Dehors ça grouille de monde ; l'incompréhension révoltée fait face à une vague de peur et de paranoïa qui déchaîne les foules sur Mars. Il n'a pas fallu longtemps pour comprendre ce qui venait de nous tomber dessus et pourtant, malgré ce qu'on sait ; on ne sait rien. Cyrus m'a appelé et j'étais en chemin quand on s'est croisé subitement.
J'ai chopé son poignet pour ne pas le perdre dans la bouche béante de la foule affamée.

- Ne me lâche pas d'une semelle, ok ?

Ce n'est ni le moment d'être dehors et de se faire piétiner, ni de rejoindre les Bananas Breads en ce qui me concerne. Malgré l'urgence, je dois maintenir mon statut quo alors c'est sans hésitation que je rejoins le Red Dragon pour une entrevue d'urgence avec Kokoro.

Et bien sûr, ça ne pouvait pas se passer comme prévu.

- Putain tu pouvais pas faire attention ?

Ce concours de circonstances aurait sérieusement pu s'éviter si j'avais encore ma faculty.

- Ah c'est toi. Ma voix ne traduit aucune déception mais la situation pourrait, hélas, le faire croire. Qu'est-ce que tu foutais pour ne pas regarder devant toi ?

Bon je vais éviter de me montrer trop hostile avec lui, surtout devant Cyrus. Depuis ces derniers temps, c'est un peu tendu entre nous et même si je le cache relativement bien, j'ai cerné le problème qui fait que notre relation fonctionne mal, ou du moins, que j'ai comme cette sensation brûlante qu'il ne m'apprécie pas.

Je force personne à m'aimer et même si ce n'est pas la guerre ouverte, je le sens méfiant à mon égard ; ce qui fait que je dois redoubler de prudence quand il est dans les parages.

- Pas trop de casse de ton côté ? C'est une formule de politesse et aussi parce que je m'en voudrais de lui causer du tort ; si on devait se battre un jour, ce serait à la loyale.

Enfin l'heure n'est pas encore à penser aux querelles. Je propose ma main pour l'aider à se relever parce qu'on dirait qu'il n'est pas prêt de le faire tout seul.

Sa remarque a réussi à me rendre paralyser par le mutisme. Les règles de conduite sont majoritairement ce qui se constitue mes principales valeurs, celles auxquelles je crois et auxquelles que je me bats ; alors, entendre de la bouche du sous-capitaine que je ne fais pas convenablement preuve de respect à son égard, met en péril la plupart de mes muscles ainsi que toute ma capacité de réflexion.
Je ne pense pas pour autant que ça remet en cause toute la discipline acquisse dans mes aptitudes. Cela dit, je le défends au propos duquel j'ai montré de l'insolence.

- ... Je tiens à te présenter mes excuses.

Kokoro arrive.
Je n'ai pas le temps de développer plus, alors je lui propose au moins ma main pour l'aider à se redresser.
La tension est palpable, mais pas assez pour me faire perdre pied comme tout à l'heure. Je refuse de laisser Jay mentir pour moi.

- Un écart de conduite que je dois réguler.

L'état d'urgence de la situation transpose le problème à plus tard et je comprends bien au regard auquel il me lance - et que je fuis sciemment - que je n'ai pas fini d'en entendre parler. Bah, je veux bien encaisser ses réflexions, après tout, c'est moi qui me suis mal conduit.

L'annonce de Kokoro nous à tous remis d'aplomb et si nous avions été divisés par des querelles de moindre importance, voici que maintenant nous étions tous instantanément unis par ce qui nous relie tous : la grandeur d'une famille.

L'annonciateur de trouble veut que nous allions à son bureau, confirmant par son choix de lieu que c'est une mesure par laquelle, seuls ses hommes doivent être tenus au courant.

L'attente me rend fou ; on est comme des lions en cage attendant notre pitance et je me demande ce qu'il en est de lui.
Il sait ce qu'il va nous dire et il doit moduler suffisamment sa voix pour faire comprendre le caractère impérieux de ce qu'il s'apprête à dire, tout en nuançant son timbre au risque d'en faire paniquer plus d'un dans la salle.

- Alors, de quoi veux-tu nous parler ?

Assurément que la nouvelle qui se répand comme une traînée de poudre prend en otage toutes nos pensées. Et si ce qui nous tombe dessus en fait peur à certains en raison d'un avantage perdu, la nouvelle en soulage bien d'autres.

Pour ma part, je me situe au milieu. La fatalité de devoir s'adapter à quelque chose de nouveau ne me convient pas et pour ce qui est des conséquences à venir, ma foi nous verrons bien.
Certains trouble-fête n'auront d'autres choix que de calmer leur débordement, car sans leur faculty ; ils ne sont plus rien, n'ont plus aucune identité... peut-être qu'à terme, la paix reviendra sur Mars.
Ce serait le paradis si tout le monde n'était pas aussi conservateur, mais je ne peux pas non plus leur reprocher. Je peux composer sans ma faculty mais étant donné qu'elle fait partie intégrante de moi, alors oui, elle me manque terriblement.

Et quant au reste... là subsistait la question.

Je n'ai aucune idée de ce qu'en pensent mes homologues, mais je peux sentir que tout le monde est au moins aussi tendu que moi dans la salle. Même le rire spontané de Kokoro ne me méprend pas sur son état.
Il se démunit de son stress dans un rire nerveux ; ce n'est rien de plus qu'une décharge émotionnelle face à une situation de tension. De toute manière chacun ici n'a d'autres choix que de la gérer à sa façon.
Pour ce qui est mon côté, je reste d'abord silencieux un temps, puis cesse de me tenir sur la pointe de mon pied afin de mener une impulsion vers lui, l'air grave.

- Je ne rigolerais pas si j'étais toi. Ce sont des menaces qu'il faut prendre très au sérieux. Je m'approche derechef de lui et invite ma main chaude contre sa nuque, le regard divaguant loin devant moi. Je pense que nous devons nous préparer aux éventuelles actions qui planent au-dessus de nous, ça pourrait être n'importe qui. La volonté ne suffira pas à trouver et arrêter les auteurs des faits, cela dit, les sentiments de rancune, colère et vengeance pourraient bien donner l'essence nécessaire pour satisfaire le rééquilibre des choses, mais ils devront être parfaitement dosé pour ne pas agir stupidement.

Et en parlant de ce qui est déconstruit, je constate que notre écrivain secret n'est pas bien malin d'avoir écrit ses mots doux de manière manuscrite.
Kokoro met déjà son détective sur le coup ; il ne perd pas le nord mon pote.

Crow s'active quand il est appelé et je me mets naturellement en retrait afin de ne pas interférer dans leur dialogue. Je n'en veux aucunement à mon capitaine et ami, de choisir le soldat qui sera le mieux qualifié pour répondre à ce méli-mélo.
Ce qui fait la force de notre groupe est sa composition riche en diversité. Certains, dont Crow, sont plus taillé pour l'intellect, tandis que d'autres feront de parfaits boucliers humains.
Et à la direction de tout ça, une seule tête pensante qui doit accorder chaque corde à son arc afin d'harmoniser le seul instrument de notre gang, la seule musique que l'ont peut jouer.

Cette guerre a à peine commencer que je sais déjà qu'on va la gagner.