[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Il n’arrêtait pas de ressasser les évènements de la veille. Plus il en apprenait sur la famille de Blanche, plus il se rendait compte que la sienne était particulière. Quoique, ce n’était pas pour lui déplaire. Bien au contraire, il y avait une certaine forme d’amusement. Voir ses deux frères se déchirer pour obtenir les faveurs de la jeune femme était aussi tragique que cocasse. Ironique, puisqu’il finissait par être le seul à ses côtés. Il revoyait encore la mine contrariée de Romeo lorsqu’il quitta son appartement avec Blanche.

Pourtant, il l’avait prévenu.

Elle viendrait avec lui. Tout comme elle était reparti avec. Ils n’étaient liés que par les liens du sang. Aussi fort soient-ils. Ceux liés par le sang finissent par ne plus partager la même couche. Ce n’est pas dans leur bras, qu’elle ira se perdre, ce n’est pas dans leur étreinte qu’elle ira tomber.

Un nouveau grattement vint pourtant arracher un regard en coin au jeune homme. Regard dirigé vers la source de ses nouveaux maux. Cette espèce de boule de poile malodorante et désagréable à souhait. Si ce n’était pas pour elle, il l’aurait déjà éloigné d’un violent coup de pied, sans plus de sommations.

Le regard à nouveau dans le vague, cherchant à penser à autre chose. Oublier la présence de cette gêne. Il porta la tasse de café à ses lèvres. La douceur amère du breuvage vint titiller le fond de sa gorge. Ses sens s’éveillaient petit à petit de leur légère torpeur. Juste au bon moment, juste à temps pour entendre sa voix.

Non. Connaissant Tsubaki et son excès de zèle, il m’aurait prévenu à l’avance si mon agenda était chargé.

Plongeant la cuillère dans la tasse face à lui, il touilla délicatement cette dernière. Se perdant dans les mouvements réguliers du liquide.

Il n’était pas à l’abris d’un coup de fil de dernières minutes. Le souci à force d’être aussi demandé, c’est qu’il pouvait l’être même sans rendez-vous. C’est ça, souffrir de son propre succès.

Mais pour le moment, il consacrait cette journée qui ne faisait que commencer à la dégustation de ce café étonnement raffiné. Il ne s’attendait à rien en venant dans ce soi-disant endroit prestigieux. Mais force est de constater qu’il était agréablement surpris au final.

Sa journée était donc offerte à cette dégustation mais également à la présence à ses côtés. Après tout, plus elle passait du temps avec lui, plus il parvenait à oublier ses propres préoccupations. Plus il parvenait à oublier cette asphyxie qui le prenait à la gorge de temps en temps.

Ça et, plus elle passait du temps à ses côtés, moins elle avait à en consacrer à ses frères. Rien que cette image, n’avait pas de prix à ses yeux.

Pourquoi cette question, tu as une idée en tête pour aujourd’hui ?

[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Son regard allait et venait entre la femme face à lui et la chienne à ses pieds. L’une semblait bien plus insouciante et détendue. Ça tombait mal, ce n’était pas la bonne qui était dans cet état d’esprit.

Il manqua de hausser un sourcil à sa remarque. Comme si être en sa compagnie pouvait être synonyme « d’ennui ». Son amour propre blessé, il se redressa légèrement sur sa chaise. Comme si de rien était.

Alors qu’il allait lui démontrer qu’une journée à ses côtés ne pouvaient être ennuyante. Prêt à lui démontrer scientifiquement à quel point cette notion lui était inconnu, à quel point cette idée même pouvait être absurde et vicié.

Voilà qu’elle détournait à nouveau la conversation. S’arrêtant net, avant même que sa bouche ne s’ouvre. Il se ravisa. Préférant s’aventurer sur cette pente nettement moins glissante. Nettement moins dangereuse.

Je ne pouvais pas l’ignorer. Il est sous-capitaine de mon gang après tout.

Même si l’envie de l’ignorer était bien présente en lui, celle-ci s’était petit à petit mué en intérêt malsain depuis qu’il avait fait la rencontre de Blanche. Alors certes, il avait déjà cherché des informations à son sujet auparavant, notamment pour démanteler ledit gang, qui n’était le sien que par intermittence. Mais ses recherches n’étaient muées que par intérêt pratique et non par curiosité.

C’est surtout lorsqu’on en a parlé que j’ai décidé de creuser davantage. Une sorte d’intuition. Qui s’est avéré être juste.

Comme un déjà vu. Comme si l’horrible sensation qu’il ressentait à côté de Cecil se retrouvait aux côtés du fameux Romeo. L’un des rares points communs que partageaient les deux frères à ses yeux. Ça et leur addiction malsaine envers leur propre sœur. Ironique venant du plus grand toxico que la terre ait vue naître.

