Imaginer Samael en tenue d'Eve en train de travailler, cela avait suffit à attiser chez toi un agacement viscéral. Alors quand Molly était venue t'apporter des dossiers, tu avais levé la tête vers elle avec la pire idée du monde : Voulez-vous qu'on en discute ce soir au restaurant ? Autour d'un diner professionnel. Elle s'était empressé de dire oui et tu t'étais rappelé ce que Samael disait à son sujet : sur son envie de t'avoir pour elle.

20 heures et quelques, chez le Lion d'Or.
Faire rager Samael te fait au moins passer une bonne soirée. Molly est sympathique mais elle n'arrête pas de poser des questions sur ta vie privée. Ton regard trop happé par les notifications, tu retournes ton com contre la nappe pour ne plus subir l'appel lumineux de l'écran. Molly ricane et agite son verre pour mélanger le vin. Le serveur débarrasse vos assiettes et tu en profites pour sortir les dossiers de ta sacoche. C'est le moment d'arrêter de jubiler et de vraiment parler boulot.

— « Assez parlé de nous, j'ai quelques questions à vous soumettre à propos de- »

Mais la voix de Samael te coupe dans ton élan, sa main dans ton dos te provoque le grand frisson. Tu es aberré de le voir ici, trop choqué pour réagir. A peine tu clignes des yeux qu'il a déjà pris une chaise pour s'installer avec vous.

— « Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Question idiote, tu es beaucoup trop prévisible Cecil.

— « Ah mais je vous reconnais ! Vous étiez avec le directeur Cooper l'autre jour ! »

Elle lui fait son plus beau sourire, comme la dernière fois. Elle aime montrer que vous êtes proches, même si elle t'appelle Cooper.

— « Pas du tout... Monsieur Cooper est adorable. Il a vu que je travaillais beaucoup en ce moment. Vous savez... depuis... et bien... la disparition de Mademoiselle Willis. »

T'as l'air au bout. Elle parle trop (pas plus que tout à l'heure) et ça te met mal à l'aise. Elle enchaine sans que tu ne puisses intervenir.

— « Alors il m'a proposé de venir manger ce soir pour continuer à travailler. Je crois que vous interrompez d'ailleurs quelque chose sérieux. »

Les deux mains sur les dossiers, tu les regardes l'un et l'autre. Remarques qu'elle n'a d'yeux que pour lui d'un seul coup.

— « Je- Et bien. Et bien... Qu'est-ce que tu fais ici ?! »

Tu crois pas du tout à ses explications à la noix. C'est obligé qu'il a simplement deviné (un coup de chance !) parce que tu lui as dit que tu venais souvent manger ici. Quand Molly parle ça te déstabilise. Il joue un rôle et tu dois tenir le tien pour ne pas flancher. Il te demande s'il doit partir - tu veux avoir la force de lui dire que oui. OUI IL DOIT PARTIR. Pourtant rien ne sort.

Sa main à ton front, tu réalises seulement ce qu'il a osé faire. Infantilisé devant ta propre secrétaire, tutoyé comme si vous étiez des amis proches. Tu te sens honteux et fébrile. Agacé qu'il te pense aussi servile.

— « Je... »

Tu plisses les yeux. Dans le fond de ton regard se mêlent confusion et interrogation. T'as un mouvement de recul sec quand tu sens sa jambe. Tu colles ton dos dans le fond de ta chaise pour échapper à sa main et les regardes tous les deux.

— « Tu as raison. Assez de travail pour aujourd'hui. »

Et tu ne partageras pas le contenu de ces dossiers avec lui. Tant pis pour les réponses à tes questions, tu verras ça avec elle demain - dans ton bureau, dans le cadre du boulot. Tu ranges le trieur dans ton sac et te lèves brusquement.

— « Je vais en effet aller me passer de l'eau sur le visage. Je crois que j'ai descendu le vin trop vite. Pardonnez-moi Molly, on verra cela plus tard si ça ne vous gêne pas ? Je m'en voudrais d'imposer cette conversation ennuyeuse à notre invité. »

Tu appuies sur ce dernier mot. Il n'était pas invité. Tu files ensuite vers les toilettes des hommes. T'as besoin de te débarbouiller. Face au miroir, tu plaques tes deux mains de par en par du lavabo.

— « Merde... Merde ! »

Tu ne jures pas souvent mais la situation l'exige.

