Il se colle à toi, tu sens sa langue sur ta peau. C'est le frisson assuré. Il est doué et si tu pouvais l'avouer à voix haute, ça serait plus simple. Tu t'accroches à lui un peu plus, à mesure que tu enroules tes bras autour de sa nuque. Tes doigts lâchent progressivement ses cheveux quand il te soulève pour te faire descendre du plan de travail. T'es fiévreux, Cecil. Aucune personne (hormis Pheme Willis, dans tes rêves) ne t'a fait ressentir pareilles sensations.

— « Oui, je sais. »

T'as changé Cecil. Avant tu le fuyais maintenant tu l'appelles. Avant tu oubliais maintenant tu t'en rappelles.

— « Parfait. »

T'as le petit sourire satisfait au coin des lèvres. Tu passes tes mains sur ton torse pour aplatir ta chemise. Le surveilles en silence défaire la sienne.

— « Et bien... Hum. Oui, caleçon, c'est bien. »

Tu rougis un peu, malmené par ton imagination névrosée. Tu sais déjà qu'il va se coller. Peau contre peau. Souffle contre ton cou. Tu le suis jusqu'à la chambre. Evidemment tu remarques qu'il plie son pantalon. Sans être touché, tu notes mentalement son effort pour te persuader.

— « Je veux être prêt de la porte. »

Tu t'installes à genoux, t'enfouis sous la couette. Tu ne sais pas si tu vas fermer l'oeil, trop déphasé de ta routine. C'était Romeo et Blanche qui s'amusaient à construire des cabanes dans leur chambre. C'était leur truc à eux, et c'est à partir de cette complicité que tu as nourri une volonté intrinsèque de la détruire. Partager ça avec Samael, c'est une partie de ton enfance que tu t'es toi-même volé.

— « Alors prend-moi dans tes bras et tais-toi. »

Tu l'attends (prêt à l'accueillir) pour t'étreindre. Pour une nuit tu veux oublier que tu es un monstre.

Tu le surveilles alors qu'il t'enjambe pour se glisser sous la couette à tes côtés. Son corps contre le tien. Si prêt, trop prêt. Beaucoup trop prêt. Et pourtant si bon. Trop bon. Beaucoup trop bon. Tu te laisses infecter par ses gestes amoureux, lui rend l'affection à une échelle bien moindre. Mais quand il t'embrasse tu lui rends son baiser de la meilleure des manières. De la plus sincère.

— « Hm... »

Puis quand les bouches s'oublient, le silence engloutit. Vos souffles se meurent et l'obscurité vous enveloppe. Sous les couettes, porte de la chambre fermée, personne ne pourrait soupçonner que deux adultes dorment dans un château fort improvisé.


Au petit matin, c'est les cheveux blonds dressés comme des épis qui te démangent. Tu ouvres un oeil et frottes tes paupières avec tes poings. Tu déglutis, et dans un élan de lucidité, tu repousses brusquement Samael, accroché à toi comme un animal s'accrocherait à un tronc d'arbre.

Une de tes mains sur sa tête, tu l'enfonces sous les couvertures en espérant le faire disparaitre. Sa respiration s'échoue sur la peau de ton torse, jusqu'à ton nombril, et tu te cambres d'un frisson échaudé.

— « MOORE ! »

L'implores de cesser, tu sais qu'il est réveillé !

— « REMONTE IMMÉDIATEMENT OÙ JE T'ÉTOUFFE AVEC LES DRAPS JUSQU'À TON DERNIER SOUFFLE. »

Tranquille qu'il dit. Tranquille ? Où est passée ta tranquillité, à toi ? Il se redresse et tu tires la couette pour respirer. Il fait beaucoup trop chaud là-dedans. Tu sais pas si c'est le réveil et l'aube d'un jour nouveau qui t'ont remis les idées en place mais tu comprends pas Cecil, comment tu as eu l'envie de dormir là-dedans. Ridicule, immature, clairement pas de ton âge, encore moins de ton rang.

— « Si je suis trop bruyant pour toi, rien ne t'empêche d'aller retrouver ton propre lit dans ton appartement. »

Le corps parcouru d'une vague de frissons quand ses narines frôlent et soufflent dans le creux de ton cou, tu cèdes encore une fois face à ses élans d'affection.

— « Je ne suis pas méchant. Tu étais collé à moi. »

Constatant que l'explication n'est pas suffisante, tu te sens obligé de préciser l'évidence.