Tu serais tombé sur lui aussi à force de creuser. Avec un peu de temps.

Croisant à nouveau les jambes sur le côté de la table, il en venait à se détendre à nouveau. Dévisageant celle qui hantait ses journées, penchant la tête sur le côté :

Tu veux faire du shopping aujourd’hui ? On m’a donné l’adresse d’un tailleur plus que compétent. Ou alors tu préfères le promener, je peux privatiser un par si tu le souhaites.

Dit-il en désignant du regard la créature à ses côtés. Il n’avait pas pris la peine de retenir son nom pour être honnête. Un clébard restait un clébard à ses yeux. Tous les mêmes. Tous aussi peu digne de son intérêt.

[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Elle sembla contrariée. Ce qui lui fit vite comprendre que sa formulation n’était pas la bonne. Il se félicita tout de même d’avoir changé de sujet avant d’achever sa prise de paroles, évitant ainsi un quelconque incident diplomatique. Même s’il ne voulait pas la contrarier, l’imaginer partir pour rejoindre l’un de ses frères étaient d’autant plus insupportable à ses yeux. C’était autant une question de fierté que de besoin.

Il l’écouta, entendant très clairement ses craintes et préoccupations. Plus il l’écoutait parler, plus il comprenait à quel point ils étaient proches. A quel point ils partageaient cette absence, ce besoin irrépressible de posséder l’autre. Ce manque flagrant qui les habite, ce manque qui les consomme.

« Est-ce que… »

Il resta interdit. Il n’avait même pas écouté la suite. Oubliant ce « oublie ça ». Ne prêtant attention qu’à ces simples mots. Cette question inachevée aux allures d’avenir incertain. Après tout, il ne s’était jamais posé ce genre de question. Il ne s’était jamais sincèrement remis en question. Était-il capable d’aimer ? Oui, évidemment, comme n’importe qui d’autre. Craignait-il de dépendre d’un autre ? Bien au contraire, son passif de toxico le rendait dépendant à bon nombres de choses. Alors pourquoi. Pourquoi avoir autant évité cette question.

Est-ce que c’est mal ? Pourquoi ce serait mal. Qui en a décidé ainsi. Pas moi en tout cas. Non, avoir besoin de combler un vide n’est pas « mal ».


Il était bien placé pour le savoir. Ce vide, ce manque, cette absence. C’était toute sa vie. Il l’avait vécu, il le vivait et il le vivra.

Je comblerai tes manques. Tous autant qu’ils sont. Pour peur que tu sois mienne. Tes caprices seront tous assouvis. Tous autant qu’ils sont.

Il n’y avait qu’un maigre prix à payer. Qu’un simple échange de bon procédé. Elle avait besoin de lui pour combler ses absences. Il avait besoin d’elle pour combler ce vide. Un service pour un rendu. Leur façon d’aimer.

Il posa ses coudes sur la table, s’avançant vers elle. Lui faisant face. Plongeant son regard dans le sien.

Pourquoi j’irai te négliger ? T’es la seule chose qui compte à mes yeux dans cette poubelle spatiale. La seule digne de mon intérêt. Je ne te négligerai pas Blanche.

Pas aujourd’hui. Demain est un autre jour.

Quoi qu’il en soit. Elle sera à jamais à lui.

Il se redresse à nouveau en l’entendant parler de Cecil, manquant de lâcher une grimace par réflexe, s’arrêtant juste au bon moment pour conserver son visage impassible de toujours. Il l’aimait moins ? Voilà qui était parfait, une agréable sonorité à ses oreilles. Il s’était enfin soigné de son addiction malsaine pour sa propre sœur. Une preuve de plus que rien n’est impossible.

Romeo dangereux ? Oui. Certainement. Qu’il s’en prenne à toi ? J’en doute fortement.

Dans le pire des cas il irait s’entretuer avec Cecil. Il ne pouvait espérer de meilleur déroulement pour être honnête, mais il avait appris il y a bien longtemps que les rêves d’enfant se réalisent rarement à moins de s’en donner les moyens pour.

Je ne te trahirai pas comme eux. Jamais. Nos liens sont différents. Nous ne sommes pas liés par le sang Blanche. Comme tu peux l’être avec eux. Ce qui nous relie est différent. C’est…

De l’amour ?

Ironiquement, ce mot sonnait faux dans son esprit. Alors qu’il n’avait toujours pas pris la peine d’y réfléchir davantage. Bien au contraire même.

Nous attacher ? Avec des laisses ?

