Prise ou reprise. Peu importait ce qu'il en était, l'important était de récupérer les tableaux, les ramener en sécurité, pour que le trafic puisse reprendre son cours habituel.
J'arrivais sur place après la tempête. Aucun regard pour les types appréhendés, seulement pour le camion où se trouvait le trésor. De plus, même si l'alliance était présente, c'était étrange de se retrouver entourer majoritairement de carottes. Je préférais les manger dans mon assiette plutôt que de côtoyer les membres du gang. Même si il y avait quelques exceptions.

Sur le lieu du carnage, vu le sang qui s'étendait sur l'asphalte, je montais dans le camion où déjà quelqu'un m'attendait. J'avais l'art de venir sur les territoires des autres tout en étant un minimum bien accueilli apparemment. Mais c'était presque intimidant de me dire que, moi, simple membre, me retrouvait en compagnie du second des CC. Qu'avais-je bien pu faire pour mériter un tel honneur, si on pouvait appeler ça ainsi.

M'avançant dans les profondeurs du camion, je retrouvais donc Crow qui venait de retirer une couverture qui était supposé protéger les œuvres d'art. Je m'abaissais pour mieux les observer, les contempler, les identifier.

- Ce sont bien elles.

Sauf qu'il y avait un détail qui ne m'avait pas échappé. Je fronçais les sourcils, visiblement contrarié. Mes doigts vinrent toucher le coin d'une des peintures.

Abîmé.

Potentiellement inexploitable.

Une perte.

À moins qu'un restaurateur ne puisse sauver le travail.

- Une est dégradée...

Une phrase prononcée plus pour moi-même que pour la personne m'accompagnant.
Je me redressais, le regardait.

- Il ne me reste plus qu'à les ramener en lieu sûr. Si vous pouviez m'aider.

Parce que c'était bien pour cela qu'il était là, non ? Car même si tu avais deux bras, tu ne pouvais faire le transfert seul.

Avais-je envie de faire la causette à l'un de ceux après qui il avait fallu courir ? Non, pas vraiment. Je poussais un léger soupir en faisant non de la tête.

- C'est inutile. On devrait pouvoir les restaurer par nous même.

Et puis, peut-être n'avions nous en notre compagnie que des sous-fifre qui ne savaient rien d'important, seulement des livreurs...

- En voiture, mais mon transporteur ne devrait pas tarder.

Je pris mon com, vérifiant l'heure et les messages. Rien à signaler. En relevant les yeux et regardant vers la rue, je vis le véhicule en train de s'approcher.

- C'est lui, si vous pouviez le laisser entrer dans le périmètre.

À ma demande d'aide, je fus surpris. Je ne m'attendais pas à ce que le second énigmatique des Carrot Cake mette la main à la patte lui-même. Un léger sourire barra mes lèvres.

- Merci.

Sa proximité soudaine était étrange, mais peut-être était-il simplement tactile. Je pris une autre toile, pour ensuite descendre du camion et me diriger vers le nouveau véhicule qui pourrait transporter à la maison les toiles volées.

- Vous avez raison, et je vous remercie d'avoir récupérés cette cargaison pour nous. Il est vrai qu'avec d'autres, nous aurions simplement perdu la trace ou du marchander...

Je bénissais en cet instant l'alliance mise en place. De même que les fauteurs de troubles d'être venu par ici.
Les toiles faisaient sagement leur transfert grâce aux hommes qui aidaient. Soulagement. Bientôt, je pourrais rentrer et la tension légère disparaitrait. Cependant, c'était une occasion en or pour glaner des informations pour mes objectifs personnels...

- Vous semblez en tout cas bien informé pour avoir réussi à l'arrêter aussi rapidement... Peut-être pourriez-vous nous céder un de vos informateurs.

Je parlais avec le sourire, un peu sur la plaisanterie, mais je voulais surtout jauger sa réaction. Et tout à mon observation, je n'avais pas remarqué que le malfrat (il l'était plus que nous) se libérait et allait profiter qu'on lui tournait momentanément le dos pour venger son camarade...

