[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Il ne voyait déjà plus que Blanche. Chacune de ses mimiques, de ses réactions, de ses émotions, lui procuraient un tressaillement de plaisir le long de sa colonne vertébrale. S’il ne se contrôlait pas. En cet instant même. Face au monde, face à ses frères, il l’aurait brisé petit à petit, de peur qu’elle ne s’échappe avec l’un d’entre eux.

Mais il n’était ni stupide ni inconscient. Il savait très bien que le lieu n’était pas adéquat. Pour l’heure, même si ça ne lui plaisait pas trop, il ferait profil bas. Quoique « faire profil bas » se traduisait par « ignorer Romeo ».

Alors qu’il s’apprêtait à faire demi-tour, non sans lancer une dernière petite remarque de gentleman à Blanche. Voilà qu’une voiture vient contrecarrer ses plans.

Il avait fait vite.

Il n’y avait plus de place au doute à présent. Blanche disait vrai, il surveillait bel et bien son portable. Complètement perturbé le frère en question (l’hôpital qui se fout de la charité). Une cause perdue. Bien au-delà de tout espoir de rédemption.

Monsieur Cooper, vous vous méprenez. A moins que couvrir de cadeaux votre sœur ne soit signe de maltraitante, auquel cas je plaide coupable.

Il avait bel et bien décidé d’ignorer Romeo. Oops.

Vous n’avez pas assisté à toute la scène mais je me suis excusé pour mon comportement déplacé. (Mais au combien satisfaisant.) Je me suis emporté. Même la perfection peut vaciller par moment.

Il n’y avait pas pire que le faux respect. Et il était plus que bien placé pour le savoir. Tout comme il était bien placé pour savoir que tous les hommes présents ici, tous autant qu’ils sont. Risquent de se battre pour la posséder.

J’ai certes manqué de tact en cette journée. Mais je ne pense pas être si horrible avec Blanche en temps normal. Après tout, grâce à moi, elle n’est plus obligée d’exercer son ancienne profession. Je me demande pourquoi elle travaillait dans un tel établissement d’ailleurs. Un joyaux tel qu’elle….

Laissant planer cette question aux allures rhétoriques. Juste assez de silence pour qu’ils prennent tous consciences qu’ils avaient la réponse. Chacun d’entre eux.

J’ai promis monts et merveilles à votre sœur. Et je m’efforce chaque jour de lui apporter. Sans relâche. Si elle était réellement mécontente, elle se serez empressé de vous le dire. Dans le cas contraire, je continuerai à la surprendre…

Et bien plus encore.

[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
La tournure des évènements devenait de plus en plus euphorique, à l’image du meilleur rail de sa vie. Plus la situation dégénérait, plus les voix se haussaient, plus les sens étaient aux aguets. Plus il se sentait partir. Il n’avait jamais réellement guéri, portant avec lui les traces de son passé de toxico. Portant ce manque gravé au plus profond de son être. Un rien suffisait à le faire replonger. Et ce rien se déroulait juste sous ses yeux.

Encore. Bien plus. Toujours plus.

Il n’en avait jamais assez. Il n’en aura jamais assez. Insatiable, son regard fixé vers Cecil, s’abreuvant de sa colère. Avant de chercher sa dose auprès de l’autre frère. Ce n’est qu’avec les paroles de Blanche, qu’il s’enflamma définitivement. S’emportant pour de bon. Embrasant toute son âme viciée par de trop nombreuses substances. Embrumés par cet étrange brouillard.

Une bague. Pour la posséder tout entière. Pour s’emparer de sa personne. Juste devant son propre sang. Ses propres frères. Il jubilait inconsciemment. Ou bien trop consciemment. Quoi qu’il en soit, ses doigts tripotaient machinalement la veste qu’il portait, comme pour trouver une bague imaginaire qu’il n’aurait eu le temps d’acheter.