Tu te demandais combien de temps il allait mettre pour te rejoindre. Tu le vois débarquer avec ses grands airs pour te prendre de haut. Tu te retournes pas, l'affrontes dans le grand miroir. Direct il part dans les insultes. Tu te questionnes sérieusement sur pourquoi il te fait autant d'effet d'habitude. La langue claque contre ton palais quand il traite Molly de pouffe. Non pas que tu veuilles le contredire, mais tu le trouves quand même culotté.

— « Ce n'est pas un date. Et à ce que je sache, t'es resté à lui parler pendant de longues minutes, à cette pouffe. »

Tu te sens obligé de te justifier, même si la raison intrinsèque c'est que tu veux le rendre jaloux.

— « C'était juste un diner professionnel. On avait à discuter de dossiers concernant la gestion de la clinique. »

Il s'approche brusquement et tu te retournes. Ses doigts à ton visage, tu te sens souillé mais piqué.

— « Je sais, j'ai fait exprès. »

Mais t'as pas le temps de réagir à la suite qu'il te pousse dans une cabine avec lui. T'essaies de l'écarter pour atteindre le loquet mais il bloque la porte. Tu percutes que maintenant, un vague sourire aux lèvres.

— « Quoi ? Tu t'es filmé ? »

Tu ricanes, nerveux.

— « Tu as filmé tes ébats pour me les montrer ? »

Et cette fois tu t'étrangles d'un rire. Ouvertement moqueur.

Il n'avait pas menti quand il te disait avoir des envies de violence parfois. La manière dont il parle ouvertement de ses pulsions meurtrières pourrait t'effrayer mais ça te fait ni chaud ni froid. Tu sais que toi tu dois cacher les tiennes depuis que tu es petit. Habitué au paraitre, la franchise chaotique et immédiate de Samael te trouble en réalité.

Mais avec elle s'accompagne aussi des fous rires. Tu ne peux pas contrôler ton hilarité lorsqu'il t'avoue s'être filmé. Bien sûr, la curiosité malsaine vient vite te rattraper, mais c'est trop tard - il est déjà vexé.

— « Tu es trop bête. »

Tu serpentes jusqu'à lui pour te coller. Sur la pointe des pieds tu étires un sourire moqueur et mauvais quand ton visage rencontre le sien. Tu l'écoutes râler sur Molly, sur ses intentions, sur les tiennes, sur toute la rage qui l'éprend, sur toute la haine qu'il étend. Tu lui voles son téléphone pour reculer jusqu'à la cuvette des toilettes, que tu escalades pour te mettre en hauteur. Tu déverrouilles et commences à fouiller dans les fichiers médias.

— « Alors alors ? C'est rangé où ? »

T'as pas besoin de remonter beaucoup pour voir l'aperçu des vidéos. Tu les ouvres pour les regarder, le son au maximum pour que les gémissements résonnent dans toutes les cabines.

— « Samael Moore en action. »

Et puis t'as plus de commentaires à faire d'un seul coup. Il suffit de quelques secondes pour que tu sois absorbé et fasciné. Ça n'est pas comparable avec la dernière fois derrière la baie vitrée mais ça s'en approche.

Tu le sens de plus en plus vexé. Il gueule comme un putois quand tu lui voles le téléphone. C'est plus amusant que tu ne voudrais l'avouer, de le faire suer. Perché en haut des toilettes tu te régales de la vue, admires en te pavanant. Si t'as cette attitude c'est pour dissimuler ta pudeur naturelle. L'extravagance attise et deshinibe.

— « Non ! Assume jusqu'au bout sale dépravé ! »

Tu rigoles comme un enfant, amusé et excité. A croire que son immaturité déteint sur toi. Tu te mords l'intérieur de la joue lorsqu'il enroule ses bras autour de ta taille. Son visage contre ton ventre tu t'abstiens de respirer. Pousses un cri (sur fond de gémissements) lorsqu'il te soulève pour vous assoir tous les deux sur la cuvette. Sur ses genoux tu te cales un peu plus contre lui. Continues de regarder avec attention les vidéos. Tu frissonnes de l'entendre couiner dans ta nuque.

— « Je vais plus savoir discerner le bruit de fond de la vidéo de ta voix si tu continues. »

Il te propose de t'envoyer les vidéos et tu lèves la tête. Si Blanche fouille dans ton téléphone tu vas mourir de honte.

— « Surtout pas. Je te l'interdis. »

Tu glisses ta main sur son visage, caresses ses pommettes du bout des doigts. Avant de redescendre à ses lèvres. Ton pouce appuie sur sa lèvre inférieur, tu forces le passage pour venir l'enfoncer dans sa bouche.