Je retenais de faire claquer ma langue contre mon palais. J'aurai bien aimé qu'il marche dans mon sens. Ils n'avaient pas besoin de trop de monde en guise d'informateurs, j'en étais persuadé. Alors pourquoi était-il si difficile de rendre sa liberté à quelqu'un ? Au moins je pouvais noter que si j'arrivais à leur arracher Kaith, je devrai sûrement le cacher suffisamment longtemps pour qu'il se fasse oublier. Peut-être Elysium serait un endroit profitable. Les gangs n'y étaient pas vraiment. Tout était dans Venus. Un faible espoir, une lueur d'idée dans un point de fuite.
Et même si ma proposition actuelle se faisait écartée, j'avais au moins pu avoir plus d'information. Et puis, qui ne tente rien, n'a rien. Peut-être que Crow était plus conciliant que Kokoro et aurait accédé à ma demande. Malheureusement, ce n'était guère le cas.

Je laissais les hommes sous les ordres du second des Carrots faire le travail de transfert des toiles. J'ai pu également observer la marque sur la main dégantée de l'homme et, même si elle aurait du me frapper, ce ne fut pas le cas. Car je n'avais pas encore tous les éléments en tête pour faire en rapprochement. Et puis, les blessures pouvaient arriver si facilement. Il me faudrait un moment avant que les pièces d'un puzzle s'emboitent correctement.

Mais là, il me demandait mon identité et je lui offrais donc mon attention.

- Ah, oui, en effet, je ne me suis pas présenté. Mes excuses. Vous pouvez m'appeler Luca. Je ne suis qu'un membre parmi d'autres. D'où le fait que je m'étonne un peu de vous avoir face à moi... Mais nous sommes chez vous, après tout.

Cela restait quelque peu normal malgré tout. Mais à peine avais-je fini de m'exprimer que cri et fracas se firent entendre. Je me retournais vers la source pour voir une toile au sol, déchirée. Le corps de lui qui la transportait était allongé à côté, inerte. Froncement de sourcils. Je n'étais pas ravi à l'idée de combattre. Je n'étais pas chez moi. Je n'étais pas entouré d'alliés. Je n'étais même pas un combattant en temps normal. La faculty de l'autre semblait dérangeante, mais ne devrait pas m'ennuyer de trop si le combat était bref. À l'attaque, un mur de terre s'éleva pour me protéger alors que je me mettais accroupi.

- Peut-être devrais-je vous laisser gérer cela ?

Comme dit, c'était les hommes de Crow et son territoire. Seulement, je me devais de protéger comme je pouvais la cargaison. Il fallait don maitriser l'individu au plus vite. Mon mur s'effrita quand j'annulais ma faculty, pour l'enclencher à nouveau l'instant d'après. Main sur le sol, concentration mentale, je ciblais la zone sous les pieds de l'homme d'eau pour créer un tremblement qui le déstabiliserait. Le seul problème était que je devenais moi-même vulnérable pendant l'opération. Je priais pour que les Carrots agissent vite. Car j'allais être la prochaine cible.

J’avais voulu déstabiliser l’adversaire avec l’espoir qu’un de ces alliés de fortune puisse l'attaquer pendant ce laps de temps. Voyant Crow apparaître comme de nulle part près de l’ennemi, je modifiais la terre tremblante sous leur pied pour ne pas perturber le second des Carrots. Sauf que, malheureusement, l’individu se liquéfia pour disparaître. Mes yeux cessèrent de briller alors que je cherchais où il pouvait bien se trouver. J’espérais qu’il avait fuit, pour ne pas voir plus de sang s’étaler sur le bitume. Si je ne tuais pas, je savais bien que ce n’était pas la même manière de penser pour cet autre gang allié. Et même si cet individu que nous combattions était notre ennemi, je ne désirais pas voir sa vie bêtement gâchée.

Un cri, mon prénom. Derrière moi ?
J’avais à peine le temps de me retourner que je me retrouvais violemment piégé dans l’eau, servant presque de bouclier humain. Une bulle d’eau entourait ma tête, m’empêchant de respirer. Souffle coupé, cheveux épars, je tenais le peu d’oxygène précieusement dans mes poumons, mais je ne pourrai jamais tenir bien longtemps. Je devais compter sur eux, sur Crow. Mais également sur moi-même. Toujours en contact avec le sol, je pouvais user de mon pouvoir. Difficilement, certes, mais lentement, le sol bougeait selon ma volonté. Il se fragmentait en petites unités, de plus en plus petites. Il me le fallait aussi fin que du sable, pour qu’il puisse grignoter cette personne aqueuse. L’eau était mon ennemi, autant que mon allié. La tâche était toutefois compliquée, ma concentration n’étant pas optimale.

