Un certain calme était revenu en toi. Pourtant, cela ne t'empêchait pas de rester perturber. Tu voulais avoir cette sensation d'être entouré, sans pour autant l'être. Il te fallait trouver quelqu'un de confiance, quelqu'un qui pourrait te faire sentir vivant, t'assurer que tu étais bien là avec eux. Il y avait un nom qui avait frappé ton esprit comme une évidence. Surtout quand tu l'aperçus en train de servir des boissons. Tu t'approchas de lui, posas une main sur son bras.

- Vega ?

Tu l'appelais par son nom pour avoir son attention. Ta main, en revanche, tu la retiras rapidement, sans trop même t'en rendre compte pour la fourrer dans la poche de ta veste, comme sa comparse avait fait de l'autre côté. Ton sourire était presque forcé, légèrement crispé, loin du décontracté habituel. Même la manière dont tu te tenais était un peu tendue. Pourtant, tu essayais de faire genre que tout allait bien, alors que non, rien n'allait. Et face à lui, tu détestais faire semblant. Seulement vous n'étiez pas seul. Et si pour les inconnus, tout paraissaient normal, tu te doutais que Vega sentirait que quelque chose clochait.

- T'as une pause bientôt ? J'aurai un truc à te demander dans un endroit tranquille.

Parce que tu sais que tu peux te tourner vers lui quand ça ne va pas, car après tout, il avait déjà été là dans l'une des pires périodes de ta vie.

À sa voix et ses mots, ton sourire devint plus vrai. Cela faisait du bien de voir un visage ami, de recevoir cette invitation qui ne signifiait rien, là où elle aurait pu être intéressante avec d'autres. Une amitié sincère, sans attente. Tu hochais donc la tête, signalant que l'endroit cité te convenait parfaitement. Si tu avais été en pleine possession de tes moyens, tu aurais même plaisanté dessus, mais ce n'était pas le moment. Ton cœur souffrait plus de ta mort que tu ne le pensais.

Tu sentais la main dans ton dos, tes vêtements faisant barrage entre les peaux, et pourtant ton pas accéléra légèrement pour mettre fin au contact. Tu t'en mordis la lèvre, ne comprenant pas toi-même.

Passant la porte de la chambre, tu refermais derrière toi et allais vers le lit où Vega s'était déjà installé.
Vraiment, t'aurais bien aimé blagué, lancer une vanne, mais tu n'y arrivais pas. Tu restais debout, face à lui, appuyé sur le mur.
Tu poussais un soupir. Tu ne savais pas trop par où commencer. Alors tu quittas ton mur pour t'asseoir à côté de lui sur le lit.

- On a perdu le voeu. J'ai déjà informé Astrée, donc elle devrait bientôt mettre les autres au courant...

Tu marquais une pause avant de continuer, d'avouer comment tu étais au courant de ce fait.

- On m'a tué hier...

Mots avoués du bout des lèvres.
La honte t'envahissait un peu.
T'avais besoin de contact pour prouver que c'était derrière toi et que maintenant t'étais bien en vie.
Alors tu le pris dans tes bras, glissant une nouvelle parole teintée de remord.

- On a vu mieux comme sous-cap, n'est-ce pas ?

Tu voulais te sentir mieux par cette accolade, mais ce fut l'effet inverse qui se produit en toi. Quelque chose te gênait, te dérangeait. Ta peau s'hérissaient comme si cela lui faisait mal. La sensation était des plus incommodants. Tu repoussas donc Vega. Un peu brutalement. Ce n'était pas ton intention pourtant. Dans tes yeux, la surprise était lisible.

- Désolé... Je...

Pas ça. Tu ne voulais pas croire que la mort t'avais retiré le seul moyen par lequel tu montrais facilement ton affection.

Tu sentais son inquiétude. Elle était palpable dans sa voix, se transmettait à toi par le biais de l'oralité. Il te demandait le lieu et tu te doutais que, par ton aveu, il devait avoir l'impression d'avoir failli à sa propre tache. Alors que pas du tout.
Le dos courbé, les mains jointes entre tes jambes, tu évitais son regard, fixant intensément tes doigts.

- À la sortie de mon boulot, dans une des rues adjacentes.

Tu poussais un soupir. Il tentait de te rassurer.
On faisait tous des erreurs.
Oui. C'était comme dire que l'erreur est humaine, c'est pour nous faire du bien quand on a fauté. Pour déculpabiliser. Pour se dire que ce n'était pas grave si on se plantait de temps à autre. Sauf que j'avais cette impression de ne pas devoir me planter.

- Ouais, normalement, il devait fonctionner... J'ai déjà prévenu Astrée, dès que je suis revenu.

Elle devrait passer le mot prochainement. Tu n'en doutais pas.
Le ton plus calme de Vega t'apaisa. Tu serras tes mains entre elles et ferma les yeux quelques secondes.
Comment allais-tu ?
Tu expiras lentement tout l'air de tes poumons avant de prendre une nouvelle goulée plus fraiche et de t'exprimer.