Sa main tomba pourtant sur un trésor inespéré. Il avait bel et bien une bague dans sa poche. Qui n’appartenait plus à personne. Qui à présent était vierge de toute possession. A croire que le destin avait tout façonné, jusqu’au moindre détail. Ironique, mais agréablement romantique.

Il avait bien fait de retirer la bague du doigt qu’il avait offert à Swan. Qui pouvait croire qu’il aurait l’occasion de la ressortir à cet instant. Juste à ce moment. A cette parfaite occasion. Un timing inespéré, il n’aurait pas rêve mieux, même dans ses délires les plus fous. Mêmes dans ses élucubrations les plus abjectes.

En effet, je te remercie Cecil, sans toi, je n’aurai jamais rencontré la femme de ma vie. La seule qui mérite de m’avoir. Pour ça, je te remercie du fond du cœur. Comme tu dis, sans toi, rien n’aurait été possible.

Une révérence théâtrale pour renforcer le tout, pour accentuer le sarcasme, pour achever ta moquerie, aux allures de sincères remerciements. Au fond, tout n’était pas entièrement faux. Tout était bien plus vrai que vous ne vouliez le croire.

Il s’approcha ensuite de Blanche, ignorant totalement la présence de Romeo, bien décidé à lui arracher cette dernière. Aboyant comme un chien fou, vomissant sa jalousie malsaine. Alors qu’il était déjà trop tard.

Il était déjà trop tard Romeo.

Tu avais perdu, depuis bien longtemps.

Posant un genou à terre, offrant une main à sa promise, tout en dissimulant l’autre. Il en profite pour nettoyer toute impureté présente encore sur la bague. Avant de la retirer lentement, doucement, légèrement. Pour la lui offrir. Lui offrant ce trésor qui était à présent le sien, lui passant cette bague au doigt. Le regard plongé dans ceux de sa femme.

Blanche Cooper, en souvenir de cette demande que tu m’as faite jadis. C’est à mon tour de t’en faire une.

Il la dévisagea avec un sourire, un énorme sourire. Bien plus large qu’il ne l’a jamais été. Bien plus franc que tout au long de sa vie. Face à ses frères impuissants, il pouvait enfin leur voler ce trésor si précieux, juste sous leurs regards frustrés. Une telle jouissance, il n’avait pas les mots pour la décrire.

Veux-tu m’épouser ?

Aux yeux de Romeo, cette scène ne serait qu’une horreur de plus à rajouter à sa vie. Aux yeux de Cecil et Blanche. Cette bague était sur le point de sceller un accord qui n’a jamais été oublié. Cette bague qu’il lui avait prise. C’est la bague qu’il lui devait. Depuis ce jour, depuis ce moment. Depuis ce serment.

Et dire que c’était grâce à Pheme.

Qu’il lui demandait sa main en cet instant.

Et dire que c’était par la bague de Pheme.

Qu’il lui offrait cette ville en cet instant.

[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Toutes les émotions vont le traverser. Toutes, absolument toutes. Tout ce qu’un homme en ce monde est capable de ressentir. Il va le vivre dans ce cours laps de temps. Auquel on lui fera goûter à tout ce qu’il aurait pu rêver, imaginer, pour enfin le vivre. Il avait attendu bien trop longtemps. Pour espérer le perdre en cet instant.

Maintenant qu’il y avait goûté. Il n’était pas question de s’en séparer.

Elle accepte, elle lui arrache naturellement un sourire. Mais il ne sourit pas seulement à sa réponse. Incapable de cacher davantage ses émotions. Il jubile déjà en imaginant la réaction de ses deux frères. Sourire qui s’élargit à mesure qu’elle répond « je le veux ». Qui s’agrandit en voyant le déni passer sur leur visage. La détresse s’emparer de chaque parcelle de leur être. La colère monter en eux.

Jouissif.

Parfait.

