécurité. T'es prostré sur ton lit quand tu l'entends gémir au loin. Les mains plaquées que le visage, tu entrouvres tes doigts pour capter son image. Il a une altère à la main. Tu l'observes, interdit, le souffle suspendu. Puis soudain, tu vois, tu comprends.

Le fou ici c'est lui.
Pas toi.

— Qu'est-ce que tu... Non !

Il abat l'haltère contre son genou avant que tu n'aies pu faire quoi que ce soit. Un crack sonore et il se met à hurler, t'accuser. Tu le regardes, fou, choqué. Il vient de... Il vient de se mutiler hein ? Et tu hurles te précipite à côté de lui. Dans le fond de la peur il y a de la rage mais aussi un profond soulagement. C'est lui. C'est lui. C'est lui. C'est lui. C'EST LUI.

— T'es taré.... Tu viens de.... Hahaha.... T'es taré.

T'entends des pas précipité dans l'escalier, ta porte s'ouvre avec fracas sur ta mère et on perd. Tu recules de quelques pas, malgré tout t'es incapable de faire disparaître de ton visage le sourire fou. Une main sur ton front, la voix chevrotante.

— C'est lui... Il a voulu me faire mal, j'ai l'ai poussé et... Et il a pris l'altère... Haha... C'est lui, il s'est fait ça tout seul pour que vous me détestiez... C'est lui le fo-

Mais t'as pas le temps d'en dire plus. La paume de ton père vient heurter ta joue. Ta tête part sur le côté. Tu restes immobile, choqué.

— Mais... Pourquoi...
— Pourquoi fais-tu ça Romeo ? Blesser ton frère, mentir ! À quoi tu joues ?

Tu le fixes, l'air de pas comprendre. Puis soudain tu exploses.

— MAIS C'EST LUI ! IL A PRIS L’HALTÈRE ET IL S'EST PETE LE GENOU ! IL A FAIT LA MÊME CHOSE AVEC LA CHEMINE ! C'EST PAS MOI MERDE !

Les yeux remplient de larmes rageuses tu poins Cecil du doigt.

— POURQUOI VOUS ME CROYEZ PAS ? POURQUOI VOUS LE CROYEZ TOUJOURS LUI ? POURQUOI C'EST SI DUR DE ME CROIRE ? J'AI RIEN FAIT J'AI VRAIMENT RIEN FAIT !

Ton regard jongle de ta mère à ton père.

— ARRÊTEZ DE ME REGARDER COMME ÇA !

C'est lui.
Pas toi.