— « Lèche. »

Racles le haut de son palais avec ton ongle. Ça te fait de l'effet.

— « Je préfère te regarder en vrai que sur un petit écran. »

Tu apprécies le contact. C'est rare c'est nouveau et c'est surtout troublant. Tu commences à céder du terrain à mesure qu'il avance ses pions - à coups de baisers et de murmures avides. Samael sait y faire et tu es de moins en moins en mesure de lui résister. Les vidéos terminées tu verrouilles l'écran du téléphone. Il te demande pourquoi et tu hésites à lui expliquer ton refus. Finalement ...

— « Blanche surveille mon téléphone. Tu es sûr de vouloir qu'elle ait accès à des vidéos pornographiques de toi ? »

C'est hors de question. Personne d'autre que toi ne peut voir ça. Encore moins ta soeur. Ça serait beaucoup trop gênant pour vous trois, elle qui te croit aussi pur qu'un saint. Tu le croyais aussi avant de le rencontrer. Tu n'es pas aussi innocent qu'on a voulu te le faire croire.

Puis tu glisses ton pouce entre ses lèvres, il s'occupe de le sucer et ton coeur bat la chamade. Merde, merde. MERDE. Il est doué ou c'est toi qui n'a plus d'attentes, à ce stade ? Tu extirpes le doigt pour attraper son menton, étalant la salive tout autour de sa bouche. Puis ta main s'enlise dans sa chevelure.
Tu voudrais revoir en vrai ? A sa question tu te redresses vers lui. Tu lui rends son téléphone, puis baisses les yeux, et hoches légèrement la tête pour acquiescer.

((Sors avec moi))
Tu réponds à son baiser, attrapes ses épaules pour te tenir à lui. Ses lèvres à ton oreille, tu laisses échapper un gémissement de plaisir, te cambres contre lui.
((Sors avec moi))

— « Oui... »

Puis tu réalises.

— « Non. Non ! Je ne peux pas. Nous ne pouvons pas. »

Tu te lèves et déverrouilles la porte des toilettes. Tu vas devant le lavabo pour te passer de l'eau sur le visage.
Tu le regardes dans le reflet du miroir, un sourire vague en joug.

— « Tu seras mon petit secret. »

Tu te demandes ce qu'ils ont tous à vouloir ton GPS. Un léger sourire qui s'étire dans le miroir en y repensant. Blanche et Samael sont comme toi... Tu ne laisseras pas Romeo croire l'inverse (concernant Blanche) à un seul instant. Rien ni personne ne les détournera de toi désormais. Alors comme pour resserrer cette prise d'otage émotionnelle, tu lui offres volontiers la corde de la laisse que tu t'es toi-même enfilé.

— « Si tu veux. Mais qu'est-ce que ça changera ? Ce n'est pas parce que tu sauras où je suis que je te laisserai me rejoindre. »

Il s'appuie sur le cabine. Il a l'air d'avoir aussi chaud que toi. Tu lui conseillerais bien de se rincer le visage mais t'es pas sûre de vouloir être confronté à cette vision. Tu te retournes vers lui, les joues encore rouges malgré la tiédeur du robinet.

— « Je ne sais pas pour combien de temps. Autant que je serais ta lubie du moment, je suppose. »

Autant que tu ne pourras pas assumer qu'il te tienne la main en public, qu'il t'embrasse devant les autres sans se soucier de leurs regards. Autant qu'il faudra pour que tu réalises que tu n'es pas hétéro, aussi. Définitivement pas.

— « Tu comptais m'en envoyer de base ? Heureusement que je t'ai croisé avant que cela n'arrive. Quelle horreur ! Ne fais pas ça. »

Secoues la tête pour chasser des images qui reviennent pourtant immédiatement quand il te fait un appel. Tu mets quelques secondes à comprendre, le dévisageant comme s'il avait raconté la blague la plus salace que tu n'aies jamais entendu.

— « Comment on demande ? »

Coup d'oeil vers la porte des toilettes. A ce stade Molly va vraiment finir par croire que vous êtes parti et va s'en aller - te laissant payer la note ce soir et s'excuser demain. Tu glisses tes doigts sur les coutures de son pantalon, joues avec le bouton.

— « Je ne sais pas si je serais capable de faire ça ici. »

De faire ça tout court.
Tu lui voles un baiser.