Faites que je le perturbe un peu. Faites qu’une nouvelle occasion se présente.

Parce que dans ma prison d’eau, mon air s’échappait en petites bulles.

Tout se passa très vite et alors que l'air me manquait, la bulle éclata. Je tombais à genoux et toussais, me tenant la gorge. Respirer à nouveau, une bénédiction. Heureusement que Crow avait réagi rapidement, je n'aurais vraiment pas aimé finir plus longtemps dans cette cage d'eau.

La main sur mon épaule me surprend. Je tournais la tête pour dévisager le second qui était à mes côtés. Il y avait définitivement quelque chose de bizarre. Pourtant je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus.

- Oui, je vais bien. Merci pour votre aide...

Je marquais une pause. Pourquoi s'inquiétait-il autant pour moi ? Je n'étais qu'un membre d'un autre gang. Certes, il y avait une alliance, mais cela ne changeait rien au fait que je n'étais rien pour lui. Son inquiétude à mon égard était perturbante. Je me redressais et m'écartais d'un pas, pour mettre fin au contact de sa main sur mon épaule.

- Vous n'êtes pas blessé ?

J'avais repensé à la blessure que j'avais pu voir sur sa main. Je fronçais un peu le sourcil, car elle me rappelait quelque chose, mais ce n'était pas possible. Mon regard épousa ensuite les alentours pour finir sur le corps sans vie de celui qui nous avait attaqué. Je poussais un soupir las avant de regarder Crow.

- Au moins, je suppose que maintenant il n'y a plus personne à craindre... Vos hommes peuvent-ils finir ce qui était commencé ?

À savoir de le petit transfert. Tu te murais un instant dans le silence et la contemplation avant de poser une question à cet homme intriguant.

- J'aurai une dernière question avant que je m'en aille. Pourquoi m'avoir aidé ?

Car j'étais curieux de connaitre la réponse qu'il allait me donner, d'entendre ses raisons pour un fait qui me surprenait de la part d'un tel individu.

La réponse qu'il m'offrait était donc belle et bien l'alliance. Et le fait que je semblais être un bon gars. J'étais sceptique. Cela me semblait vraiment peu. Comment pouvait on sauver quelqu'un juste parce qu'il paraissait être quelqu'un de sympathique ? "Gâcher une bonne vie", là aussi, c'était étrange. Ma vie était-elle si bonne ? Et surtout c'était lui qui se permettait de l'affirmer.

Malgré le fait que je ne sois pas convaincu, je décidais de ne pas chercher plus loin. Il pouvait se passer de mauvaises choses à vouloir être trop curieux. De plus, je n'avais pas spécialement envie de m'attarder.

- Bien, je m'en vais alors. Encore merci.

J'esquissais un sourire à son égard. Ce merci n'était pas pour la cargaison, mais pour ma vie. Peut-être aussi pour le fait qu'il ne me dise pas que je lui devais quelque chose. Ce qui, à nouveau, était étrange. Il pourrait s'en servir pour un service. Il pourrait jouer au fourbe pour avoir... Peu importe quoi. Mais non. Ou alors il le gardait pour plus tard.

Après un geste de tête, je m'éloignais. Je fis une dernière vérification pour la cargaison, échangeai une parole avec le conducteur, puis je montais dans ma propre voiture pour servir d'arrière-garde pour le cas où une nouvelle attaque pourrait survenir, même si ce n'était très certainement pas organisé vu la mise en échec précédente.

Conduisant, je n'arrêtais pas de repenser à la bizarrerie du moment. Un second qui vient pour observer, qui aide un simple membre allié, qui ne profite pas de l'opportunité... Et la marque sur sa main... Elle t'en rappelait une que tu avais vue... quand était-ce déjà ? Le feu de circulation devint rouge et je freinais brusquement. Ma mémoire devait me jouer un tour, car ce à quoi j'ai pensé... Ce n'était pas possible. Rien n'était pareil. Mais il était trop tard pour lui demander, car j'étais presque rentré.