— « J'ai paniqué, Samael ! »

Tu passes tes mains sous ses aisselles pour lever ses bras et ainsi te détacher de lui. Rampes en dehors de la penderie pour te lever et t'étirer. Tu cherches l'heure, trouves une montre abandonnée sur le buffet.

— « Si tard ?! Il est déjà six heures quinze ! Je dois aller à la clinique. »

Le petit déjeuner romantique sera pour une autre fois.

Ton programme le matin est minutieusement organisé. Une douche glacée, un thé infusé, les soins de la peau, le costume parfaitement repassé. Et comme une horloge bien réglée, tu te diriges ensuite vers la clinique pour commencer la journée. Le problème est que Samael est venu perturber cette routine. Tu fixes derrière lui (pendant qu'il déblatère ses caprices habituels) la preuve tangible de son emprise sur toi. Les draps tout retournés au fond de la penderie.

— « Tais-toi. »

Tu imposes le silence, et ce quitte à te salir. Tu chopes son menton entre tes doigts et déposes sur ses lèvres un baiser chaste et autoritaire. Quand tu recules, tes yeux sévères le toisent.

— « Satisfait ? Je vais te demander de partir, Samael. »

Tu déglutis, les joues encore chaudes de votre étreinte. Ton coeur tambourine et tes cils papillonnent. Tu tournes les talons pour rejoindre la salle de bain, non sans lui jeter un regard dans l'encadrement de la porte. Tu défais les boutons de ta chemise, étires malgré toi un sourire glacial.

— « Je vais prendre ma douche, Moore. Cesse de me regarder comme ça. Tu n'es pas invité. »

Et il ferait mieux de filer avant que ça ne dérape encore.

Il ne veut pas partir, alors même que tu l'exiges. Une part de toi est satisfaite de le voir s'accrocher. Ça veut dire que tu comptes, ça veut dire que tu existes dans le prisme de quelqu'un. Ça veut dire que tes émotions sont légitimes d'exister. Ça veut dire que les siennes te sont entièrement dédiées. Pendant un instant, tu penses à Blanche et à ce pouvoir qu'elle doit tirer de pouvoir ressentir les autres comme s'ils faisaient parti d'elle.

Tu le laisses s'approcher, la mine farouche et renfermée. Il déboutonne ta chemise, et l'enlève. Tu suis le tissu blanc s'écraser sur le sol de la salle de bain. Puis quand il s'attaque à ton pantalon tu sens ta gorge se bloquer. Est-ce tu veux qu'il s'arrête ?

— « Continue. »

Tu l'accompagnes lorsqu'il descend ton pantalon, mains sur ses épaules. Une fois en caleçon tu le fixes avec la même intransigeance qu'avant.

— « Continue. »

Et te voilà nu face à lui. Tu pensais que cela te gênerait mais il n'en est rien. Tu ne fixes que son regard pour ne pas être troublé. Puis après quelques secondes à se dévorer, tu tournes les talons pour rentrer dans la douche. Tu te laves devant lui, parfois tenté de croiser ses yeux mais le dos tourné il n'y a que le mur carrelé.

Une fois sorti, tu t'enveloppes d'une serviette blanche et croises ton reflet dans le miroir.

— « Cette cicatrice... Si je pouvais revenir en arrière je ne sais pas si je me l'infligerai. »

Pourquoi tu te l'ai infligé ? Oui, pourquoi ? Il y avait une époque où être la victime était le seul moyen d'exister. Si Romeo n'avait pas le cran de te faire du mal par lui-même, alors tu l'avais aidé pour lui. Tu lui avais imposé cet affront qu'il voulait forcément te faire. Tu pousses un long soupire devant la glace. Tu dois le verbaliser à voix haute.

— « Parce que je voulais piéger mon autre frère et l'éloigner de la maison. Je voulais que mes parents et ma soeur ne regardent que moi. »

Tu réalises que tu es comme Samael.

— « Je voulais être au centre de l'attention. Je ne l'aurai été qu'en étant la pauvre victime Cecil, blessé par son petit frère malade. »

Tu t'étrangles dans un rire.

— « Toi ? Jaloux ? Pourquoi ? Tu as la stature d'un dieu grec et la posture androgyne. Si quelqu'un doit être jaloux de ton assurance, c'est moi. Ne me vole pas cela. »

Tu glisses ta main dans le bas de son dos.

— « Je vais vraiment devoir aller travailler. »