Il cligne des yeux, surpris par cette étonnante révélation. Rien que sur le plan du fantasme, elle serait déjà bien étrange. Mais le contexte et la façon dont elle l’avait dit ne témoigner d’aucun désir de ce genre. Et c’est ce qui le surprenait bien plus encore. Elle paraissait étonnement sérieuse en le disant.

Je ne ferai pas un bon chien, j’en ai peur.

Il la dévisagea, reprenant sa phrase sur le ton de l’humour. Le visage amusé. Alors qu’au fond, sa remarque n’avait rien de drôle.

Pour qui sonne le glas.

Pour qui la mort s’apprête ?

[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Il reste impassible, alors que l’envie de cligner des yeux étaient plus que présente en lui. Incrédule. Il resta un moment silencieux. Analysant et prenant le temps de bien saisir la situation. Elle était allée voir un autre homme. Une telle chose semblait déjà bien impensable à ses yeux. Mais le fait qu’elle le lui révèle aussi calmement l’était encore davantage.

En temps normal, il n’aurait d’ailleurs même pas pris la peine de le relever. La conception de fidélité lui était abstraite de base. De même que sa capacité à s’attacher aux autres. En temps normal, les relations et les amourettes n’étaient que des excuses pour assouvir un quelconque besoin charnel. Une sorte de caprice qu’il assouvi au grès de ses envies. Son partenaire n’était donc qu’un moyen et non une fin en soi.

Pourtant. Avec elle. C’était différent.

Il n’avait pas pour autant cédé à ses pulsions animales. Hurler au beau milieu du café tout en vociférant des insultes. S’écrouler en larmes ou bien s’épancher dans des excuses futiles. Il laissait toutes ces solutions au commun des mortels. Auquel il ne faisait clairement pas partie.

Il l’observa un moment. Elle semblait calme et sûre d’elle. Autant dire que sa démarche n’était pas innocente. Soit elle voulait attirer son attention, soit elle voulait le pousser à bout. Dans les deux cas, ce sentiment était suffisant pour être déjà bien désagréable à ses yeux.

Le fait qu’elle poursuive son activité de prostitué ne le dérangeait pas. Non, au contraire. Il avait toujours pensé qu’une femme ou un homme habitué à écarter les jambes sur demande risquait de prendre cette mauvaise habitude. Ce genre de chose deviendrait donc une seconde nature pour eux. Une pute un jour, une pute toujours.

Non, ce qui venait titiller son esprit n’était rien de plus que la désobéissance. Ceci, était sa plus grande faute. Elle était sienne. Et comme tout bon roi. Il n’aimait guère partager ses biens. Bien au contraire justement. Il avait horreur du partage de base. Mais le faire avec sa chose. C’était une sensation bien révoltante.

Sa main vient fendre l’air en un éclair. En un battement de cils. Une gifle fugace mais bien ancré dans cette réalité. Avant de saisir son visage comme si de rien était.

Je crois qu’on s’est mal compris Blanche.

Il la dévisage avec un léger sourire.

Je ne t’avais donné qu’une condition. Celle d’être à moi. Tu m’appartiens donc. Ce qui veut dire ?

Il laisse planer un léger silence, alors que sa question était purement rhétorique.

Ce qui veut dire que tu n’appartiens à aucun autre homme dans cette ville.

Il repousse son visage dans un mouvement las, sans aucune douceur.

Si je tolère tes frères c’est justement parce que se sont tes frères. Je ne suis pas un monstre (quoique). Mais ne va pas ajouter d’autres variables dans cette équation déjà bien complète.

Il fit un signe de main rapide au serveur, comme si de rien était.

L’addition.

Avant de se retourner vers elle. Agissant comme à son habitude. Un visage innocent et plein de bonne volonté à son égard.

Tu voulais faire du shopping, non ?

Tout était dit. Tout n’était qu’un avertissement. Il avait été aimable cette fois. La prochaine fois. Non. Disons qu’il n’y aura pas de prochaine fois.

[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Les bras enroulaient, comme si de rien était. Ayant déjà totalement oublié le reste. Elle voulait une robe, soit. Une voulait des chaussures, soit. Pour peu que le principal ne quitte pas son esprit, pas une seule seconde, il était prêt à consentir chacun de ses caprices, tous autant qu’ils sont.

Ils ont à peine le temps de faire quelques mètres, qu’il se retrouve violemment projeté sur le côté. Le grincement des pneus précédant cet évènement aurait dû suffire comme indice pour ce funeste sort. De même que ce la voix grave du concerné. Ace se rattrape doucement sur le poteau non loin de là. Usant de sa faculty pour ralentir considérablement son envol.