Il en voulait plus. Toujours plus. Alors, s’approchant de Blanche, se lovant contre elle. Il s’empresse de prendre leur place. Celles qu’ils convoitaient tout autant l’un que l’autre. Le seul point commun que ses hommes partageaient, au-delà des liens du sang. Il n’eut le temps de décocher qu’un simple regard, entre deux menaces de mort de Cecil, l’air victorieux. L’air de dire. Qu’ils avaient perdu. Ce pourquoi ils avaient toujours autant lutté.

« Qu’est-ce que ça fait, d’avoir passé sa vie à conquérir une personne, tout ça pour la perdre en l’espace d’un instant ? ». Cette pensée traversa son esprit, sans avoir le temps de franchir ses lèvres. Un coup porté par Romeo le repoussa en arrière, violemment, son visage se retrouva naturellement éloigné. Le coup était violent, suffisamment pour le mettre par terre. S’il ne l’avait pas retenu, il gésirait déjà à ses pieds.

Combien de coups avait-il reçu ? Il n’avait pas pris la peine de les compter. S’écroulant à terre après son excès de colère passé. La vue embrumée, le visage tuméfiait. Il avait du mal à gardait ses esprits, à rester éveiller. Son excitation mêlait à cette douleur qui traversait tout son corps était la seule chose capable de le maintenir présent.

Il ricanait, dans un gargamellement sanglant, entrecoupé de tressaillement de douleur. Il adressa un regard à Romeo, souriant à travers ses dents rouge sang :

Tu… Tu seras invité… au mariage.

Son rire était saccadé par une doux, rendant le tout presque incompréhensible.

Il se sentait partir. Le monde était de plus en plus fou. De plus en plus distant. Tout s’effaçait dans divers faisceaux de lumières aveuglants.

Il eut tout de même la force d’adresser un dernier regard à Cecil :

Longue vie, à la reine, ha…ha…ha…


Usant de ses dernières forces pour rester éveiller. Il plongea ses pupilles dans les yeux du blond, savourant chacune de ses réactions. Dans l’attente du moindre réflexe susceptible de le trahir. Pour mieux le graver au plus profond de son être.

La reine est morte.

Vive la reine.

Il avait beau le haïr du plus profond de son être. En cet instant, il lui devait tout. Son poste. Sa sœur. Son futur.

Échec.

[Blanche - Trame - Café Butter Avenue]
Son corps convulse, se débat, lutte pour rester en vie. Tandis qu’au fond de toi, ton esprit est ailleurs. Résigné. Mais surtout, victorieux. Il avait tout gagné en cet instant. Il avait enchaîné les émotions. Obtenu la main de sa femme. Appris qu’elle était enceinte (quoique, il avait un doute). Observé le visage de Romeo rongé par la jalousie. Il s’était délecté du regard de Cecil obnubilé par la colère.

Il était mort certes, mort en étant heureux.

Le monde s’assombrissait. Ses pupilles se faisaient lourdes. Après le torrent de sensations qu’il venait de traverser. Il était plongé dans un abyme de douleur sourde. Chaque atome de sa peau le faisait souffrir. Le fait même de respirer était une torture, chaque bouffé d’air lui arrachait lentement la gorge. Vivre lui semblait insupportable.

Il se doutait bien que cette fois, en ce lieu, il ne recevra aucune aide. Pas d’hôpital pour lui. Pas de salvation en ce jour. Les deux frères devaient au contraire profiter de cet instant, se délectant de son agonie. Il n’échappera pas à la mort de justesse aujourd’hui. Pas cette fois, pas ici, pas maintenant.

Même en se sachant condamné. Il ne pouvait se défaire de ce sourire, greffé sur ses lèvres. S’étirant à mesure que sa fin approchait, parfois défiguré l’espace d’un instant par une grimace ou un gémissement de douleur.

Il souriait, non pas à la vie, mais à la mort.

Il souriait, non pas à Blanche, mais à ses frères.

« Ne soyez pas jaloux, elle méritait mieux que vous »

C’est avec cette dernière pensée, que ses pensées s’arrêtent.