- Pas très bien. Je suis révolté d'avoir été pris en tenaille, d'en avoir laissé un filer, de ne pas connaitre la raison. De n'avoir aucun indice. De penser qu'il s'agit peut-être d'un coup de mon demi-frère, uniquement à cause du message reçu avant. Mais c'est bien maigre comme indice. Quoique de toute façon, il a toujours eu l'art de me faire des misères.

Tes mains finissent par se quitter pour se poser derrière toi, t'aider en tant qu'appui lorsque tu te penches vers l'arrière, regardant alors le plafond de la chambre.

- Mais le pire, c'est que je crois que je ne supporte plus les contacts...

Ta voix s'était faite plus faible. Tu ne voulais pas y croire. Tu t'y refusais encore. Pourtant, il faudra bien cesser de se voiler la face. Tu les avais senti, ces sortes de picotements désagréable quand tu touchais quelqu'un ou que quelqu'un te touchait, ta peau qui devenait sensible comme si elle recevait une attaque, tes poils qui se hérissaient presque en refusant la proximité.
Un calvaire en perspective, pour toi qui était un être tactile.

Plus tu y penses, plus tu en es certain. Ce demi-sang que tu partages avec un frère... ça pouvait clairement être orchestré par lui. Ça te blesse. Si tu t'étais éloigné, ce n'était pas pour rien, mais c'est à croire que cela ne changeait rien.

La voix douce de Vega te ramène à lui. Tu le regardes, l'air penaud et triste. Tu souffres de ne plus supporter ce contact qui t'étais si cher. Tu souffres aussi de cette culpabilité dont il dit que tu n'as pas à supporter. Il est comme sa soeur, au fond. Tu n'es pas si mal entouré Louis. Tu souris doucement.

- T'as pas à t'excuser. Écoute, peut-être qu'emmitoufler dans des doudounes en laine, cela passerait.

Tu t'essaies à l'humeur, mais ça ne sonne pas comme tu voudrais que cela sonne.
Tes poings se serrent alors que tu découvres mentalement le calvaire futur que tu vas subir à ne plus pouvoir prendre qui que ce soit dans les bras, embrasser, serrer contre toi, simplement taquiner.

- Je... vais essayer de relativiser oui... ça doit juste être trop frais dans ma tête... Mais ça me fait chier, car je veux juste te serrer dans mes bras là.

En toute fraternité, comme à ton habitude avec lui.

- Est-ce je pourrai passer quelques nuits chez toi ?

Comme avant et que tu fuyais ton domicile.
Car à défaut de ne pas pouvoir toucher, tu souhaites au moins ne pas être seul.

Être en vie, mais à quel prix ? Celui de ne plus être soi-même, de vivre un enfer. Quoique dans ton cas, Louis, c’est peut-être pire, car tu restes toi-même. Tu dois “simplement” t’habituer à ne plus toucher qui que ce se soit, en somme. Prendre sur toi. C’est une solution. Mais combien de temps y parviendras-tu ? Que ressentiras-tu quand tu céderas, quand tu voudras prendre quelqu’un dans tes bras, quand tu craqueras. Est-ce que tu pourras supporter ces sensations qui te parcourons, qui te donneront l’impression d’une décharge électrique, d’une brûlure, d’une agression. C’est le plaisir qu’on cherche quand on prend quelqu’un dans ses bras, pas l’inverse.

Au moins, tu n’es pas seul. Astrée te l’avait dit. Vega te le confirme. Il veut t’aider et il accepte ta requête. Te voilà soulagé d’un poids et cela se voit sur ton visage. Tu te détends un peu plus.


Les mots se plantent en toi. Tu sers le poing. Tu regrettes de ne pas pouvoir faire plus.

- Vega…

Tu aimerais tant lui dire que ça n’arrivera plus, mais tu sais que ce n’est que mensonge. Mars aspire vos vies, votre sang. Peut-être est-ce pour cela que c’est la planète rouge. Rougie du fléau dont vous étiez une partie.

Ton ami te ramène alors à une réalité plus dure, le lieu de ta mort. Tu déglutis, observes le mur en face de toi un long moment. Il est vrai que Astrée t’avait suggéré d’en parler avec lui plus en détail.

- Dans une ruelle, pas loin du Gun Shop où je travaille. Je pense qu’ils devaient connaître mon quotidien et par où je passais habituellement.

Ce n’était pas dans votre quartier et c’est bien la première fois que tu regrettes de travailler en dehors, malgré tout ce que cela pouvait t’apporter.

- Tu penses qu’on peut les retrouver via des caméras de surveillance ?

Et remonter leurs traces, avoir leurs visages, les retrouver, les interroger, et remonter toujours plus haut. Pour mettre fin à l’hypothèse que tu avais dans la tête en la validant ou non.