Il glisse le long de ce dernier, un sourire aux lèvres. Loin d’être surpris par une telle apparition, il semble davantage ravi.

Tiens, tiens, tiens. Si ce n’est pas frère numéro 2.

Chassez le naturel, il revient au galop.

Je vois que tu n’as pas perdu de temps. Chérie. Tu veux que j’appelle Cecil également où il est déjà prévenu lui-aussi ?

Ton regard s’était posé sur Blanche, l’air sur ton visage semblait joueur et bon enfant. Prenant toute cette situation à la légère. Sur le ton de l’humour.

Mais au fond, elle venait d’ajouter une faute de plus à son tableau. Quelques explications s’imposaient ce soir. Pour l’heure, il avait d’autres chiens à fouetter.

Hey, Romeo. T’as jamais eu de copine ? Tu ne sais pas que se taper l’incruste dans un rendez-vous amoureux ça ne se fait pas ?

Probablement pas. Ce n’était pas le genre de gars à s’attarder en sentiments et émotions. Tout comme son frère, il nourrissait une admiration malsaine envers sa sœur. Comment nouer une relation avec quelqu’un d’autre dans un cadre aussi complexe ?

Il regagne sa place, à côté de Blanche, d’un pas lent. Sans perdre Romeo du regard. Prêt à faire appel à sa faculty au moindre geste brusque.

Écoute. On peut en rester là. Même si le deal c’était de te laisser côtoyer ta sœur et toi tu me laissais tranquille avec elle. Je vais faire comme si j’avais rien vu, ok ? Donc sois-tu remontes sur ta moto et tu retournes d’où tu viens. Sois-je passe un coup de fil à ton frangin pour qu’il rejoigne la fête des Cooper. T’en penses quoi ?

Le doigt sur ton COM, le numéro de Cecil bien évidence, tu étais prêt à mettre ton plan à exécution au moindre mouvement de sa part. Si ton corps partait encore sur le côté, la plus petite impulsion serait suffisante pour que ton doigt appuie par réflexe sur l’écran de ce dernier.

Si Romeo voulait jouer.

Il allait vite apprendre à quel point il pouvait être joueur.

[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Il soupire intérieurement en écoutant Blanche. Du moins, au départ. Comme si une excuse allait suffire pour calmer l’autre brute. Elle le savait tout aussi bien que lui. Mais tout comme lui, elle savait également jouer la comédie. Vous vous étiez bien trouvés, l’un comme l’autre, un talent certain en acting.

Ce qui attire vraiment son attention, ce sont ses lèvres, non pas qu’elles lui manquaient. Quoique, elles lui manquaient. Mais ce qui fit naître en lui une véritable fascination, c’était le message qu’elle venait de lui faire passer.

Tu n’avais pas oublié.

Et il n’était pas près de l’oublier. A deux doigts d’exaucer son désir le plus viscéral. Voilà qu’une ombre lui cache la vue. C’est vrai que ce détail lui avait échappé sur le coup. Léger détail.

Son regard se lève pour croiser ceux de Romeo. Continuant à vociférer sa colère et sa rage. A croire qu’il s’était pris la claque directement. Admirable. Mais aussi ironique. Pour un frère incapable de sauver sa sœur de la prostitution. Quel frère modèle décidément. S’il pouvait exercer autant de volonté auprès de son autre frère, sa sœur serait sainte. Voilà qui explique beaucoup de choses.

Menacé ? Personne n’a menacé personne. Depuis quand inviter ta famille, comme tu dis, c’est une menace ? Je sais que tu n’es pas en bon terme avec Cecil mais tout de même, avoir ce genre de réaction. C’est exagéré non ?

Pendant qu’il remet en place son col, pendant qu’il met en place son petit jeu d’intimidation. Son petit jeu du caïd tout puissant. Sa main dans la poche tapote qon second COM, toujours bien inspiré d’en garder deux sur soi. Le message était déjà prêt à l’envoi de toute façon. Il n’attendait qu’un mouvement du pouce pour partir.

Tandis que son autre main malaxait ses sphères de marbre, avec une impulsion normale, elles ne représentaient aucun danger. Mais grâce à sa faculty, elles pouvaient être plus mortelles qu’une arme à feu. Une façon pour lui de garder le contrôle, au cas où. Même si Cecil risque de lui en vouloir, de lui voler le travail.

Désolé Blanche je me suis emporté.

Ton regard se tourne vers elle, feignant le regret. Alors qu’intérieurement il jubilait de cette situation. Ses lèvres trahissaient un double message. Tout comme elle. « Je te ferai tout ressentir. »

Si tu veux qu’elle me gifle fais toi plaisir.

Elle risquait de subir bien pire plus tard.